Plusieurs mobilisations, dont une à Lyon, sont organisées ce mardi 13 avril à 11h30 pour interpeller les pouvoirs publics sur certaines conséquences désastreuses de la loi du du 13 avril 2016, dite de "pénalisation des clients" des travailleuses et travailleurs du sexe.
"Pendant trois ans, on s'est battus contre cette loi. On a été reçus à l'Assemblée nationale, et on se demande à quoi cela a servi..." soupire Christine, travailleuse du sexe et militante pour la santé sexuelle, notamment au syndicat STRASS. "Devoir être déclarée, pour rendre légal le fait d'exercer cette activité... Mais qu'en même temps elle soit interdite aux clients, sous peine d'amende, je trouve cela insensé", ironise-t-elle. C'est pourtant le principe même de la loi du 13 avril 2016, dite de "pénalisation des clients" des travailleuses et travailleurs du sexe.
Une loi aux conséquences radicales
Depuis, elle fait partie de ceux qui ne cessent de dénoncer une législation qui a plongé, selon elle, ceux et celles qui exercent le travail du sexe dans une véritable détresse, voire la misère. "Avec cette pandémie de covid, on est franchement en train d'agoniser en France. J'ai des collègues qui m'appellent et qui me disent qu'elle n'ont plus qu'une ou deux baguettes de pain au congélateur pour manger. Sans parler du couvre-feu." La loi du 13 avril 2016, dite de "pénalisation des clients" des travailleuses et travailleurs du sexe, avait plusieurs objectifs. Freiner la prostitution en imposant des amendes à ses clients, et encourager celles et ceux qui l'exercent à stopper leur pratique. Cinq ans, plus tard, les associations dénoncent inlassablement ses effets dévastateurs.
Tous sont unanimes. Le premier objectif de cette loi a été de faire chuter radicalement le nombre de clients de la prostitution. Et pour cause, "les clients sont souvent mariés ou pères de famille. Ils n'ont aucune envie de recevoir une amende chez eux" sourit Christine. "Sauf que dans cette histoire, les travailleuses du sexe sont un dommage collatéral". Une formule politiquement correcte pour évoquer une véritable aggravation de la paupérisation de ces populations.
Une dangereuse précarisation des populations
C'est aussi ce que constate sur le terrain les associations comme Cabiria, qui oeuvre pour la santé des travailleurs du sexe à Lyon depuis plus de 25 ans. "La loi a des conséquences particulièrement négatives sur leur santé et leur sécurité. On le dénonce depuis de nombreuses années. Par exemple, on constate une augmentation des violences, depuis que la loi a été entérinée. Moins de clients dans la rue signifie une obligation d'accepter n'importe lequel, qu'il soit potentiellement ivre, sous produits stupéfiants, ou pas respectueux. Avant, elles ne l'auraient pas accepté. Mais là elle se sentent obligées, pour pouvoir payer leur loyer, les factures..." déplore Antoine Baudry.
Autre effet pervers de la loi, la chute de la prévention de santé. "Encore une fois, moins de clients, cela veut dire aussi accepter des clients qui réclament une fellation non-protégée, voire une passe. Les prises de risque sur les contaminations VIH et IST sont plus importantes, et parfois même des grossesses non-désirées." D'où la nécessité, pour ces militants, malgré cinq années de dénonciation de cette loi, d'avoir à nouveau à en rappeler les conséquences négatives.
Un volet social inefficace
La mobilisation de ce mardi 13 avril sera également l'occasion de faire le bilan d'un des dispositifs prévus par cette loi de 2016 : le parcours de sortie de la prostitution. Un "volet social" compris dans la loi, dont le principe consiste à proposer auxs personnes qui souhaitent arrêter cette activité de bénéficier d'un accompagnement. "Elles peuvent faire appel à une association agréée qui remplit tout un dossier complexe. Une commission départementale peut ensuite allouer à cette personne une allocation de 330 euros par mois, avec une obligation d'arrêter de se prostituer" explique Antoine. "Au moment du vote de la loi, les parlementaires estimaient à 1500 le nombre de parcours de sortie par an. Dans la réalité, c'est un échec : on en compte environ 560 depuis 2016. On est très loin du compte." Ce qui n'étonne pas Christine, qui ne connaît aucune candidate pour ce type de contrat "Qui peut vivre avec juste 300 euros par mois? "commente-t-elle.
Une tendance dangereuse à s'isoler
Nora Martin-Janko, coordinatrice de mission "travail du sexe" à Médecins du Monde confirme toutes ces difficultés, constatées au quotidien sur le terrain. Aux conséquences sur la santé et la précarité, elle ajoute un dernier effet négatif de la loi actuelle: la tendance à l'isolement. "Pour tenter de contourner cette loi, et entrer tout de même en contact avec les clients, elles fuient notamment les nombreux arrêtés préfectoraux applicables dans plusieurs villes. C'est le cas à Lyon où il en existe beaucoup, notamment interdisant le stationnement. Elles vont donc se replier dans des lieux plus isolés, en périphérie, au fond des bois, ou bien tout simplement se replier sur internet." Ce qui les éloigne de toute aide potentielle. "Dans ces lieux, c'est beaucoup plus difficile pour les associations comme nous de les contacter, en fait. Et donc d'assurer un accompagnement. Quand elles ont des besoins médicaux, elles ne nous trouvent plus forcément. Quand elles se retrouvent en danger, elles ne trouvent plus d'aide immédiate."
Obtenir l'abrogation et la dépénalisation
Pour remédier à cette tendance, Médecins du Monde réclame l'abrogation de la pénalisation des clients. "Nous plaidons clairement pour une dépénalisation du travail du sexe." ajoute Nora. "Tout ce qui criminalise les personnes les empêche de faire valoir leurs droits, et de protéger leur santé." Christine, elle, espère davantage. "Nous, ce que l'on demande, c'est le droit commun. On en a vraiment marre des lois spécifiques. On veut être considérées comme tous les travailleurs. Pouvoir, par exemple, communiquer sur nos services, travailler ensemble." Une vraie liberté qui, pour l'heure, n'est absolument pas envisagée par les législateurs.