Témoignage. “C’est comme une métamorphose”, faire le choix du tatouage artistique de reconstruction après un cancer du sein

Publié le Écrit par Blandine Lavignon

Après un cancer du sein, Josiane a fait le choix du tatouage artistique de reconstruction sur sa cicatrice de mastectomie. Une manière pour elle de "tourner définitivement la page."

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“Ça fait tout drôle” souffle Josiane, 64 ans, lorsque résonne le grésillement du dermographe qui s’apprête à graver sa peau. Ce lundi 23 septembre, c’est le grand jour pour elle. Trois ans après son cancer du sein, elle s’apprête à faire recouvrir sa cicatrice de mastectomie d’un tatouage artistique de reconstruction. Un large motif floral réalisé par Irène, artiste tatoueuse du salon La tulipe noire, à Chaponost.

C’est comme un pied de nez, je ne voudrais pas que cela recommence. Parfois, je me réveille et je me dis : “J’ai quand même eu un cancer !”. C’est comme si je n’étais pas certaine de l’avoir vaincu. Ce tatouage, c’est l’étape ultime pour tourner définitivement la page” raconte Josiane, allongée sur la table, ses yeux bleus fixant le plafond. Elle est venue ce matin de Chalon-sur-Saône, accompagnée par son mari Gilles.

Cette journée est l’aboutissement d’un long processus, au cours duquel Josiane et Irène ont imaginé ensemble ce tatouage à la symbolique très particulière. “Le dessin suit la cicatrice. L’idée est de guider l’œil le long du motif ” explique Irène, lunettes rondes colorées et large sourire. “Le tatouage sur cicatrice est particulier, car le tissu est fragilisé, la peau est plus dure” précise l’artiste tatoueuse."

"On ne m’avait jamais parlé des tatouages"

Comme Josiane, de plus en plus de femmes se tournent vers le tatouage artistique, une forme de reconstruction après un cancer du sein. Il nécessite d’avoir attendu au minimum un an après l’arrêt de la chimiothérapie et la radiothérapie. L'association Sœurs d’encre, dans laquelle Irène est bénévole, milite pour qu’il soit proposé et pris en charge au même titre qu’une prothèse. La structure collabore avec des oncologues, dermatologues et chirurgiens. Depuis 2019, le tatouage artistique de reconstruction est reconnu comme soin oncologique de support.

Pendant près de cinq heures, à mesure que les motifs s’encrent dans la peau de Josiane, les langues se délient à La Tulipe noire. Toute une vie défile, contenue entre les murs orangés du salon. Sur l’épreuve du cancer d’abord. “Quand j’ai eu l’annonce, j’étais anéantie. Je suis restée des jours prostrés dans un fauteuil ” témoigne Josiane. Et puis, après la maladie, le chemin vers la reconstruction. "On ne m’avait jamais parlé des tatouages. Le médecin m’a simplement sorti un gros livre et m’a montré des chirurgies de reconstruction, l’air de dire “oui ça va être moche” se souvient celle qui a découvert cette alternative dans un documentaire. “De toute façon, j’ai toujours rêvé d’avoir des petits seins, à la Jane Birkin quoi. Je m’en serais presque fait enlever, mais enfin pas jusque-là !” plaisante la retraitée en jetant un regard complice à son mari, “Gillou”.

Pour tous les deux, la mastectomie n’a jamais été un tabou. Mais il a fallu apprendre à en parler, à l’accepter. “Au début, ça a quand même été un deuil, parce que, quelque part, les seins définissent la féminité. C’est quand même une mutilation” exprime Gilles. Le tatouage de reconstruction a été ensuite une évidence pour celui qui n’en est pas à son premier tatoo, et exhibe un J gravé pour Josiane sur son poignet pendant ses années de lycée.

Une véritable thérapie

Irène, elle, raconte son métier, à mi-chemin entre le soin et l’art. Sur sa table, les clientes passent, mais les histoires restent. Car le cancer du sein touche indistinctement, qu’importe le milieu, l’âge, les vécus. Alors, il y a toutes celles passées sous l’aiguille de la tatoueuse avec l’impression de ne plus être autant femme, de ne plus se sentir belle. Celles qui ont honte de leurs cicatrices, celles qui se sont fait mettre la taille maximum de prothèse mammaire pour compenser, celles qui viennent se faire tatouer avec d’autres proches.

“Mais est-ce que c’est moche ?” interroge Josiane en fixant la cicatrice où il manque l’un de ses seins. “Parce que, par exemple, ma voisine n’a jamais voulu voir la cicatrice. Comme s'il y avait un dégoût. Et puis, quand je me douche avec ma petite fille de deux ans, je garde mon t-shirt" confie-t-elle. “Mais c’est beau un corps qui a du vécu ! Un corps parfait, tout lisse, ça ne raconte rien. Le vécu, tu ne peux pas l’effacer” lui rétorque Irène, tout en dessinant minutieusement les contours d’une des fleurs.

On pourrait les croire amies depuis toujours, tant un lien fort semble se tisser. Si le travail d’Irène est le point final de la reconstruction de Josiane, il répare aussi la tatoueuse du souvenir de sa propre mère, malheureuse d’un tatouage raté après son cancer du sein. “À l’époque, ce n’était pas répandu. Alors, on lui avait juste tatoué comme une pastille rose à la place du téton. Elle détestait ce tatouage et se voir avec…” souffle l’artiste. Depuis quatre ans, Irène sublime les mastectomies de ses clientes, comme elle aurait aimé que sa mère puisse l’être.

À chaque fois, c'est comme une métamorphose. Il y a un peu cette idée que la femme tatouée est une guerrière forte.

Irène

tatoueuse

"Si jamais le cancer repart, tu continueras le tatouage"

De temps en temps, Josiane sort fumer une cigarette, enveloppée dans un gilet prêté par la tatoueuse. Elle qui est si active dans la vie peine à rester allongée sans bouger. Pieds nus sur le bitume, devant la petite boutique, elle ne peut s’empêcher de regarder le motif à demi-tatoué. Cela fait désormais trois ans qu’elle est en rémission. Il en faut cinq pour qu’on parle de guérison. “Si jamais le cancer repart, au moins, tu continueras le tatouage sur l’autre sein !” lâche-t-elle dans un éclat de rire.

Les ultimes mouvements de dermographe sur sa peau sont les plus difficiles pour Josiane. Son corps fatigue d’avoir été tant sollicité. Lorsqu’Irène achève son dernier trait, Josiane retrouve la vigueur qui la caractérise pour se lever aussitôt. Doucement, elle s’avance devant la glace pour découvrir son nouveau buste. Ses yeux s’embuent et pétillent à la fois. Les mots ne sortent pas tout de suite, avant d’articuler “waouh”. Elle se tourne vers Irène et la serre contre elle de longues minutes. L’artiste, dont l’émotion est palpable, lui murmure : “désormais, à chaque fois que tu regarderas le tatouage, tu te rappelleras un bon moment, et non plus la cicatrice”.

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