UNEDIC, patronat et syndicats ont entamé le 22 octobre des négociations sur les règles de l’assurance chômage. Et les frontaliers ont de quoi être inquiets. Début octobre, l’UNEDIC qui gère l'assurance chômage en France a pointé du doigt leur système d’indemnisation. Il génère un surplus de dépenses de 800 M€ par an.
"Sale temps" pour les frontaliers. Ils sont près de 445.000 en France (chiffres de 2020) à travailler en Suisse, Allemagne, Belgique ou Luxembourg pour de meilleurs salaires, certes, mais en sacrifiant des heures de sommeil pour leurs trajets, des heures avec leurs familles.
L’exemple du frontalier suisse
Quand un Français travaille en Suisse, il cotise bien entendu sur sa feuille de paye pour l’assurance chômage. Mais c’est bien son pays d'origine, et donc l’UNEDIC en France qui vont lui verser des indemnisations calculées... sur son salaire suisse. Les salaires suisses étant bien supérieurs (4400 euros bruts le salaire minimum à Genève pour 42 heures de travail), l’indemnisation coûte de facto plus cher. Exemple, pour cette Française qui travaillait dans l’export à Genève : 6.000 euros de salaires en Suisse, 3.500 euros d’indemnisation chômage.
En 2023, les allocataires frontaliers ayant travaillé en Suisse ont été indemnisés en moyenne 2 670 € par mois, contre 1 265 € pour l’ensemble des allocataires indemnisés par le régime d’assurance chômage français.
Revoir les accords bilatéraux de l’indemnisation chômage avec les pays frontaliers
Grâce à un accord européen de 2004, la Suisse comme d’autres pays frontaliers règlent une petite compensation de la “facture du chômage” à la France. Ils payent trois à cinq mois de chômage selon les pays. Pour Thomas Fischer, directeur du groupement transfrontalier européen, il y a urgence à agir.“Il faut aujourd’hui prendre ce problème à bras-le-corps. Réviser tout cela ne doit pas se faire à la hussarde”.
La législation européenne autorise les pays concernés à conclure des accords bilatéraux permettant une meilleure répartition de la charge financière. Or les gouvernements français, alertés depuis bientôt 20 ans, n’ont jamais conclu d’accord sur ce point avec la Suisse, laissant ainsi à la Suisse le bénéfice des centaines de millions de cotisations payées par les frontaliers
Groupement Transfrontalier Européen (GTE)
"Le frontalier est souvent le bouc émissaire de tous les maux"
Le Groupement Transfrontalier Européen (GTE) dénonce l’inaction des autorités françaises face au déséquilibre du régime d’indemnisation chômage des frontaliers et rejette toute stigmatisation de ceux-ci alors que la dette de l’UNEDIC atteindra 44,3 milliards en 2027.
“Tous les frontaliers ne gagnent pas 10.000 euros. Oui, un électricien gagnera mieux sa vie en Suisse, mais les règles sont compliquées, et la protection sociale moindre” ajoute Thomas Fischer. Il est facile de licencier en Suisse. “Les frontaliers, c'est à la fois une main-d’œuvre aimée, chérie, jalousée, vilipendée, le Français est souvent le bouc émissaire de tous les maux” déplore le représentant des frontaliers alors que le ministère du Travail demande 400 millions euros d’économie aux partenaires sociaux.
L’UNEDIC le dit aussi : les frontaliers ne sont pas plus au chômage que le reste de la population.
Moins indemniser les frontaliers ?
Les 77 000 frontaliers français au chômage ont coûté en 2023 à la France 803 millions d'euros chaque année d’après le rapport de l’UNEDIC (1,0 milliard d'euros de dépenses pour 200 millions de remboursements).
L’une des pistes envisagées par la nouvelle ministre du Travail et de l’emploi Astrid Panosyan-Bouvet, Ministre du Travail et de l'Emploi serait de contraindre les frontaliers à reprendre un emploi le plus rapidement possible. À nos confrères de l’Œil du 20 heures, elle a réitéré cette notion "d’offre raisonnable d’emploi" pour les travailleurs frontaliers.
Au bout de deux refus d'offres raisonnables d’emploi, on peut être radié de France Travail. Maintenant, on va prendre comme salaire de référence, non pas celui du pays où les frontaliers travaillaient, mais celui de la France.
Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail et de l'EmploiOeil du 20 heures, France 2
Thomas Fischer s’interroge sur la mise en œuvre de cette mesure qui stigmatise à nouveau les frontaliers. Les cadres ayant travaillé en Suisse par exemple, se verraient-ils, proposés des offres d’emploi de niveau cadres ou d’autres bien moindre et sans rapport avec leurs compétences ou études.
Des frontaliers de plus en plus nombreux
Pour le groupement transfrontalier européen, il y a urgence à agir. 46.907 frontaliers ont été au chômage en 2023. Et ils sont de plus en nombreux à venir travailler dans ce pays :
“+ 10% depuis le début de l’année sur le secteur de Genève. La démographie n’est pas bonne au niveau de la Suisse. Les “boomers” partent en retraite. Ces migrations du travail sont donc nécessaires. Des frontaliers historiques aussi quittent le monde du travail, une nouvelle génération arrive, et elle arrive de plus loin, Lille, Bordeaux, Marseille” précise Thomas Fischer.
Le poids de l’assurance chômage des frontaliers pourrait bien continuer à peser sur l’économie française si les autres pays ne prennent pas leur part de la facture. Belgique, Pays-Bas et Luxembourg n’ont aucun intérêt à aller sur cette voie, une large partie de leur main-d’œuvre est frontalière.