Mouvement #Metoo, dénonciation de l'inceste, en pleine période de libération de la parole, à l'école, l'ensemble des séances d'éducation à la sexualité n'est pas assuré. Manque de personnel formé, absence de programme clair, pression de parents, comment s'en sortent les acteurs de terrain ?
Depuis 2001, l'éducation à la sexualité est obligatoire dans le parcours scolaire des enfants de primaire, du collège et du lycée. Dans les faits, tous les élèves n'en bénéficient pas. En mars dernier, le Planning familial, Sidaction et SOS homophobie ont saisi le tribunal administratif de Paris pour demander l'application de la loi, mettant en avant que 67 % des jeunes de 15 à 24 ans n'ont pas eu leurs trois séances annuelles obligatoires.
20 % des jeunes ont déjà subi des violences sexuelles
En octobre, l'association Apprentis d'Auteuil a dédié son baromètre annuel à "l'éducation amoureuse et sexuelle des 16-20 ans". Un quart des jeunes interrogés déclarent ne pas avoir eu de séance d'EARS (Éducation affective, relationnelle et sexuelle) au cours de leur scolarité.
"La loi de 2001 fait partie de l'éducation au sens large. Laisser au seul cercle familial l'éducation à la sexualité et à la vie affective, c'est ne pas donner assez d'information et d'espace aux jeunes pour qu'ils fassent leur choix", alerte Hélène Sauvez, directrice régionale AURA des Apprentis d'Auteuil.
Des manquements sur les séances d'éducation à la sexualité qui alertent l'association, quand en Auvergne-Rhône-Alpes, 20 % des jeunes sondés indiquent avoir subi un viol ou une agression sexuelle par un autre jeune. Plus de la moitié des victimes explique ne pas s’être sentie soutenue ou ne pas avoir trouvé d'interlocuteur.
Fronde contre l'éducation à la sexualité
Sur son site internet, le ministère de l'Éducation précise pourtant que les séances d'éducation à la sexualité doivent être assurées en primaire et dans le secondaire. À l'école, des "temps doivent être identifiés comme tels dans l'organisation de la classe et être intégrés aux enseignements". La durée et le nombre de séances ne sont pas précisés, l'organisation repose sur les professeurs. Au collège et au lycée, ce sont trois séances annuelles qui doivent être mises en place.
Une éducation à la sexualité à laquelle s'opposent des parents. En septembre, en Belgique, le programme EVRAS (Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) a fait l'objet de nombreuses fausses informations sur les réseaux et provoqué la colère de parents ultraconservateurs. Des écoles ont même été vandalisées et incendiées.
Le sujet a dépassé les frontières belges. Sur les réseaux sociaux, des fausses informations ont également circulé, mettant en avant que cette "loi Evras" concernerait aussi la France. L'éducation à la sexualité à l'école est critiquée par le réseau "Parents vigilants". Un réseau lancé par Eric Zemmour et son parti Reconquête, qui encourage les candidatures aux élections de parents d'élèves. Sur leur site, une pétition dénonce entre autres "l'idéologie déconstructiviste", la "soupe LGBT".
"La plupart des parents n'ont pas reçu cette éducation à l'école, c'est normal qu'ils se posent des questions, analyse Hélène Sauvez. Les séances sont adaptées à l'âge des enfants et il faut être dans une position d'écoute."
Comment ça marche ?
Dans le secondaire, les séances sont assurées par des professeurs, des conseillers principaux d'éducation ou encore des infirmiers scolaires volontaires, qui doivent suivre une formation de six jours. Des partenaires extérieurs agréés par l'État ou l'académie peuvent aussi assurer des séances, indique le ministère de l'Éducation nationale.
Problème, par manque de moyens et d'intervenants formés, l'ensemble des séances ne peut être assuré. "Dans mon lycée, on n'est que deux à être formés. On doit toujours intervenir en binôme, avec une moitié de classe, les séances s'ajoutent à nos autres missions, explique Gwenaëlle Durand, infirmière scolaire dans l'Ain et secrétaire générale de SNIES UNSA (syndicat des infirmières et infirmiers scolaires). Je ne connais pas une collègue qui réussit à faire les séances avec toutes ses classes, alors on cible certaines années".
"À la fin du collège, en SVT, ils ont des cours sur la sexualité. Mais en seconde, on s'aperçoit qu'ils ont déjà oublié beaucoup de choses. Quand certains parlent du retrait comme technique contraceptive, c'est inquiétant. Il faut donc faire des points réguliers, tout au long de la scolarité."
Gwenaëlle Durand,infirmière scolaire
Pour l'infirmière, l'arrivée des Parents vigilants aux élections de parents d'élèves pourrait mettre la pression au personnel éducatif. "On a toujours eu des parents qui ne mettaient pas leurs enfants à l'école les jours où on fait les interventions. Mais il faut qu'on fasse ces séances. La santé sexuelle fait partie de la santé et l'éducation à la sexualité permet d'aborder les causes de harcèlement, c'est donc essentiel pour une bonne vie scolaire."
"On a une institutrice qui a hésité à mettre une affiche sur la reproduction des abeilles dans sa classe de CM1-CM2. C'est quand même fou, on parle de biologie !"
Gwenaëlle Durand,infirmière scolaire
Libération de la parole
Les établissements peuvent aussi solliciter l'intervention d'associations agréées par l'État ou l'académie. C'est le cas d'AISPAS dans la Loire, une association de prévention des violences sexuelles et d’accompagnement des victimes.
Avec la campagne gouvernementale sur l'inceste, l'association indique être de plus en plus sollicitée par des personnes victimes."On encourage les enfants à parler, mais si on ne met pas les moyens en face, ça ne sert à rien, c'est un sparadrap sur une jambe de bois, prévient Catherine Astor, juriste et formatrice de l'association. Depuis le mouvement #Metoo, la parole se libère, les gens parlent de plus en plus."
"Quand dans chaque classe, entre deux et quatre enfants sont concernés par des agressions sexuelles, c'est important d'avoir ces séances d'éducation à la sexualité. Sinon, on se cache derrière notre petit doigt."
Catherine Astor,association AISPAS
L'association espère un vrai plan de la part du gouvernement pour former les enseignants, donner des moyens aux associations pour répondre à la demande et mettre en place un vrai programme. Catherine Astor l'assure, on peut commencer l'éducation à la sexualité dès la fin de la maternelle. "Évidemment, on ne va pas parler de n'importe quoi, on ne va pas parler de masturbation comme certains s'imaginent, mais on peut faire de la prévention, parler de leur corps, de leurs émotions, du respect de leur périmètre, de la loi, dire qu'il y a des parties du corps qui sont plus intimes et qu'il faut les protéger... Il est possible de faire comprendre à un enfant de maternelle ce qu'est le consentement, et que ton corps, c'est ton corps."
En juin dernier, Pap Ndiaye, précédent ministre de l'Éducation nationale, annonçait vouloir qu'un programme scolaire clair soit établi par niveau pour l'éducation à la sexualité.