Un quart d'heure de lecture. C'était le temps imparti à la manifestation de soutien au peuple ukrainien organisée jeudi matin à Chambéry. Au programme, la lecture de poèmes emblématiques de la culture ukrainienne mais aussi d'auteurs français, tous militants pacifistes.
"Je préfère parler du peuple ukrainien", explique d'emblée Iryna, la première lectrice, en préambule à sa lecture en version originale. "Sur Poutine, c'est votre travail de vous faire une opinion. Une opinion sur lui, mais aussi sur les gens qui ont voté pour le mettre au pouvoir, et qui le soutiennent encore maintenant."
Installée en France depuis 10 ans, elle est venue à Chambéry jeudi 10 mars pour lire des poèmes d'auteurs ukrainiens dans la rue. Accompagnée de trois réfugiés arrivés en Savoie depuis quelques jours, Iryna tenait à apporter son soutien au peuple ukrainien après l'invasion russe. "Victoria a vécu des moments très douloureux au moment de partir", traduit-elle.
"A la montée dans un train bondé de réfugiés, en compagnie de son fils et de son petit fils, elle a vu sa fille rester sur le quai. Elle a juste eu le temps de glisser par la fenêtre le certificat de naissance de son fils. Du coup, Victoria doit s'occuper de son fils et de son petit-fils en même temps". Une scène de guerre que l'on croyait reléguée aux oubliettes de l'histoire. Alors, Iryna a choisi de lire.
Le "Testament" de l'Ukraine toute entière
A Chambéry, devant le petit parterre de lecteurs et de passants attirés par les intonations est-européennes diffusées par un haut-parleur, Iryna lit un poème. Pas n'importe lequel, celui de Taras Chevtchenko, le prophète de la liberté contre l'empire russe au XIXe siècle, l'artiste adulé de la nation ukrainienne. Son titre : "Le testament".
"Enterrez-moi et debout !
Brisez vos fers,
Et arrosez du sang impur des ennemis
La liberté !
Puis, dans la grande famille,
La famille nouvelle et libre,
N'oubliez pas d'accorder à ma mémoire
Une bonne parole !"
Dominique, membre de l'association "Lectures Plurielles, s'est chargée de lire, au micro, cette traduction française. "Eu égard à tout ce qui peut se passer aujourd'hui en Ukraine, c'était très émouvant de lire ce texte", explique-t-elle.
"Il exprime le sentiment le plus humain que l'on puisse éprouver : on aime la paix, mais face à la violence, il faut bien réagir. C'est le même engagement qui s'exprime dans d'autres poèmes lus ici : qu'ils soient d'Eluard, d'Aragon ou de Desnos".
Le message d'une poète de 91 ans restée sous les bombes
Ou encore de Lina Kostenko, l'une des auteures les plus représentatives de la poésie ukrainienne apparue dans les années 50-60. Agée de 91 ans, elle poursuit son œuvre de résistance en continuant à vivre sous les bombes dans son pays.
"La lire aujourd'hui devant ce public nous permet de découvrir et de faire découvrir cette autre figure d'une poésie dont on a du mal, nous en France, à trouver les traductions. Elle est pourtant aussi forte que touchante."
"J'aime ce poète", ajoute Iryna, jusqu'alors silencieuse dans son coin, toujours accompagnée de ses trois amis réfugiés. "Lina Kostenko est une femme très sincère, très honnête et directe. Vous pouvez croire les mots qu'elle nous a donné à entendre aujourd'hui".
"Lectures plurielles" est une association chambérienne, mais aussi une saison littéraire et un réseau international de lecteurs qui œuvre pour faire éclore de nouveaux écrivains francophones et européens.
Pour cela, elle s'appuie sur plus de 3 000 lecteurs et lectrices en France, en Belgique, en Italie, en Allemagne, Roumanie, Québec, Burkina Faso, Népal et Laos. Ce sont eux qui choisissent les auteurs des premiers romans qui participent chaque année au Festival du premier roman de Chambéry.
Il aura lieu du 12 au 22 mai prochain, de retour dans sa version normale, après deux éditions réduites pour cause de pandémie.