C’est une mesure qui suscite l’inquiétude chez les travailleurs frontaliers qui travaillent en Suisse : leurs indemnités chômage pourraient être divisées par deux au 1ᵉʳ janvier 2025. C'est en tout cas ce que prévoit le nouvel accord négocié la semaine dernière entre le patronat et les syndicats.
Les frontaliers sont dans le collimateur de l'UNEDIC. Et ils ont de quoi être inquiets. En Bourgogne-Franche-Comté, en juin 2024, on dénombrait 47 917 travailleurs frontaliers en Suisse. Plus de 7 travailleurs frontaliers sur 10 habitent dans le département du Doubs, près de 2 sur 10 dans le Jura et 1 sur 10 dans le Territoire de Belfort.
Signé jeudi 14 novembre 2024, les partenaires sociaux français se sont mis d’accord sur le nouvel avenant à l’accord de 2023 sur l’assurance chômage. Il prévoit la mise en place d’un coefficient d’indemnisation selon le pays d’emploi.
Clément vient d'être licencié
Depuis six ans et demi, Clément, 32 ans, franchissait chaque jour la frontière avec la Suisse, depuis le village des Fourgs, pour se rendre à son travail. Mais la semaine dernière, il a été licencié de son entreprise. Aujourd'hui, le trentenaire est inquiet pour ses futures allocations chômage.
Jusque-là, quand un Français travaillait en Suisse, il cotisait sur sa feuille de paye pour l’assurance chômage. Grâce à un accord européen de 2004, la Suisse comme d’autres pays frontaliers règlent une petite compensation de la “facture du chômage” à la France. L'accord n'a jamais été révisé. Et c’est bien, le pays d'origine, et donc l’UNEDIC en France, qui verse toujours des indemnisations calculées sur le salaire suisse. Les salaires suisses étant bien supérieurs (4400 euros bruts le salaire minimum à Genève pour 42 heures de travail), l’indemnisation coûte donc plus cher.
Alors, l'UNEDIC, qui gère l'assurance chômage en France, a entamé, en octobre, des négociations sur les règles de l'assurance chômage des frontaliers. L'UNEDIC a pointé du doigt leur système d’indemnisation, qui génère un surplus de dépenses de 800 millions d'euros par an.
Réaliser des économies
Si la proposition doit encore être examinée par les députés, la modification de la formule de calcul pour les allocataires frontaliers pourrait entrer en vigueur dès le 1ᵉʳ janvier 2025. La législation française prévoit donc d'appliquer un coefficient, censé prendre en compte les différences de salaires entre le pays d'emploi et celui de résidence. Ce coefficient, basé sur les moyennes de salaire de l'OCDE, serait de 0,47 pour la Suisse et sera réévalué tous les ans. D'autres pays comme l'Allemagne, la Belgique ou encore le Luxembourg seraient, eux aussi, soumis à un coefficient.
Cela entraînerait une nette diminution de l'indemnisation, quasiment de moitié pour les frontaliers. Elle passerait de 57% actuellement, à 28%. Clément a fait un rapide calcul : aujourd'hui, il peut prétendre à une allocation à 3 000 euros. Avec la nouvelle mesure, son indemnité pourrait baisser à 1600 euros. "Je travaille toute l'année pour m'en sortir", soupire-t-il. "Ça me mettrait en grande difficulté. Et encore, moi je suis célibataire et sans enfant, mais il suffit qu'on ait un ou deux enfants ou un prêt immobilier...", continue-t-il. Nicolas Guyon, conseiller accueil à Pontarlier au Groupement transfrontalier européen donne un exemple : "Si on prend l'exemple d'un cadre qui travaille à Paris et gagne 6 000 euros, lui touchera toujours 57% de son salaire".
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Globalement, l’ensemble de ces nouvelles règles devraient engendrer des économies en France : 179 millions en 2025, 405 millions en 2026, 893 millions en 2027, un milliard en 2028. Pour Nicolas Guyon, le pouvoir d'achat du transfrontalier va "nettement diminuer". Il précise : "Un frontalier va se retrouver dans une situation financière très délicate, au risque de ne plus pouvoir payer ses dettes".
Une mesure jugée "scandaleuse" et "discriminante"
Si la mesure est officiellement actée, le Groupement transfrontalier européen est prêt à mener une action en justice devant la Cour européenne des droits de l'Homme "pour faire condamner l'État français", précise Nicolas Guyon. "Elle devrait visiblement être votée puisque ça ferait partie des projets de financement de 2025", souligne Nicolas Guyon qui considère cette mesure "scandaleuse".
"C'est une mesure discriminante envers les frontaliers et les droits humains", déclare Thomas Fischer, directeur général du Groupement transfrontalier européen. Pour lui, la situation actuelle des chômeurs transfrontaliers ne représente pas d'abus.
Si nos indemnités passent de 57% de notre salaire, à 28%, ça change complètement la vie
Alexandre, employé dans l'horlogerie en SuisseFrance 3
"Chaque être humain vit en fonction de son salaire. Si nos indemnités baissent, ça change complètement la vie", souligne Alexandre, employé dans le secteur de l'horlogerie à côté de Lausanne. Il ajoute : "Tout le monde ne gagne pas 10 000 euros par mois. On fait plus de route, on passe plus de temps dans les bouchons, on voit moins nos proches". Si cette mesure venait à s'appliquer aux frontaliers, "il faudrait généraliser la baisse des indemnisations à tous les Français qui les perçoivent", déclare Thomas Fischer de Groupement Transfrontalier Européen.
Les 77 000 frontaliers français au chômage ont coûté en 2023 à la France 803 millions d'euros chaque année d’après le rapport de l’UNEDIC. Au total, depuis 2011, le surcoût cumulé de l'indemnisation des frontaliers s'élèverait à 9 milliards d'euros.