"Dans ce pont, il y a l'histoire des chemins de fer" : le plus vieux pont métallique d'Europe menacé de déconstruction

Situé à Cruet près de Chambéry, le "pont des Anglais" est l'un des plus anciens ponts ferroviaires au monde. Mais le département de la Savoie envisage de le déconstruire. Des associations de défense s'y opposent. ©France 3 Alpes

C'est le plus vieux pont métallique d'Europe et l'un des plus anciens ponts ferroviaires au monde. Construit en 1856, le célèbre "pont des Anglais" est situé à Cruet près de Chambéry, en Savoie. Après des années d'études et d'atermoiements, le conseil départemental envisage de le déconstruire. Des associations s'y opposent.

"On ne comprend pas pourquoi ils veulent déconstruire ce pont. Voilà 30 ans qu'on dit qu'il va s'écrouler... Et pourtant, il est toujours bien là".

Jean-Claude Bouchet ne décolère pas. Président de l’association locale "Les amis de Montmélian et des environs", il fait partie de ceux qui se battent depuis plus de 20 ans pour la sauvegarde d'un ouvrage d'art témoin de son époque.

Un morceau de l'histoire des chemins de fer européens

Rien que dans la variété des appellations qu'on lui donne, ce pont ferroviaire de plus de 160 mètres de long qui enjambe l'Isère au bout de la Combe de Savoie, est un bel échantillon d'Europe à lui tout seul.

Baptisé à sa construction en 1856 "pont Victor-Emmanuel", ou plutôt Vittorio-Emanuele, du nom du souverain qui régnait sur une Savoie alors piémontaise, cet ouvrage d'art a reçu par la suite le surnom de "pont des Anglais". Une référence à l'ingénieur britannique Thomas Brassey (1805-1870), qui le conçut parmi tant d'autres, en France et sur tout le continent européen.

"Dans ce pont, il y a tout le début de l'histoire des chemins de fers européens", estime le défenseur de la restauration du pont de Cruet, en Savoie.

"Jusqu'en 1850, les ponts ferroviaires sont tous construits en briques, en pierre ou en bois car les ponts métalliques ne résistent pas à la charge d'un convoi de trains", confirme pour sa part Roger Decker, le secrétaire d'une autre association de défense, "Cruet, Nature et Patrimoine". "À partir de cette date, en raison notamment de l'amélioration de la qualité des métaux, on commence à construire des ponts de grande envergure comme celui-ci" .

Une contribution à l'unité italienne

Singulier, le pont savoyard le serait également par l'usage de techniques alors d'avant-garde. Dans la construction de ses piles de pont, par exemple dont la méthode sera ensuite reprise par Gustave Eiffel pour édifier deux pieds de sa fameuse tour.

Et puis, pour ses défenseurs, le "pont des Anglais", c'est surtout celui qui a permis à Napoléon III de faire franchir l'Isère à son armée, en route pour aider l'Italie à faire son unité. Une unité accomplie grâce à la défaite des Autrichiens, à Magenta, puis à Solférino (4 et 24 juin 1859).

"Grâce à ce pont, les troupes de l'empereur ont pu rejoindre l'Italie dans un temps record, pour l'époque", précise encore Roger Decker. "60 000 soldats, 12 trains, des chevaux, l'artillerie, des bagages... Tout cet énorme trafic est passé là. C'est à la suite de ce moment important de l'histoire de la Savoie, que notre région est devenue française". 

L'appel à l'Europe

Après avoir vu défiler sur son tablier tant d'histoires, et autant de voyageurs et de matériels, imaginez la stupeur de ses défenseurs lorsqu'on leur parle à présent, de la fragilité du pont, et des coûts que la collectivité devrait supporter pour le remettre en service. 

"On ferait mieux de se poser la question de savoir si un ouvrage qui rassemble autant de qualités, de beautés et d'innovations technologiques mérite d'être conservé pour les générations futures ou si on l'envoie à la ferraille", argumente Roger Decker.

"Aujourd'hui, on parle de 8 millions, 10 millions d'euros pour le remettre en état", explique de son côté Jean-Claude Bouchet. "On a vraiment l'impression que plus il y a de personnes, d'associations qui se mobilisent pour défendre ce pont, plus l'ardoise monte".

Pour faire reculer le département dans son projet de déconstruction, les associations comptent sur le futur ministre de la Culture, espérant qu'il refuse de déclassifier l'ouvrage de l'inventaire des monuments historiques.

Elles misent aussi sur l'Union Européenne, pour d'éventuels financements... Et même sur d'autres soutiens, venus de l'autre côté de la Manche. Conséquence d'un voyage d'étude en terre savoyarde effectué il y a deux ans par une vingtaine d'ingénieurs britanniques venus soutenir le projet de sauvetage du pont qui porte leur nom.

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