Pour dénoncer les inégalités, les femmes suisses organisent une grande grève le 14 juin. Il y a trente ans déjà, elles étaient un demi-million à se mobiliser pour faire valoir leurs droits dans un pays où les débrayages sont rares.
Egalité des salaires, introduction d'un salaire minimum, tolérance zéro face à la violence sexiste... Les femmes suisses, portées par la vague #MeToo, sont appelées à une grande journée de mobilisation le 14 juin. Près de 30 ans après leur dernière grande grève, elles comptent sur un large mouvement dans un pays où les débrayages sont rares.
Le 14 juin 1991, dix ans après l'inscription dans la Constitution de l'égalité entre genres, un demi-million de femmes se mobilisaient dans une ambiance "joyeuse" pour dénoncer les inégalités persistantes, raconte Huguette Junod, écrivaine genevoise de 76 ans.
Trois décennies plus tard, les femmes suisses touchent en moyenne environ 20% de moins que les hommes. Et à conditions égales, notamment formation et ancienneté, l'écart salarial est encore de près de 8%, selon le gouvernement.
Quant aux agricultrices, environ 70% ne reçoivent pas de revenu car elles travaillent souvent en famille. Elles ne cotisent donc pas pour leur retraite car les non-salariés n'ont pas l'obligation de le faire, une "situation particulière" à la Suisse, déplore la présidente de l'Union des paysannes, Anne Challandes.
Après les grandes manifestations des Espagnoles, des Islandaises et des Belges, les Suisses entendent aussi faire valoir leurs droits, avec pour mot d'ordre : "Plus de temps, plus d'argent et du respect". Ce sera "un grand moment de remobilisation des féministes et de mobilisation d'une nouvelle génération" mais "les pouvoirs politiques sauront-ils les écouter ?", interroge la sociologue Eléonore Lépinard, qui enseigne à l'université de Lausanne.
Cette idée de grève est née sous l'impulsion des syndicats, ces derniers n'étant pas parvenus à introduire le principe de sanctions lors de la révision de la loi sur l'égalité en 2018. Un contrôle des salaires a été mis en place, mais limité aux entreprises d'au moins 100 employés.
1971 : le suffrage féminin
Des défilés sont prévus dans toute la Suisse le 14 juin et les femmes sont invitées à délaisser les tâches ménagères. Comme la grève ne fait pas partie de la culture suisse, il est difficile de savoir si le mouvement sera suivi.
En Suisse, la reconnaissance des droits des femmes est un long chemin. Ce n'est qu'en 1971, et après plusieurs refus, que les hommes leur ont accordé par référendum le droit de vote, soit 53 ans après l'Allemagne et le Royaume-Uni et 27 ans après la France.
Dix ans plus tard, le principe d'égalité entre hommes et femmes était inscrit dans la Constitution, mais la loi n'est entrée en vigueur qu'en 1996. "En 1991, nous constations que rien ne bougeait. Donc nous avons fait une grève", résume encore l'écrivaine genevoise.
Environ un demi-million de femmes - un chiffre élevé pour un pays qui comptait 3,46 millions d'habitantes - se mobilisèrent, défilant, improvisant des pique-niques géants dans les rues ou suspendant leurs balais aux balcons.
Ce mouvement était d'autant plus exceptionnel que les arrêts de travail sont très rares depuis l'instauration en 1937 de la "paix du travail", une convention signée entre patronats et syndicats excluant le recours à la grève au profit de la négociation.
"Celles qui n'avaient pas le droit de faire grève avaient mis un brassard fuchsia ou un signe distinctif et faisaient une pause un peu plus longue", raconte Huguette Junod.
Grève "illicite" ?
Cette situation risque de se reproduire car si la grève est soutenue par certaines entreprises ou administrations, comme à Genève où la ville fermera les crèches, l'Union patronale l'a condamnée.
"Cette grève est a priori illicite", affirme l'un des représentants de l'Union patronale, Marco Taddei, arguant que les revendications "ne visent pas uniquement les conditions de travail" et que la Constitution "stipule que le recours à la grève ne doit survenir qu'en dernier ressort". "Ce qui est illicite, c'est la discrimination salariale, c'est le harcèlement sexuel au travail", répond Anne Fritz, de l'Union syndicale suisse (USS), principale confédération syndicale.
Ces dernières années, des avancées ont été obtenues, comme la dépénalisation de l'avortement en 2002 et un congé maternité payé de 14 semaines en 2005. Mais le congé paternité n'existe toujours pas et les places en crèche, limitées et coûteuses, s'avèrent être un handicap majeur à la participation à la vie active des femmes.
En Suisse, "les modèles sociaux (...) s'apparentent au cas de l'Allemagne, avec une forte injonction des femmes à ne plus travailler ou moins après l'arrivée d'un enfant", analyse Eléonore Lépinard.