Laurent Guillaume, présentateur du Magazine de la Montagne depuis plus de 20 ans, propose tous les jours ses "chroniques d’en haut" en attendant la fin du confinement. Il raconte avec authenticité et parfois humour le quotidien des habitants de sa vallée et porte un regard décalé sur l’actualité.
C’est à Valloire, commune située en Maurienne (Savoie) que Laurent Guillaume passe cette période de confinement, dans un hameau perdu situé à 1 700 mètres au dessus de la station. Ici, l’isolement est dans la nature des choses.
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Il y a des jours où la meilleure des choses à faire est d’écouter le silence. L’immersion quotidienne dans la cacophonie médiatique m’a épuisé bien plus vite que d’habitude. Ca partait d’un bon sentiment : se tenir informé, guetter la première lueur d’espoir qui pourrait nous rendre notre vie d’avant, mais plus on avance, plus l’échéance semble reculer comme dans un mauvais rêve. Parmi mes proches, tous n’ont pas la chance d’avoir un peu d’espace comme ici à la montagne. Dix-sept jours à tourner en rond, dix-sept jours à supporter l’ennui pour ceux qui ne travaillent pas, dix-sept jours à s’arracher les oreilles dans des audioconférences, à répondre à des mails, à parler à un processeur d’ordinateur qui reproduit la tête des gens qu’on aime, sans leur chaleur, sans leur odeur. Dix-sept jours d’angoisse pour les malades, leurs proches, et pour ceux qui craignent un jour de choper cette merde, c'est-à-dire à peu près tout le monde. Dix-sept jours à constater, chaque fois un peu plus désabusé, que rien ne semble vouloir adoucir ce bouleversement si radical de notre vie, de notre économie, de nos habitudes. Dix-sept jours sans avoir claqué une bise, serré une main, et sans doute bien plus encore, car avant le confinement, la prudence était déjà de mise. Dix-sept jours, et même pas la moitié.
Je l’ai déjà dit, mais la capacité de résilience de nos sociétés est absolument fascinante. Chacun, tant bien que mal, semble s’installer dans cette routine inimaginable. Nos journaux rendent compte tous les jours de la vie difficile de ceux qui se battent pour assurer l’essentiel. Au premier rang desquels, évidemment, ceux qui nous soignent. Tout comme ceux qui font respecter l’ordre, ceux qui vident nos poubelles débordantes, ceux qui livrent les denrées, ceux qui les produisent, ceux qui nettoient des bureaux à moitié désertés, ceux qui recherchent jour et nuit de quoi vaincre cette épidémie, nos collègues journalistes qui sont sur le terrain, et j’en passe, forcément.
…bosser tous ensemble pour réaliser un journal d’initiatives solidaires avec nos téléphones, notre geek et nos couteaux : c’est ce qui nous fait tenir, et nous donne le sentiment d’être aux côtés de ceux qui, le reste de l’année, sont fidèles à nos programmes…
A France 3, notre mission est d’informer et de divertir, de créer du lien de proximité. On fabrique des programmes spécifiques, ce qui est normal, on s’adapte. Mais cette situation, encore exceptionnelle la semaine dernière, glisse doucement vers le quotidien pour chacun d’entre nous. Vivre enfermé à domicile, sans croiser nos collègues, pour des métiers où le travail d’équipe est primordial, c’est un crève coeur. Mais bosser tous ensemble, même virtuellement, pour réaliser un journal d’initiatives solidaires avec nos téléphones, notre geek et nos couteaux : c’est ce qui nous fait tenir, et nous donne le sentiment d’être aux côtés de ceux qui, le reste de l’année, sont fidèles à nos programmes. Au fond, derrière les enthousiasmes légitimes d’y parvenir avec des contraintes techniques inédites, il y a une grande frustration. On se croyait prêts à tout, mais on subit, comme beaucoup d’entre vous, cet enfermement. Les sourires, chaque matin en audioconférence, dissimulent de plus en plus mal cette réalité, le temps de nos réunions.
Et lorsqu’une marmotte siffle bruyamment, c’est qu’elle a quelque chose à dire. Sinon, elle se tait.
Dix-sept jours, et bientôt la fin de la troisième semaine. Et toujours, comme pour mieux défier le calme trompeur de nos villes désertes à l’extérieur mais qui bouillonnent de l’intérieur : l’interminable logorrhée des chaines infos qui mâchent et remâchent le même morceau, tant la seule chose qui change vraiment tous les jours dans cette crise est soit le nombre de morts recensés dans le pays, soit la certitude de la veille sur laquelle on essayait de construire un espoir, un plan, ou un objectif qui devient caduque le lendemain. On sent le désarroi de ceux qui pensaient détenir la vérité lorsque, jour après jour, le savoir leur glisse entre les doigts, et c’est encore plus flippant quand on ressent ce même flottement chez ceux dont le métier est, justement, de savoir. Les scientifiques eux-mêmes font preuve d’un empirisme glaçant au moment où le temps médiatique aurait plus que jamais besoin de certitudes. Alors, on débat sans fin sur des hypothèses, avec des « si » qui mettraient Paris en bouteille, des "imaginons que", des "peut-être", des cas d’école et des suppositions. Mais des faits, des résultats, des certitudes : rien, woualou, que dalle. Dix-sept jours qu’on semble courir vers le pied de l’arc en ciel, sans même, d’ailleurs, savoir quel chemin prendre, c'est-à-dire : en tournant en rond. Comme dans nos maisons. Comme depuis dix-sept jours. Et cette course absurde, repliée sur elle-même, donne le vertige.
Le meilleur moyen d’y échapper, c’est le silence. Et le silence est sans doute ce qui est de plus banal, ici, dans ce petit hameau de montagne. Un silence presqu’absolu, à peine troublé par le bruissement du torrent qui embarque l’eau de la fonte des neiges. Et lorsqu’une marmotte siffle bruyamment, c’est qu’elle a quelque chose à dire. Sinon, elle se tait.