Treize ans après la première disparition au Fort de Tamié près d'Albertville (Savoie), une nouvelle battue est organisée par les proches d'un des disparus, Jean-Christophe Morin, du 29 au 31 octobre prochain. Le jeune homme de 22 ans à l'époque n'avait plus donné signe de vie après une soirée techno dans l'ancien bâtiment militaire en septembre 2011.
De nouvelles recherches au Fort de Tamié sont organisées du 29 au 31 octobre dans l'espoir de retrouver des traces de Jean-Christophe Morin et Ahmed Hamadou. Ces deux hommes ont disparu à un an d'intervalle après une même soirée techno, en 2011 et 2012.
"Cette affaire est enfin prise au sérieux et avance", estime Marine Allali, avocate de la famille Morin aux côtés de Didier Seban. L'initiative de cette battue a été prise par Sabine Kheris, juge d'instruction du pôle des crimes sériels ou non élucidés du tribunal judiciaire de Nanterre. Le pôle "cold cases" a repris les dossiers des disparitions de Jean-Christophe Morin et Ahmed Hamadou en 2022. Les avocats des familles savaient que ces battues seraient organisées mais ignoraient la date jusqu'à présent. "Il faut le faire avant que la météo se dégrade", explique Me Allali.
L'épreuve des recherches
"C'est cohérent avec nos demandes, les familles demandent des fouilles approfondies depuis le début", précise Me Allali. La nouvelle a été bien accueillie par la famille Morin qui désespérait de voir l'affaire avancer. "On craint que ça soit la fin du dossier et qu'après ça, on nous dise qu'on a tout essayé. Je reste sur ma réserve", explique toutefois Daniel Morin, le père de Jean-Christophe.
La famille Morin a lancé un appel sur les réseaux sociaux début octobre et recherche 10 à 15 personnes par jour pour aider lors de ces battues. Les participants installeront une application sur leur téléphone "afin de cartographier précisément la zone géographique déjà ratissée". Grâce à des nouvelles technologies, il sera possible de déterminer les zones déjà fouillées, ou celle encore à explorer.
Le but : retrouver sur place le corps ou bien des effets personnels appartenant à Jean-Christophe Morin. "Il faut bien faire les choses cette fois, la plupart des découvertes précédentes ont été par accident ! L'affaire n'a pas été suffisamment prise au sérieux, on a considéré que c'était un jeune homme majeur qui avait disparu. Il a fallu la disparition d'Ahmed un an plus tard pour que cela change un peu.", rappelle l'avocate Marine Allali, du cabinet Seban Avocats.
Une vingtaine de personnes s'est déjà inscrite pour participer aux recherches sur trois jours. "Tout le monde est bienvenu pour nous aider", explique Daniel Morin qui sera sur place le 30 octobre avec une partie de sa famille. Une journée qu'il devine déjà éprouvante.
"On a envie de trouver et à la fois pas envie", confie Daniel Morin. Même si être face à des objets ou le corps de son fils lui permettrait de faire son deuil, le père de famille ne peut s'empêcher d'imaginer les derniers instants de son fils.
Je crains de découvrir les circonstances de son décès. Toutes les nuits, je fais des cauchemars où je vois mon fils être frappé et supplier pour rester en vie.
Daniel Morin, père de Jean-Christophe, disparu en 2011.
Des zones d'ombre
En septembre 2011, lors d'une soirée techno au Fort de Tamié près d'Albertville (Savoie), Jean-Christophe Morin, 22 ans, disparaît. Son sac à dos est découvert, quelques semaines après sa disparition, à proximité du fort. Mais le sac a été détruit lors de la fermeture de l'enquête en 2014. Une procédure décidée par le procureur de la République à l'époque. Une "absurdité" pour Daniel Morin qui reste "dégoûté" qu'on ait détruit une des seules preuves à l'époque de la disparition de son fils.
Un an plus tard, Ahmed Hamadou, 45 ans, disparaît lui aussi lors du même festival, au même endroit. Son crâne, lui, est découvert par accident par un chasseur des années plus tard en 2021. Quand le dossier est repris par la juge d'instruction Sabine Kheris, de nouvelles fouilles sont organisées et des ossements appartenant à Ahmed Hamadou sont trouvés en 2023. De nombreuses questions demeurent : Ahmed Hamadou a-t-il été poussé ? Est-il tombé depuis le Fort de Tamié, qui se situe sur l'éperon rocheux du Col de Tamié à 907 mètres d'altitude ?
"On a toujours eu un mal fou à intéresser les juges avant que le dossier ne soit transféré à Nanterre", explique Marine Allali, en charge du dossier depuis cinq ans. Les proches de Jean-Christophe se sont battus pour que la disparition de "Jean-Kiki", comme son père le surnomme encore affectueusement, ne reste pas sans réponse.
D'autres zones d'ombre persistent notamment concernant les organisateurs et les personnes présentes lors de ces deux soirées en 2011 et 2012. "Jean-Christophe et Ahmed ont disparu sous les yeux de personnes. Des festivaliers avaient témoigné au début de la procédure, mais les auditions sont imprécises".
On a l'impression que cette soirée était sauvage, mais c'était plus organisé que ça.
Me Marine Allali.
"Nous demandons que l'on retrace qui a organisé ce festival et comment, qui étaient les personnes en charge de la sécurité, qui étaient les bénévoles... On a l'impression que cette soirée était sauvage, mais c'était plus organisé que ça", explique l'avocate. Encore une fois, l'enquête élémentaire aurait été bâclée, selon elle : "On a estimé que c'était une soirée avec alcool et drogues et donc que les témoignages n'étaient pas fiables. Et cela a porté préjudice aux victimes. Or, ce n'est pas parce qu'on consomme qu'on décède et qu'on se retrouve en bas d'une falaise". D'autant que les disparitions ont eu lieu à une année d'intervalle, "la sécurité était censée être renforcée mais là encore, ce n'est pas clair dans le dossier", rappelle l'avocate.
"Retrouver la tête d'Ahmed a été un énorme choc", explique Daniel Morin. "Cela montrait aussi que ce n'était pas une disparition voulue comme certains voulaient le penser. Dans le cas de Jean-Christophe je n'y ai jamais cru : le dernier appel que j'ai avec lui, c'est pour la fête des pères à 7h30 du matin", se remémore Daniel Morin.
Appel à témoins
Après que l'enquête avait été fermée à deux reprises en 2013 et 2014, elle a été relancée au printemps dernier. En effet, le pôle "cold cases" de Nanterre a repris les deux dossiers en 2022 et 2023. Un appel à témoins a été lancé en mai dernier par le ministère de la Justice."Toutes les informations sont importantes", avait alors lancé Marie-Laure Brunel-Dupin, cheffe de la Division des affaires non élucidées de la gendarmerie, qui appelle le public à ne pas "trier car le contexte peut nous amener de nouveaux éléments".
"Souvenirs, photos, vidéos : tout renseignement même anodin concernant les disparus, ou plus largement sur l'une des éditions de ce festival, peut nous aider", précisent les enquêteurs. Si vous avez la moindre information sur les disparitions de Jean-Christophe Morin et d'Ahmed Hamadou, vous pouvez écrire à cette adresse e-mail : sr73-tamie@gendarmerie.interieur.gouv.fr.
Au Fort de Tamié, une plaque commémorative des deux disparus est attachée à un arbre. Daniel Morin espère toujours que, peut-être, un passant ou un témoin se rappellera de ce qui a pu arriver à son fils.