Ressources Urbaines : A Vaulx-en-Velin, près de Lyon, (Rhône), les parents viennent au collège pour prendre des cours de français. A Valence, un collectif de mamans plaide pour plus de services publics. Rencontres de banlieusards déterminés à changer le regard porté sur eux.
Dossier bleu sous le bras, Ahlem Boulifa vient de franchir la grille du collège Henri Barbusse de Vaulx-en-Velin. Elle a 15 minutes d'avance. Puis arrivent une dizaine d'autres participants, tous parents d'élèves, principalement des femmes, venues assister à leur cours hebdomadaire de français.
Le temps que tout le monde s'installe et l'animatrice débute son cours. Thème du jour : comment exprimer l'obligation? Grammaire, conjugaison, vocabulaire, ces cours sont axés sur la vie scolaire et la parentalité.
"J'ai amélioré mon français. J'ai appris beaucoup et maintenant je fais des exercices en même temps que mes enfants et ça nous motive tous", raconte Mahmoud Chaambaili, père d'élève et seul homme présent ce jour là.
Il reconnait sourire aux lèvres: "maintenant, je lis des livres. Avant, ça me traversait même pas l'esprit."
Ouvrir l'école aux parents
Ces cours s'inscrivent dans un dispositif appelé OEPRE : Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants. Une série d'actions sont ainsi menées pour rompre les barrières physiques et mentales entre l'institution scolaire et les familles.
"J'ai appris beaucoup. Au début, l'objectif c'était d'apprendre le français mais ça va plus loin. Avant j'avais du mal à communiquer avec les maîtresses de mes enfants, à suivre les cahiers de liaison. Mes enfants avaient des difficultés et je n'arrivais pas à demander des conseils. Dans les réunions de classe, j'avais peur de parler. Mais maintenant j'ai pris confiance, je communique mieux et je peux écrire des mots sur les cahiers de mes enfants".
Ahlem Boulifa est originaire d'Algérie. Dès qu'elle a su qu'il y avait des cours au collège, elle s'est inscrite. Arrivée en France il y a 13 ans, elle reconnait que ça a pris beaucoup de temps avant qu'elle ne se décide. Mais elle n'avait jamais trouvé de cours réguliers et accessibles. Selon elle, c'est aussi une question de déclic et de bonnes conditions réunies pour apprendre. Mère de deux enfants, elle apprécie les rencontres, "avec d'autres mamans, on échange des expériences sur l'éducation de nos enfants".
Sa voisine de table prend la parole. "On s'est rencontrées dans ces cours. On était voisines mais on ne se connaissait pas vraiment. J'ai appris le parcours scolaire de mes enfants. Avant, j'attendais les réunions pour avoir les informations. Maintenant, je comprends le parcours scolaire de mes enfants. Nous, on apprend le français au pays, mais quand je suis arrivée il y a dix ans, je n'ai pas travaillé et puis je me suis occupée de mes cinq enfants, je n'avais pas l'occasion de parler français" explique Khadija.
"On a commencé avec un atelier et on a vite été dépassés par les demandes des parents qui voulaient surtout s'impliquer dans la scolarité de leurs enfants. Maintenant on a 4 ateliers avec 20 parents inscrits et des listes d'attente importantes. On a une très grande demande, une très grande motivation", constate Léa Buatois, professeure de français langues étrangères.
"Ce dispositif permet de rapprocher les parents du collège, de les aider à trouver leur place au sein de l'établissement. Les élèves les voient au collège et ils regagnent ainsi une place légitime. De nouveaux liens se créent entre les parents et l'équipe éducative" explique Naïma Longeon, coordinatrice du dispositif.
"Au collège, les parents viennent moins qu'à l'école primaire, les parents sont intimidés car les portes du collège sont moins facilement ouvertes que celles de l'école. Là, le fait d'entrer pour suivre les cours, les parents viennent plus librement rencontrer les professeurs".
"Je pense que ces ateliers permettent d'avoir confiance en soi mais il y a d'autres besoins langagiers. Il n'y a pas assez de cours de français. On aurait besoin de plus d'ateliers.
Il faut qu'on puisse développer l'autonomie des personnes. Je pense que les parents ici ou ailleurs sont tout sauf démissionnaires. Ils ont besoin de clefs et une fois qu'ils les ont, ils ont envie de s'impliquer.
Léa BuatoisProfesseure de français langues étrangère
"Non c'est vrai, en banlieue, on n'a pas démissionné !", renchérit Ahlem.
Une image souvent négative
Les parents des quartiers prioritaires s'accordent souvent pour le dire : ils et elles sont souvent mal vus. Ou plutôt vus comme des parents qui ne s'occuperaient pas assez de l'éducation de leurs enfants.
Une image erronée et souvent véhiculée à travers les problèmes de délinquance et d'insécurité dans certains quartiers.
A Valence, le choix à été fait il y a un an et demi de mettre en place des mesures à l'encontre de parents dont les enfants posent problème. Une mesure décriée et souvent perçue comme stigmatisante.
Le maire, LR, Nicolas Daragon a décidé de supprimer plusieurs aides municipales, si l'un des membres d'une famille a été condamné pour des troubles à l'ordre public, s'il a fait l'objet d'un rappel à l'ordre, ou en cas de refus d'accompagnement de la part des parents.
"Je ne supporte plus qu'une minorité d'enfants bénéficient d'aides de la mairie alors qu'ils empêchent de vivre la majorité des habitants de leur quartier. On va taper là où ça fait mal!" avait-il déclaré dès le lendemain du vote de cette mesure.
Aucune sanction prononcée
"En un an aucune sanction n'a été prononcée. Cette mesure a été très caricaturée. Mon objectif n'est pas de dire que les parents ne s'occupent pas des gosses. Mais d'éviter qu'on nous dise : de quoi je me mêle quand on signale une difficulté. Les parents démunis acceptent qu'on les accompagne, mais ceux qui sont dans la provocation refusent les mesures éducatives. Alors avec ce dispositif on en a rattrapé quelques uns avant que les enfants tombent dans la délinquance."
Selon l'élu, il s'agit de travailler plus en détails sur certaines réalités transculturelles, sur la maîtrise du français ou encore le rappels des règles.
A Valence, l'actualité des deux quartiers prioritaires résonne trop souvent à travers des coups de feux, des histoires de trafic ou le son des rodéos. Du moins c'est ce que regrette un collectif de femmes engagées qui se mobilisent pour le pouvoir d'achat des familles, l'éducation et l'accès aux services publics.
"Quand il y a des problèmes, les parents se demandent ce qu'ils ont loupé" estime Sophie Mimoun, du collectif des Mamans indignées. "Les enfants en difficultés se retrouvent en conseil de discipline et les parents sont jugés avant même d'arriver. Du coup échanger, même entre nous, devient très compliqué car il y a un sentiment de honte".
Selon un sondage réalisé par l'Ifop en 2017, les quartiers prioritaires de banlieues sont des territoires plus violents que le reste du pays pour 82% des Français. Un Français sur deux estime que les trafics de drogues sont à l'origine de ce constat, et pour 30 % des personnes interrogées il y aurait "une démission des parents".
Aucun chiffre n'a permis de confirmer ces opinions y compris dans les communes qui ont pris des mesures de sanction des parents dont les enfants causent des troubles à l'ordre public. Selon Sophie Mimoun, du collectif des mamans indignées de Valence : "les parents démunis ne sont pas acceptés dans la société", un sentiment partagé par de nombreuses familles qui en ont assez d'"être mal vues".