La ministre de l'Éducation, Amélie Oudéa-Castéra a présenté des excuses officielles au corps enseignant après ses propos sur l'absentéisme dans les écoles publiques. Pour Jessica Martin, enseignante à Lyon, les politiques des dix dernières années aboutissent à une dévalorisation du système scolaire public au profit des établissements privés. Entretien.
Jessica Martin a été enseignante pendant six ans à Givors dans un établissement pour lequel elle s'est battue, espérant le voir classer en réseau d'éducation prioritaire. Depuis six ans, elle est professeure de lettres dans un collège de Lyon classé REP, dans le 9ᵉ arrondissement et professeure principale d'une classe de troisième.
Comment avez-vous reçu les propos de la ministre ?
Ce qui me choque, ce n'est pas qu'une ministre mette ses enfants dans le privé. Ce n'est pas la première et c'est loin de faire scandale. Ce qui me met en colère, c'est qu'elle dénonce les problèmes de remplacement. S'il n'y a pas de remplacement, c'est parce que ce métier ne fait plus envie aux gens. Elle met en avant le bonheur de ses enfants et on peut la comprendre, mais ce qui est désespérant, c'est que l'école publique n'apporte pas ce bonheur aux enfants car ce n'est pas en paupérisant notre métier et nos conditions de travail qu'on va y arriver. Depuis Blanquer (ministre de l'Éducation de 2017 à 2022, ndlr), on a une politique pour faire en sorte que les élèves aillent dans le privé.
À quoi le choix du privé tient-il selon vous ?
La question de la belle mixité sociale n'est plus possible. J'habite à Lyon, dans le quartier de Valmy dans le 9e arrondissement. Un quartier mixte où cohabitent des familles CSP+ (classes socio-professionnelles supérieures) et des habitants de quartiers populaires. Notre collège devrait être à l'image de notre quartier sauf qu'il n'y a aucune mixité. Les familles qui font le choix de rester dans le public constatent souvent que les élèves qui ne posent pas de problèmes en pâtissent. Il n'y a plus d'accompagnement individualisé, pas assez d'orientation.
En fait, on nous demande de garder les gamins.
Jessica Martin, professeure de lettres
On a des élèves qui ne sont pas scolaires et on ne peut pas faire de suivi individualisé. On doit gérer des questions sociales, parfois même économiques. Quand j'ai le temps de préparer un cours et que ce cours se passe comme prévu, j'ai l'impression de faire mon métier mais je trouve que ça n'arrive pas assez souvent. En tant que prof principale, la gestion des élèves, des familles et des orientations, correspond à un plein-temps parfois.
Avez-vous le sentiment de ne pas remplir votre mission ?
Nous faisons de notre mieux. Nous sommes nombreux à être engagés pour un service public de l'éducation, mais parfois même les plus militants d'entre nous sont fatigués. Moi, je suis fatiguée du système. Après le meurtre de Dominique Bernard à Arras, quand il s'agit de harcèlement, de respect de la laïcité, de lutte pour l'égalité entre filles et garçons, on nous demande d'être mobilisés. Mais on ne nous donne pas les moyens de l'être ni de mener nos actions. C'est hypocrite de mettre l'école en avant alors que rien n'est fait ni pour les agents, ni pour les élèves, ni pour nous. Il y a trop de choses qui reposent sur la volonté individuelle et à la fin, nous finissons par être désespérés.
60 postes supprimés dans le Rhône
Lors d'une conférence de presse, ce mardi 16 janvier 2024, le rectorat a annoncé la suppression de 60 postes dans le Rhône. Un choix justifié par la perte de 3100 élèves à la rentrée 2024. Les effectifs d'enseignants seront cependant identiques dans la Loire et l'Ain se verra doté de 19 postes supplémentaires. La direction académique du Rhône n'a pas encore indiqué où des classes pourraient fermer.
"On est très en colère, on perd des postes alors qu'on a des dizaines de classes non remplacées. On n'a pas une semaine où il n'y a pas des collègues qui nous appellent pour nous demander comment démissionner ou obtenir une rupture conventionnelle alors qu'avant c'était vraiment à la marge" explique Fabien Grenouillet, secrétaire départemental du syndicat FSU SNUIPP. Sans doute des enseignants, eux aussi, fatigués par le système public.