Il pèse 3 200 tonnes et mesure 334 mètres de large : c'est le tunnelier qui passera sous la frontière franco-italienne pour percer une partie du tunnel ferroviaire Lyon-Turin. Avec la livraison de ce cinquième engin, un pas vient d'être franchi vers l'accélération du chantier du grand tunnel de base de 57 kilomètres sous les Alpes.
C'est au rythme effréné d'un centimètre de roche à la minute, 24 heures sur 24, que le dernier des cinq tunneliers géants bientôt engagés sur les chantiers français de la future ligne ferroviaire Lyon-Turin ouvrira le passage au grand tunnel de base vers l'Italie.
"Effréné", c'est le terme employé par le maître d'ouvrage pour qualifier la performance de ce nouveau "monstre" de technologie. Livré tout juste quelques semaines après son frère jumeau, construit lui aussi dans l’usine d’Herrenknecht à Schwanau (Allemagne), c'est à eux qu'il appartiendra de creuser la section la plus longue et la plus complexe du tunnel de 57,5 kilomètres sous les Alpes : 18 kilomètres au total de part et d'autre de la frontière.
Une section symbolique
Et quelle section. Depuis Modane (Savoie) jusqu’au site de sécurité souterrain de Clarea (Piémont), en haute vallée de Suse, les deux "frères jumeaux" entreront en action à quelques semaines d'intervalle pour creuser en parallèle les deux tunnels de 18 kilomètres vers l'Italie. Un morceau de choix doublé d’un privilège, à plus d'un titre.
Celui, pour la postérité, de franchir la frontière entre les deux pays. Mais également celui, beaucoup plus redoutable, de creuser au point le plus profond du tracé du grand tunnel de base : sous plus de 2,2 km de roche. Ou plutôt de roches diverses et variées où les travaux de perforation ont toutes les chances de devoir affronter ce que les spécialistes appellent des phénomènes géotechniques associés : des éboulements ou "coups de montagne", par exemple. Sans oublier les températures élevées naturellement présentes à ces profondeurs : plus de 45 °C.
"Dans l'histoire de ce grand chantier, nous sommes arrivés aujourd'hui à un point de bascule", expliquait lors de la livraison du tunnelier Daniel Bursaux, le président français de la société maître d'ouvrage Telt. "Ces cinq nouveaux tunneliers vont permettre au creusement du tunnel de base du Lyon-Turin de passer à la vitesse supérieure."
14 mètres de roche percés chaque jour
De vitesse, justement, il en a été question lors de la livraison de ce cinquième tunnelier. Du bout de sa tête de coupe de 10,4 mètres de diamètre, on sait désormais que la fraise avancera en moyenne d'un centimètre par minute, soit 14 mètres par jour.
"Mais il y aura des phases où elle pourra en creuser 30 ou seulement 2, en fonction de la nature de la roche rencontrée", a expliqué l'un des ingénieurs de Telt. Une façon de rappeler que les sondages géologiques ont établi que, sur les 18 kilomètres de roche à traverser, près de 4 sont d'une dureté extrême et ralentiront le rythme d'avancée des travaux.
Pour relever tous ces défis, "TBM" (pour Tunnel boring machine) est loin de manquer de répondant. Son fabricant allemand l'a ainsi doté d'équipements spéciaux pour le franchissement d'accidents géologiques.
En l'occurrence, un système de cintres métalliques permettant de bloquer les potentiels mouvements de terrain. Mais aussi de foreuses destinées à réaliser des sondages de reconnaissance. Et enfin, de boulonneuses pour mettre en place des boulons à friction ou autoforant assurant un soutènement de l'ouvrage après percement.
Au total, sept tunneliers seront employés pour compléter le creusement des deux galeries de 57,5 km chacune qui constituent le tunnel de base du Mont-Cenis, le plus long tunnel ferroviaire actuellement en construction dans le monde.
Maurizio Bufalini, directeur général Telt (Tunnel Euralpin Lyon-Turin)
S'il a fallu plus d'un an pour construire le dernier des cinq tunneliers à opérer en terre française, il en faudra au moins autant pour le voir entrer en action. Une fois démonté, près de 250 voyages seront nécessaires pour le transporter dans la vallée de la Maurienne.
Sur place, il devra être réassemblé pour commencer son long périple sous terre de cinq ans, pas vraiment en solitaire. Cinq équipes de 25 personnes travaillant en 3/8 l'accompagneront chaque jour dans sa tâche titanesque.