VIDÉO. "Situation dramatique" dénoncée au nouveau centre de rétention de Lyon

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Visite inopinée au sein du nouveau centre de rétention administrative de Lyon Saint-Exupéry. ©France Télévisions

Alerte du barreau des avocats de Lyon sur la situation jugée dramatique au sein du nouveau centre de rétention de Saint-Exupéry. Bâtonnière et parlementaires dénoncent des violences et conditions de vie après une visite inopinée sur les lieux. Reportage.

Des dysfonctionnements particulièrement graves. Ce mardi 18 avril 2023, Marie-Josèphe Laurent, bâtonnière, et Thomas Dossus, sénateur du Rhône, ont tenu une conférence de presse pour alerter sur la "situation dramatique" au sein du nouveau centre de rétention administrative de Lyon Saint-Exupéry.

Inauguré en juillet 2022 par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, le CRA n°2 est un site pilote qui a vocation à servir de modèle pour les nouveaux centres de rétention construits en France. C'est ce qui inquiète les avocats spécialisés dans la défense des droits des étrangers. Signalements de violences, rations alimentaires insuffisantes. L'ordre des avocats a effectué une enquête auprès des personnes retenues, suivie d'une visite inopinée dans le centre en présence d'une de nos équipes de reportage.

Une enquête aux chiffres alarmants

"Nous avons été alertés par plusieurs sources différentes d'une situation absolument catastrophique au centre de rétention 2", nous indique Me Alain Couderc. Et pour planter un peu plus le décor avant même la visite inopinée au sein du CRA, l'avocat, membre de la commission droit des étrangers du barreau de Lyon, énumère. "Nous avons eu des alertes de la part de médecins, nous avons eu des alertes de la part des personnes retenues qui font état de violences dont ils sont témoins ou victimes. De violences policières, de violences entre retenus du fait qu'ils ne sont pas suffisamment alimentés."

En février 2023, pour jauger la situation, l'ordre des avocats a établi un questionnaire sur les conditions de rétention à Lyon. 75 personnes y ont répondu, dont une majorité retenue dans le nouveau centre pilote.

"Les gens peuvent rester 3 mois là-bas. Il y a une obligation d'organiser des activités pour occuper les retenus. 98 % nous disent qu'il n'y en a aucune. Les rations alimentaires sont jugées insuffisantes par 88 %. Victimes de violence : 33 % Victimes de vol : 15 % Témoins de violence : 70 %", pointe Me Alain Couderc.

Cela nous donne une idée de l'ambiance totalement délétère qui règne dans ces locaux.

Me Alain Couderc,

avocat, droit des étrangers

À la suite de cette enquête, le barreau de Lyon a immédiatement lancé l'alerte auprès de la contrôleure générale des lieux de privation des libertés, et à la défenseure des droits. Et la visite inopinée est programmée.

"Ils n'ont pas à être traités comme des détenus"

Le 14 avril 2023, la bâtonnière Marie-Josèphe Laurent, Thomas Dossus, sénateur du Rhône et Marie-Charlotte Garin, députée de la 3e circonscription du Rhône, se rendent au CRA n°2. Forts de leur statut de parlementaire et de bâtonnière, ils viennent vérifier sur le terrain, les résultats de l'étude comparative réalisée en amont.

L'environnement est ultra-sécurisé, donnant immédiatement l'impression que le centre fonctionne sur le modèle pénitentiaire. Un homme déclare qu'il a passé deux mois en prison. "C'est mieux là-bas. Je préfère être là-bas que par ici", nous dit-il.

Ces conditions d'enfermement et leurs conséquences, les salariés de Forum Réfugiés, en charge de l'accompagnement juridique des retenus, peuvent en témoigner. "Une personne qui va arriver en pleine possession de ses moyens, on va la voir décompenser au fur et à mesure des semaines. Jusqu'à ce que, à un certain stade où ils sont à 2 mois, 2 mois et demi de rétention, faute de soins, faute de suivi, faute de contacts avec l'extérieur ou avec leur famille, une faille psychique va prendre des proportions qui ne sont pas gérables".

Les tensions sont permanentes. Les agressions physiques ou verbales se multiplient. Les intervenants de Forum Réfugiés ont fait valoir leur droit de retrait et suspendu leurs interventions à plusieurs reprises. L’équipe médicale des Hospices Civils de Lyon, elle, s'est retirée et c’est une société privée qui assure le service médical.

Thomas Dossus, sénateur EELV du Rhône, avait visité ce nouveau centre de rétention il y a un an. Et son constat est sans appel. "Les conditions se sont clairement dégradées. Les conditions de vie pour les retenus, et l'ambiance entre retenus dans le bloc... La tension est montée d'un cran. Il y a une vraie souffrance des personnes qui sont retenues ici", nous dit-il.

Ici, c'est un établissement pilote. Ça ressemble de plus en plus à une prison sans avoir les mêmes suivis qu'en prison. Ici, les personnes se retrouvent dans des conditions beaucoup plus dures à vivre psychologiquement pour elles.

Thomas Dossus,

sénateur du Rhône

Un univers complètement carcéral avec des portes partout. Selon l'élu, "la liberté qu'on devrait avoir un peu plus en rétention est complètement absente ici."

Réponse de la préfecture du Rhône

"On est dans une situation totalement catastrophique et, en fait, dans une zone de non-droit qui est en train de s'installer. Ce qui est d'autant plus grave que c'est un centre pilote. C'est-à-dire que si nous ne réagissons pas à ce stade-là, le même système va s'installer dans les nouveaux centres de rétention qui vont être créés partout en France", rappelle Me Alain Couderc.

À la suite de la diffusion de ce reportage et de la publication de cet article, la préfecture du Rhône tient à souligner que le profil des personnes retenues, en instance d'expulsion, a évolué. "Sont prioritairement placés en centre de rétention, les individus créant un trouble à l'ordre public (délinquants ou sortants de prison)." Et les effectifs dédiés à la mission de surveillance ont été renforcés.

Les autorités travaillent avec l'ensemble des parties prenantes afin de "parvenir au meilleur équilibre possible" afin d'assurer la sécurité de tous : policiers, partenaires et retenus.

Au 31 mars 2023, et depuis le début de l'année, 745 personnes ont été placées dans les deux antennes du centre de rétention administrative de Lyon. Et la préfecture de préciser qu'entre le centre historique et le nouveau, "la capacité totale des 2 CRA de Lyon est de 280 personnes."

Concernant la hausse des effectifs de police pour faire face au sentiment d'insécurité, les autorités répondent que "des policiers de la PAF sont notamment présents dans la zone d’accès contrôlé" et que les "personnels du CRA ont développé leurs capacités de médiation et ont modifié leurs modalités d'intervention pour éviter les rixes, notamment en faisant un usage optimisé de la vidéosurveillance et de la caméra piéton."

Concernant les plaintes pour atteintes au personnel ou violences entre détenus, "elles sont systématiquement prises en compte par le Parquet puis par l’entité judiciaire avec mise à disposition des images qui facilitent le travail d’enquête."

Les services de la préfecture du Rhône rétorquent également que l'accès aux soins médicaux est également assuré cinq demi-journées par semaine. "À noter que toutes les urgences font l’objet d’un avis médical du médecin de permanence – à défaut un appel SAMU – puis d’une escorte (24h/7J) vers l’hôpital le plus proche si le diagnostic le nécessite." Passe-plat pour la distribution des médicaments, salle d'attente dans le centre historique de rétention, présence systématique d'un policier au sein du pôle de santé et installation d’un sas de sécurité sont également évoqués.

Un rapport attendu

Alertée notamment par le barreau des avocats de Lyon, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, quatre enquêteurs ont été dépêchés au sein du nouveau centre de rétention. Ils y ont passé quatre jours afin de constater par eux-mêmes les éventuels dysfonctionnements. Leur rapport est très attendu.

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