Le ras-le-bol gagne les frontaliers du Haut-Doubs depuis plusieurs semaines. Ces hommes et femmes qui travaillent en Suisse voisine font face matin et soir à des bouchons notamment au poste de douane de Vallorbe dans le canton de Vaud. Nous avons rencontré trois frontaliers qui, face à une situation qui se dégrade, tentent de faire bouger les choses.
Chaque jour, Raphaël Borne se rend au travail vers la Suisse. Ce soir-là, c’est l’heure du retour. Et la lassitude est perceptible. “Pour faire 35 km, il faut encore 1h10, et là, on est à l’arrêt” explique l’homme à notre journaliste Marine Candel.
Les bouchons vont parfois de la douane de Vallorbe jusqu’à l’entrée de Pontarlier. 22 km d'enfer. Pour revenir de Suisse, Raphaël met deux heures en ce moment, pour faire un trajet qui ne devrait en prendre qu’une.
Tous les jours, c’est ça notre vie, travail, bouchons, travail, bouchons. On n'a presque plus de vie de famille puisque la plupart du temps, on est sur la route ou au travail.
Raphaël Borne, créateur de la page Info Trafic Haut-Doubs
Raphaël a créé une page Facebook Info Trafic Haut-Doubs ou les frontaliers s’alertent sur les conditions de trafic ou la météo. Ils partagent aussi leur lassitude. Le Doubs compte à lui seul environ 34.000 frontaliers en 2024. Des salariés attirés par des salaires plus attrayants, mais à quel prix.
Il y a 20 ans, on n’avait pas tous ces bouchons. Maintenant, il y a de plus en plus de personnes qui viennent travailler en Suisse, de plus en plus de voitures, et des routes qui ne sont plus adaptées à la situation. Et, ça ne va plus. Franchement, c’est affreux.
Raphaël Borne, frontalier
Développer le transport collectif dont le ferroviaire
Peter Vereecken est, lui aussi, frontalier. Il a la chance de pouvoir prendre le train jusqu’à la gare du Day en Suisse.
Aujourd’hui, si on regarde les statistiques, dans le Doubs, il y a 2% des frontaliers qui peuvent prendre le transport public. La moyenne en France est à 10%. Si on arrivait à mettre ces 10% de gens qui prennent la voiture dans le train, ce serait une belle réussite.
Peter Vereecken, frontalier suisse
Les frontaliers tablent sur un renforcement de la liaison entre Pontarlier et Vallorbe, passant par Frasne. Actuellement, seuls deux TER font l'aller-retour.
Pour Peter, des travailleurs frontaliers pourraient prendre le train si le réseau et les horaires s’y adaptent. “Il y a le potentiel ferroviaire qui existe, il y a l’infrastructure. Il manque juste le matériel roulant et la bonne volonté des politiques pour faire quelque chose” estime Peter Vereecken.
Interrogé il y a quelques jours par France 3 Franche-Comté, Michel Neugnot (PS), vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté, notamment en charge des mobilités explique que la région fait tout ce qu’elle peut pour améliorer les déplacements de frontaliers. "Mais les lignes que pointent les frontaliers sont régies par les accords franco-suisses. Nous sommes tenus de travailler avec le réseau ferroviaire suisse, qui n'a pas le même fonctionnement que nous". Pour la ligne Vallorbe ou Les Longevilles, de futurs aménagements ne sont pas d'actualité, indique l’élu.
Des collectifs pour faire bouger les choses
Michaël Schoepf est l’auteur de “La Lettre Ouverte de Travailleurs Frontaliers”, une lettre à l'intitulé clair et net : "appel pour repenser les transports transfrontaliers du Haut-Doubs". Il veut espérer, mais sait que le dossier est compliqué. “Notre travail aujourd’hui c’est de recenser toutes les énergies positives, les gens qui en coulisses se posent les questions ou ont peut-être déjà des pistes de réponses, les trains, les parkings de covoiturage, des choses pour le vélo. On sait très bien que ce ne sera pas pour demain, mais on espère que dans 15 à 20 ans, notre investissement aura eu un impact”.
Mickaël Schoepf invite toute personne se sentant concernée par cette problématique des transports vers la Suisse à prendre contact avec lui par mail à cette adresse : hautdoubsfautquecaroule@gmail.com
Des frontaliers de plus en plus nombreux
Améliorer les flux de travailleurs entre la France et la suisse, sera un enjeu majeur ces prochaines années. Le nombre de frontaliers reste en constante progression dans le Doubs, + 24 % en 5 ans.
Un phénomène qui s’observe aussi du côté du bassin de Genève. “+ 10% depuis le début de l’année sur le secteur de Genève. La démographie n’est pas bonne au niveau de la Suisse. Les “boomers” partent en retraite. Ces migrations du travail sont donc nécessaires. Des frontaliers historiques aussi quittent le monde du travail, une nouvelle génération arrive, et elle arrive de plus loin, Lille, Bordeaux, Marseille” précisait le 24 octobre 2024 Thomas Fischer, directeur du groupement transfrontalier européen.
La Suisse eldorado des salaires, à condition d’en payer le prix fort. Des heures, de longues heures sur la route.