Malgré les dons de ces dernières semaines, les Restos du cœur vont devoir "refuser du monde" dès novembre, à l'ouverture de la campagne d'hiver. Une première dans l'histoire de l'association lancée en 1985 par Coluche. Dans les centres, les bénévoles devront appliquer les nouvelles règles.
"Les Restos du cœur ne sont pas dimensionnés aujourd'hui pour distribuer 170 millions de repas, pour accueillir 1,3 million de personnes", a déclaré le 4 octobre, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, Jean-Yves Troy, le délégué général de l'association.
"Face à cette "hausse massive et brutale" des demandes dans un contexte de forte inflation, "nous allons refuser du monde pour la première fois de l'histoire des Restos du cœur" à partir du mois de novembre, a annoncé le responsable. "Nous allons aussi donner moins en quantité". Un coup de tonnerre pour l'association de Coluche. Comment se traduit cette annonce dans les antennes régionales ? Exemple à Lyon, au centre de Gerland qui accueille des bénéficiaires des 7ᵉ et 8ᵉ arrondissements.
Hausse des besoins et restrictions à venir
Le centre de Lyon-Gerland est l'un des plus importants de la métropole lyonnaise. Près de 4000 familles viennent chercher colis, repas et aide alimentaire. Et les besoins ont augmenté ces derniers mois. En deux ans, le centre a enregistré une hausse très nette des demandes de carte de bénéficiaire. L'association se dit dépassée et va devoir appliquer des restrictions.
"Dans le Rhône, on est dans les mêmes proportions qu'au niveau national. On est entre 20 et 25% de progression. On va s'appliquer à mettre en œuvre toutes les mesures décidées au niveau national. On va devoir prendre des mesures de restrictions", annonce Jean-Marc Prot, responsable des Restos du cœur dans ce département.
On va probablement ne pas pouvoir accueillir autant de personnes que prévu et on va probablement aussi diminuer le nombre de repas attribués à chacune de ces personnes.
Jean-Marc ProtPrésident Restos du coeur du Rhône
Les mesures de restriction s'appliqueront dès le mois de novembre avec le coup d'envoi de la campagne d'hiver des Restos du cœur. Les bénévoles sont en première ligne.
"Reste à vivre" et nouveaux barèmes
Lors de la constitution d'un dossier, les bénévoles examinent la différence entre les charges et ressources pour déterminer si une personne a le droit au colis alimentaire.
"On travaille avec une notion : celle du reste à vivre. On a besoin de connaître les ressources de nos bénéficiaires, mais aussi leurs charges. La plupart du temps, c'est le loyer et l'énergie. La différence entre les ressources et les charges, c'est le reste à vivre qui permet de voir si la personne entre dans les barèmes d'attribution de l'aide alimentaire aux Restos", explique Anne-Marie Vallucci, une bénévole.
Pour des gens qu'on a l'habitude de servir depuis des années, comment leur expliquer qu'on ne pourra plus le faire si les barèmes changent ?
Anne-Mariebénévole, Restos du coeur
Les barèmes vont changer. Les bénévoles sont formés et se préparent aux changements de la prochaine campagne. "Quand on va commencer la campagne d'hiver, en novembre, on sera amené à expliquer aux gens quelles sont les nouvelles règles qui entreront en vigueur. C'est toujours difficile de dire non à des gens en situation difficile, mais on a aussi l'habitude de le faire au moment des inscriptions". Les bénéficiaires sont généralement accueillis par un binôme de deux bénévoles pour constituer les dossiers.
"Si on est bénévole aux Restos, c'est parce qu'on aime accompagner les personnes en situation difficile", explique Anne-Marie. Détresse, tristesse ou colère... Les petites mains des Restos s'attendent à toutes les réactions de la part de ceux qui risquent de ne plus rentrer dans les critères d'attribution de l'aide alimentaire.
"À partir du moment où on leur donne un peu de notre temps, ils sont compréhensifs, mais ça n'exclut pas des réactions de tristesse, voire de colère. Mais on est là aussi pour les gérer", ajoute Jean-Claude Janin-Reynaud, un autre bénévole du centre de Gerland. Il va falloir faire prendre conscience aux gens que "parfois certains sont davantage dans le besoin qu'eux. Chaque personne qui vient s'inscrire, c'est un désespoir. Mais ils n'ont pas toujours conscience de leur niveau, un niveau qui peut justifier un refus".
Le calcul du reste à vivre va changer, cependant l'aide reste "inconditionnelle" précise Jean-Marc Prot. "Même si une personne ne pourra pas être accompagnée dans l'aide alimentaire, elle le restera sur toutes les aides à la personne", assure-t-il. "On va faire comme d'habitude, on va essayer de prendre en considération la personne face à nous et l'accompagner de notre mieux", conclut Anne-Marie.
Pression foncière
Dans le Rhône, les Restos aident 40 000 personnes. Les dons restent soutenus. L'engagement des 3000 bénévoles ne faiblit pas non plus. Mais l'association de Coluche souffre, elle aussi, de la crise. Ses implantations dans l'agglomération sont remises en question. Pour l'antenne de Gerland, l'échéance se rapproche : il faut trouver un nouveau lieu d'ici à un an. "Nous n'aurons plus à disposition ce site dans un an et je n'ai pas à ce jour trouvé de solution de remplacement, une solution qui soit dans nos moyens. On n'a pas de solution pour demain", explique Jean-Marc Prot. "La pression foncière dans les métropoles est si importante, que nous sommes en concurrence avec d'autres locataires potentiels et nous n'avons pas les mêmes moyens".
Même problématique pour le site logistique de Villeurbanne et son entrepôt de 3000 m². Le centre logistique dessert tout le département. Cinq millions de repas par an transitent par ce centre. Son bail arrive à échéance dans quelques mois. Les Restos du cœur du Rhône en appellent aux pouvoirs publics pour trouver une solution.
Des dons, mais pas de solution pérenne
L'association fondée par Coluche, qui assure 35% de l'aide alimentaire en France, avait déjà lancé un cri d'alarme le 3 septembre dernier en prévenant qu'elle allait être contrainte de restreindre le nombre de ses bénéficiaires. À la suite de cet appel, les annonces de dons se sont multipliées, dont une de 10 millions d'euros provenant de la famille de Bernard Arnault, propriétaire du numéro un mondial du luxe LVMH. Le gouvernement a de son côté promis une aide de 15 millions d'euros. "Ces aides ne remettent pas en cause les restrictions d'accès, aucune solution pérenne n'ayant été trouvée pour les années à venir," a souligné Jean-Yves Troy, ce mercredi.