Laurent Guillaume, présentateur du Magazine de la Montagne depuis plus de 20 ans, propose tous les jours ses "chroniques d’en haut" en attendant la fin du confinement. Il raconte avec authenticité et parfois humour le quotidien des habitants de sa vallée et porte un regard décalé sur l’actualité.
C’est à Valloire, commune située en Maurienne (Savoie) que Laurent Guillaume passe cette période de confinement, dans un hameau perdu situé à 1 700 mètres au dessus de la station. Ici, l’isolement est dans la nature des choses.
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Puisque, on en a déjà parlé, les mauvaises nouvelles ne sont pas difficiles à trouver en ce moment, attachons nous à voir ce qui va bien. Et pour cela, il suffit parfois de regarder juste autour de soi, et de se contenter de petites satisfactions qui, en d’autres temps, seraient totalement passées inaperçues.
La première d’entre elles, à ma petite échelle, est la disparition de l’épaisse couche de neige qui recouvrait mon jardin. Elle en a mis du temps, serais-je tenté de penser, mais pas du tout. Elle a disparu à peu près au même moment que les autres années, sauf que cette fois, je l’ai regardée tous les jours, avec une vaine impatience. Elle semblait ne jamais vouloir bouger. Mais, imperceptiblement, centimètre après centimètre, elle baissait régulièrement. Jusqu’à découvrir le pré d’un jour à l’autre. Sans vouloir faire de philosophie de fin de banquet : cela prouve simplement que moins on compte les jours nous séparant d’un évènement attendu, plus ils passent vite. Y’a plus qu’à mettre ça dans un coin de la tête pour le déconfinement : ça peut servir.
...moins on compte les jours nous séparant d’un évènement attendu, plus ils passent vite.
Le soleil ensuite. Je sais que peu de gens pourront vraiment en profiter, mais il va faire beau ce week-end dans notre région, et très doux. A cette altitude, avril marque le virage entre l’hiver finissant et les prémices du printemps. Le tout dans un flou très artistique qui peut inverser le cours du temps si la neige, toujours possible, revient d’un coup, ou au contraire l’accélérer si la douceur persiste. Cette impermanence est particulière à la haute montagne. Il ne reste donc plus qu’à vivre au jour le jour, en sachant que l’embellie peut être de courte durée, ou au contraire, suffisamment stable pour faire éclore les crocus et sortir les dernières marmottes. Avril est capable du meilleur comme du pire.
Le retour du soleil et de la douceur en montagne s’accompagne aussi de l’éclosion des senteurs. Pas encore celle de l’herbe verte, mais déjà : de la terre mouillée, de l’humus qui, fraichement découvert par le retrait du névé, sèche au soleil avant de se fondre dans le sol. Les couleurs sont encore timides. Il y a le bleu du ciel, particulièrement intense grâce à l’altitude, le blanc des sommets encore immaculés, et le marron de la végétation qui se découvre petit à petit, abattue, exsangue, cassée par le poids de l’hiver précédent. Elle a l’air morte, inerte, incapable de se relever. Mais dès demain, les premières pousses timides viendront crever le sol à peine dégelé. De petites taches vertes apparaitront ici où là dans ce pré si monochrome, puis les premiers pissenlits, les crocus, et dans quelques semaines la tondeuse n’y suffira pas pour remettre tout cela en ordre, tant la végétation semble vouloir aller d’autant plus vite qu’elle sait que l’été sera court. Ici, les plantes n’ont que quatre mois pour faire leur cycle de vie. Et plus la vie est contrainte, difficile : plus elle est exubérante lorsqu’on la laisse repartir. A se mettre aussi dans un coin de la tête pour l’après-confinement…
Redécouvrir avec le même émerveillement que les petites bêtes sortent au printemps, qu’elles se reproduisent (...) que les petites fleurs sont belles, que le temps du jour est celui qu’il fait, sans que l’on ne cherche à en deviner l’évolution, et que tout cela nous apprend patience, résilience et sagesse, est un délice pas si régressif que ça...
Ça a l’air idiot, mais ce spectacle simple auquel j’assiste pourtant tous les ans prend une saveur particulière aujourd’hui. Oui je sais, vous allez vous dire que je découvre que la Terre tourne ! Et bien d’une certaine manière, oui. Et c’est en tournant qu’elle nous ramène la lumière, chaque année, à la même époque, indifférente aux turpitudes et gesticulations humaines. Redécouvrir avec le même émerveillement que les petites bêtes sortent au printemps, qu’elles se reproduisent (chose qui nous rappelle que nous sommes des mammifères également, certes coincés dans un terrier pour quelques temps encore) que les petites fleurs sont belles, que le temps du jour est celui qu’il fait, sans que l’on ne cherche à en deviner l’évolution, et que tout cela nous apprend patience, résilience et sagesse, est un délice pas si régressif que ça...
Me connecter à cet instant, à l’écoute de tout ce qui vit sous mes yeux, de tout ce qui est là, ici et maintenant (bref : glander au soleil pour les moins poètes) apporte bien plus que la satisfaction de ne rien faire. En fait, cette connexion à très haut débit d’émotion m’a donné bien plus d’informations que mon smartphone aujourd’hui.
Pas les mêmes, certes… Mais ces informations-là, elles m’ont fait du bien. Vraiment.
PS : Ce week end, je vais regarder pousser les pissenlits. Bon courage à tous et à lundi !