Banlieues de Lyon : "Une crise majeure s'annonce!" Quand les quartiers n'ont de prioritaire que le nom

Elus, associatifs, travailleurs sociaux, policiers sont unanimes. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville à Lyon et dans plusieurs villes de sa banlieue les voyants sont au rouge. A la crise sanitaire, s'ajoute une crise sociale majeure qui renforce le sentiment d'abandon. 

Une centaine de maires signataires d'un courrier adressé au président de la République demandent qu' 1% du plan de relance soit consacré aux banlieues. Sans cette décision, il y aurait selon eux "non-assistance à territoires en danger".


Derrière les voitures brûlées

A Bron, Rillieux-la-Pape, Vénissieux, parfois une voiture, parfois deux poubelles s'embrasent à la nuit tombée ces dernières semaines. Plus récurrents : des tirs de mortiers d'artifices se font entendre quasi quotidiennement et sont parfois dirigés contre les pompiers et les forces de l'ordre. Il y a incontestablement un climat tendu mais "cette tension est palpable partout en France" affirme Ludovic Cassier, représentant du syndicat SGP Police FO dans le Rhône. "Il ne faut pas tout confondre" alerte-t-il. "Il y a un climat lié au confinement dans tout le pays qui contribue aux tensions avec les forces de l'ordre. Qu'il s'agisse du centre-ville de Lyon ou du plateau des Minguettes, les contrôles policiers sont mal vécus et il y a, de façon générale, une augmentation des violences dans la société, pas que dans les quartiers populaires. »


« Uber shit », les réseaux de trafics de drogues visés par la police

Il faut distinguer ces tensions, de celles qui éclatent sur des zones précises, connues des services de police, où se concentrent les trafics de drogue. Pendant le premier confinement, les trafiquants se sont adaptés et ont su augmenter leur chiffre d'affaire. Ludovic Cassier fait notamment référence à la vente en ligne et aux livraisons à domicile surnommées les «Uber Shit» dérivés du système de livraison de repas «Uber Eats». Or le ministre de l’Intérieur a clairement envoyé des consignes aux équipes de terrain pour mettre la pression sur les points de deals, ce qui pose des problèmes d’alimentation des stocks pour les trafiquants et déstabilise les réseaux.
 


Pas les moyens de riposter

Les policiers de l’agglomération lyonnaise, en sous effectifs, ont obtenu un renfort de 300 policiers sur trois ans mais pour le moment, ils n’ont pas encore été déployés. "Quand on a un seul équipage aux Minguettes par exemple, nous sommes attendus. Ils connaissent nos heures de relève, savent qui est de la BAC, de la police secours ou de la police judiciaire. La vérité, c’est que ça continue parce qu’il n’y a pas de riposte possible en agglomération lyonnaise" regrette le représentant syndical.
Pas assez de moyens policiers, souvent occupés à d’autres tâches, surtout pendant la crise sanitaire et des réseaux de revente de drogue de plus en plus visibles dans l’espace public.

La référence, c’est devenu le dealer du quartier

Mokrane Kassi,président de La France des banlieues



"Rien qu’autour de chez moi, je compte trois points de deal" regrette Mokrane Kessi. Président de l'association France des banlieues, et ancien élu local, ce militant associatif de Vénissieux depuis de nombreuses années, note une dégradation de la situation.

"J’ai vu des gamins de 7/8 ans pousser des camionnettes pour les brûler, c’est la mode. Et chacun a sa responsabilité. L’Etat fait des interventions mais le travail de fond n’y est pas. Les associations disparaissent, les comités de locataires aussi, le projet de nos villes c’est la sécurité mais il n’y a pas que ça."
 


« Les quartiers sont désenclavés mais pas les esprits »

"C’est bien, on fait de la rénovation urbaine et depuis le tramway, Vénissieux, les Minguettes, c’est vert, c’est beau. On est désenclavé mais dans les esprits, pas du tout ! Il y a un tel vide, de telles frustrations que la référence c’est devenu le dealer du quartier !"  Alors quand on lui rappelle que les plans de rénovation urbaine se sont succédé, que des millions d’euros ont été injectés pour tenter de rééquilibrer les inégalités territoriales et qu’on lui demande ce qu’il faut faire, il est catégorique : "il faut remettre du lien et cette fois impliquer les habitants."


« Nos quartiers sont devenus des réserves d’indiens »

Mokrane Kessi défend l’idée d’une dépénalisation du cannabis et juge aussi que la drogue fausse tous les équilibres économiques et sociaux. Il plaide aussi depuis vingt ans pour le retour d’une police de proximité. "Moi j’ai connu la police en mobylette qui nous appelait par notre prénom et nous menaçait d’aller voir nos pères. Maintenant, ils arrivent en camion, ils gazent et ils repartent." Ce dernier reconnait que le travail des policiers est complexe, qu'ils sont de plus en plus exposés et que la délinquance a évolué. Mais pour décrire son ressenti, les mots qui viennent interpellent : "Moi quand je pense à tout ça, l’image qui me vient c’est que nos quartiers sont devenus des réserves d’indiens."

Plus de cent maires demandent 1 milliard d’euros du plan de relance

Dans ce contexte de tensions et de renforcement des inégalités, la crise sanitaire vient faire peser une menace de basculement dans la pauvreté de nombreuses familles déjà très précaires. "Nos habitants sont ceux qui sont toujours en première ligne pour que le pays tourne » rappelle Hélène Geoffroy la maire PS de Vaulx-en-Velin. "Et nous allons nous retrouver face à des difficultés croissantes de budget de fonctionnement pour les accompagner. Nous avons dépensé plus qu’ailleurs pour venir en aide à des familles en grande difficulté. J’ai par exemple instauré la cantine gratuite pendant quelques mois pour faire face à l’urgence  et l’aide alimentaire de la commune a beaucoup progressé. C’est pourquoi nous ne devons pas passer à côté du plan de relance."  Hélène Geoffroy est signataire du courrier adressé à Emmanuel Macron pour consacrer 1 milliard d’euros aux quartiers prioritaires sur les 100 milliards que compte le plan prévu par le gouvernement.

Lire la lettre ouverte au président de la République

 

Je n'ai plus aucun contact avec les gamins

Gilles Clausse, président du handball Club de Vénissieux


"Il faut des moyens massifs, notamment pour les jeunes qui sont plus en décrochage qu’ailleurs sur nos territoires prioritaires" rappelle la maire de Vaulx-en-Velin. C’est également le constat des associations sportives, fermées depuis le reconfinement. «  Je n’ai plus aucun contact avec les gamins » regrette Gilles Clausse du handball Club de Vénissieux. "On essaie de ne pas se victimiser, car la priorité c’est la santé" tempère-t-il. Mais le club a perdu ses sponsors et ses financements. "On a peur de voir certains jeunes mal tourner, il y a un gros point d’interrogation sur notre reprise ? On ne sait pas à quoi s’attendre. Mais on va survivre à ça !" Si lui veut rester combatif et optimiste, Jean Philippe Acensi le président de l’Agence pour l’Éducation par le Sport (APELS) tire la sonnette d’alarme et estime «qu’il y a de quoi être catastrophiste…car il y a des gens qui ne bouffent plus dans ces villes", lâche-t-il non sans une certaine émotion dans la voix. "Une crise majeure s'annonce !". Implantée dans de nombreux quartiers prioritaires, l’APELS milite depuis plusieurs années pour un plan banlieue de grande envergure. Elle défend la promotion du sport comme vecteur de cohésion et d’insertion. "Il faut obligatoirement soutenir les associations sportives car si on casse ce modèle, ce lien très fragile on peut être très inquiets" prévient Jean-Philippe Acensi.

De la précarité à la pauvreté

L’inquiétude, un sentiment récurrent et un mot qui revient dans les discours des habitants, des acteurs publics ou associatifs. Indéniablement, de nombreux quartiers prioritaires de la politique de la ville ont changé de visage avec les projets de renouvellement du bâti engagés depuis le début des années 2000. "Mais la rénovation urbaine ne nous a pas remontés dans l’échelle sociale" conclut Mokrane Kessi de Vénissieux. Ce dernier constate que des habitants toujours plus précaires rejoignent son quartier d’année en année. "On fait de jolies choses et on rajoute de la pauvreté à l’intérieur" déplore-t-il.

Des risques de décrochage républicain

A l’inquiétude, s’ajoute le sentiment de tourner en rond et de vivre dans des quartiers paralysés. Dans leur lettre adressée au président de la République, les 101 maires signataires appellent de leurs voeux la création d’un Conseil National des Solutions composé d’élus, d’associatifs, de  fonctionnaires, d’entrepreneurs et d’universitaires bénévoles. "Celui-ci aura vocation à  identifier, promouvoir et évaluer les solutions qui marchent sur le terrain (en matière d’emploi, de citoyenneté, d’éducation, de sécurité, de mobilité, de logement…) et rendra compte chaque trimestre de ses résultats." Il aura pour  première mission de mettre en place des collectifs pour l’emploi et la formation dans les 100 villes les plus pauvres de France."  La création d’un fond d’urgence pour les associations et la création de 7000 postes font également partie des propositions des élus locaux qui craignent sans cela "un décrochage républicain ".


En 2017 le plan Borloo alertait déjà sur le risque de "recroquevillement identitaire"

​​​​​​En 2017, des élus avaient lancé "l'appel de Grigny", en région parisienne, pour protester notamment contre la suppression des contrats aidés. 
En réaction, lors de son discours de Tourcoing en novembre de la même année, Emmanuel Macron avait annoncé un grand "plan de mobilisation nationale" en faveur des quartiers populaires. 
 


Confié à Jean-Louis Borloo, il prévoyait 48 mesures destinées à recréer une cohésion urbaine, sociale et républicaine pour lutter contre les inégalités, mais aussi contre "le risque de recroquevillement identitaire et de voir les ennemis de la République occuper le terrain."

Si Emmanuel Macron avait publiquement désavoué le rapport proposé par Jean-Louis Borloo, le gouvernement affirme que 70 % de ce plan a été mis en place aujourd'hui ce que réfutent de nombreux acteurs de terrain.

 

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