Thomas Millot exerçait depuis 5 ans le métier de médecin au centre de rétention administratif de Lyon Saint-Exupéry. Le 15 décembre 2022, il démissionne et publie une lettre ouverte dans laquelle il dénonce un système générateur de violence pour les détenus comme pour les employés.
"Après 5 années d'exercice de la médecine en centre de rétention administrative, je quitte mon poste en raison de l'impossibilité d'y exercer mon métier". C'est sur ces mots que Thomas Millot démissionne de son emploi de médecin au centre d'accueil des sans-papiers de Lyon Saint-Exupéry.
Il y observait, désemparé, ses conditions de travail se détériorer au fur et à mesure des années. Dans une lettre ouverte, le praticien met en lumière la violence endémique présente dans cet établissement complètement abandonné par les pouvoirs publics.
"Je suis allé au centre de rétention en sachant pertinemment que j’allais faire de la médecine humanitaire. J'y suis allé en connaissance de cause et sachant que j’allais devoir assurer un système D pour essayer de trouver des solutions à des problèmes probablement trop importants", explique Thomas Millot.
"C’est comme si j’étais une sorte de verrue qui, de temps en temps, fait un peu mal"
Mais il n'était visiblement pas prêt à une telle situation. "Je savais que ça allait être difficile, mais je ne m’attendais pas à autant d’abandon de la part des Hospices Civils de Lyon (HCL)", souligne le praticien, qui assurait 4 matinées de permanences médicales sur les 5 de la semaine. Chargé d'organiser les soins sur la base d'une convention signée avec la Préfecture de Lyon, le service médical est aux abonnés absents lorsqu'il s'agit de faire venir un psychologue, un dentiste ou encore un addictologue pour les 140 résidents du centre.
"J’ai envoyé pendant 5 ans des alertes, des mails et je n’ai eu aucune réponse. C’est comme si j’étais une sorte de verrue qui, de temps en temps, fait un peu mal. Je n'avais aucune écoute."
Thomas Millot.Ancien médecin au centre de rétention administratif de Lyon Saint-Exupéry
Le médecin se souvient d'un patient qui, visiblement, s'était cassé le bras en se battant. Il ne criait pas, ne semblait pas paralyser par la douleur. Après des jours à décaler le rendez-vous en espérant qu'une escorte se libère pour l'accompagner, le médecin a fini par laisser tomber. "Au bout d’un moment, on abandonne. On finit par enlever le plâtre et on se rend compte qu’il a moins mal. Est-ce que c’était cassé, est-ce que ce n’était pas cassé, au final, on n’en saura rien", ajoute-t-il. Un problème récurrent dans le service.
De son coté, la Préfecture répond en rappelant la présence permanente d'un policier dans l'unité médicale du centre. "En plus, dans l'objectif d'améliorer les conditions de travail, plusieurs réunions se sont tenues avec les différents acteurs, que ce soit avec l'Office Français de l'immigration et de l'intégration (OFI), le HCL et le CRA", explique Clément Coti, adjoint à la communication de la Préfecture.
Un centre pénitentiaire, pas un centre de rétention
En janvier 2022, alors que le médecin travaille au CRA de l'autre côté de l'aéroport, il se voit contraint, avec son équipe, de déménager 2 kilomètres plus loin, dans un nouveau bâtiment. Le problème, ce dernier est construit de toute pièce pour faire uniquement de la rétention administrative et de l’expulsion, oubliant le volet social.
"C’est un centre pénitentiaire, ni plus, ni moins, qui enferme des gens avec énormément d’artifices de sécurité, avec des herses qui se ferment, avec des barbelés. Tout est blindé, tout est blanc, tout est silencieux, c’était absolument horrible. Pour nous, ça a tout changé. On ne peut pas fabriquer une prison et décider que dedans on enferme des gens, on ferme la porte et puis c’est tout."
Thomas Millot.Ancien médecin au Centre de rétention administratif de Lyon Saint-Exupéry
Pas de surveillants, pas d'activités, le médecin regrette l'ancien centre, bâti dans un hôtel formule 1 et articulé autour d'une cour et ses diverses activités. "On a organisé des concerts, des tournois de ping-pong, des activités d’écriture là-bas. On réussissait à donner du sens à ce que l’on faisait malgré l’absence de moyens qui nous étaient donnés", ajoute-t-il. Dans le nouveau centre, les policiers manquent à l'appel et toutes les infrastructures sont pensées par un personnel bureaucratique qui ne connaît rien à la réalité de l'enfermement.
"On enferme toute la délinquance locale au même endroit sans aucune surveillance"
Pour Thomas Millot, "cette promiscuité permanente crée une agressivité et une violence très importante qui influe sur tout le monde". Les sans-papiers sont laissés plusieurs heures de la journée dans un espace uniquement contrôlé par les caméras de surveillance. Aucun policier, aucun agent n'est présent pour régler les conflits.
Or, cette zone, les résidents la partagent avec les services médicaux, les juristes de Forum Réfugiés et les médiateurs de l'OFI. Résultat, "il y a des infirmières qui viennent, qui partent, qui viennent, qui partent parce que c’est tout simplement impossible de travailler dans ce contexte-là", se plaint le médecin qui depuis des années remarque un changement dans le profil des résidents du centre.
"Auparavant, les CRA servaient à la préfecture à faire de l’éloignement. C'est-à-dire qu’une fois que les dossiers administratifs étaient bouclés, les individus arrivaient au CRA de manière à pouvoir être expulsés. Maintenant, c’est devenu une espèce de variable d’ajustement de la délinquance et quand il y a un délinquant sans-papiers, le préfet décide de l’envoyer au CRA".
Thomas MillotAncien médecin au CRA de Lyon Saint-Exupéry
Un certain nombre des résidents finissent par être expulsés, mais une majorité ressort au bout de quelques mois, sans aucun jugement. "On enferme toute la délinquance locale au même endroit, sans aucune surveillance, sans lien, sans projet, sans procès. C’est une espèce de poudrière, c’est très explosif", conclut Thomas Millot avant d'ajouter "nos impôts ne servent plus vraiment à faire de l’éloignement, ils servent simplement à enfermer des gens en dehors de tout procès".
Un contrôle qui échappe aux agences régionales de santé
Le médecin a contacté l'Autorité régionale de santé, mais l'organisme se retrouve lui aussi face à un mur. "Ils m’ont assez rapidement dit qu’ils n’avaient absolument aucun pouvoir au CRA. Ça leur échappe complètement", explique-t-il. Et face à un interlocuteur policier qui ignore tout de ces problématiques, Thomas Millot a préféré partir.
Au-delà de la Préfecture, c'est la législation qui doit changer. La dernière loi qui encadre la prise en charge des détenus date de 1999. Les données y sont en francs, la rétention y était alors de 13 jours contre 90 aujourd'hui. "Le truc est complètement caduc", conclut le praticien, aujourd'hui responsable de l'unité sanitaire de la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône.
Pour lui, "le système est quand même extrêmement bien verrouillé par le ministère de l’Intérieur pour faire en sorte que ce qu’il se passe dans le centre soit complètement opacifié".