Bilan, après plus d’un an de recherches, de la contamination aux substances per- et polyfluoroalkylées dans l’eau potable. Sans surprise, toute la vallée du Rhône est concernée. L'Agence régionale de santé se dit enfin prête à exiger des solutions, mais ce sera aux collectivités de payer.
Et si le dossier des polluants éternels venait de franchir un nouveau cap ? C’est en tout cas l’impression que donne l’Agence régionale de santé, ce lundi 15 janvier, en publiant les résultats de plus d’un an d’analyses sur les PFAS dans l’eau potable en Auvergne-Rhône-Alpes. Elle annonce également la conduite d’un "plan d’action" au niveau régional.
Toute la vallée du Rhône concernée
450 prélèvements, 90 puits investigués sur sept départements. Au total, huit ressources en eau sont établies comme étant non conformes à la réglementation européenne sur l’eau qui fixe le taux maximal de per- et polyfluoroalkylées dans l’eau à 100 ng/L pour la somme de vingt molécules. Les points de contamination les plus importants, déjà révélés dans la presse, se concentrent sur la nappe alluviale du Rhône, du sud de Lyon en passant par le nord Drôme-Ardèche jusqu'à Cruas, ainsi qu’à Rumilly en Haute-Savoie et à Jonage, dans le Rhône. Une dizaine d’autres secteurs reste "à surveiller", dans la mesure où les dépassements restent ponctuels, comme à Grigny, dans le Rhône, aux alentours de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry, à Genas ou au péage de Roussillon en Isère.
Pour établir son périmètre de recherche, l’ARS a travaillé en lien étroit avec les autres services de l’État qui disposent de données sur les rejets industriels ou la surveillance de l’environnement. "Nous avons recherché des PFAS là où on pensait qu’il y en avait", explique Christel Lamat, responsable régionale des eaux à l’ARS.
Sur les ressources analysées, plus de la moitié "sont en lien avec la situation au sud de Lyon", reconnaît l’ARS, sans prononcer directement le nom d'Arkema et Daikin, les deux industriels concernés. "On retrouve à peu près le même profil de molécules, dans le même type de concentration."
Des directives nationales, enfin
Si l’ARS tient à rappeler qu’il s’agit d’une norme de qualité, pas de potabilité, elle est incapable d’affirmer au-delà de quel seuil les PFAS peuvent être dangereux pour la santé, pas plus qu’elle ne peut dire en dessous de quelle valeur il n’y a aucun risque. L’agence alimentaire européenne conseille de ne pas dépasser 4ng de certains PFAS par kilo de poids corporel. Pour un nourrisson de Ternay, cette valeur est rapidement dépassée. Le principe de précaution, brandi par les associations luttant contre les PFAS, semble enfin avoir été retenu. "Il a été décidé qu’avec les dépassements que l’on avait, et avec les connaissances scientifiques que l’on avait, on entrait dans une logique de plan d’action et on demandait aux collectivités locales de nous proposer des mesures pour revenir, le plus rapidement possible, en dessous de la limite de qualité européenne", explique Aymeric Bogey, directeur de la santé publique à l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes.
De l’action, c’est ce que demandaient les habitants des zones concernées par la pollution aux PFAS, au sud de Lyon, notamment. Mais les pouvoirs publics locaux, qui ont entamé les investigations de manière "volontaire" en mai 2022, manquaient jusqu’ici d’une ligne claire et nationale pour agir sur la problématique des PFAS, pourtant loin d’être circonscrite à la seule région AURA.
Selon nos informations, l'État a un temps envisagé de proposer aux collectivités concernées de faire des demandes de dérogations à l’application de la norme européenne, comme il est courant de le faire sur d’autres types de polluants. Mais devant le refus de certaines collectivités, les différents ministères concernés ont dû revoir leur copie et se résoudre à trouver des solutions.
En octobre dernier, une réunion interministérielle a abouti à une ligne directrice claire : au-delà de deux dépassements de la norme européenne sur un an, la collectivité en charge de la gestion de l’eau potable doit proposer un plan d’action sous deux mois et faire réaliser les travaux dans les trois ans.
"Les solutions sont en général de deux types : c’est soit le traitement par charbon actif, qui se révèle très efficace, les charbons absorbant les PFAS qui ne se retrouvent plus de ce fait dans l’eau qui est distribuée à la population, soit un système d’interconnexion", détaille encore Aymeric Bogey, de l’ARS. "En se connectant à d’autres réseaux d’eau, on peut ou diluer la ressource, voire se priver du captage problématique".
“L’eau paye l’eau”
Charge, donc, à la collectivité de trouver la meilleure solution... Et de payer la facture. "Le principe général, c’est que l’eau paye l’eau", admet Christel Lamat, responsable régionale des eaux à l’ARS. Si des pistes de subventionnement sont actuellement "en cours d’étude", c’est au gestionnaire de l’eau potable qu’il incombera d’investir et aux usagers d’assumer l’augmentation du prix de l’eau.
Une perspective qui déplaît fortement aux collectivités concernées. Si la plupart des élus contactés tiennent à rester discrets, la "phase active" fait grincer des dents. Outre les délais extrêmement courts pour proposer un plan pertinent, le "désengagement" de l’État passe mal auprès de maires qui ont découvert la problématique PFAS ces derniers mois, quand les pouvoirs publics la connaissaient depuis plusieurs années.
Sur les huit situations problématiques dans la région, deux gestionnaires ont déjà opté et fait installer une station de filtration, à Valence et à Rumilly. Trois autres ont déjà proposé un plan d’action, sans que le détail de celui-ci ne soit encore communiqué.
Les pouvoirs publics affichent donc leur détermination à prendre le problème des PFAS à bras le corps – quitte à mécontenter les gestionnaires qui vont se dépatouiller du dossier.
Au total, plus de 166 000 habitants sont toujours concernés par la présence de ces polluants éternels dans la région.
Traiter le problème à la source
Mais l’installation de stations de filtration ou la dilution d’une eau polluée à chaque fois que c’est nécessaire sont-elles suffisantes ?
“L’objectif, c’est quand même de réduire la pollution à la source”, promet encore l’ARS. Comprendre : d’amener les industriels à réduire leurs rejets de PFAS dans l’eau. Cependant, aucune réglementation n’existe encore sur le sujet et les prérogatives des pouvoirs locaux en la matière restent limités.
Par ailleurs, la norme européenne - applicable sur l’intégralité du territoire français à partir de 2026 seulement - ne concerne pour l’instant que 20 molécules PFAS. Les substances de substitution aujourd’hui utilisées par les industriels n’en font pas partie. Par exemple, le 6:2 FTS employé par Arkema n’est pas recherché dans les captages d’eau potable, alors que le gouvernement italien vient, lui, de l’introduire dans sa retranscription nationale du texte européen.