Dans le Haut-Doubs, après un été difficile en raison de travaux, les embouteillages en direction de la Suisse continuent de se multiplier, de 4 à 21 heures. Chez les travailleurs frontaliers, la colère monte. D'autres cherchent des solutions.
"4h00, bouchon rond-point de Jougne", "Plus de 40 min pour faire 500m après la douane de Vallorbe, direction France à 20h", "1h15 pour faire la douane Jougne haut !!!!! À 14h en plus, et apparemment, ça a été comme ça tout l'aprèm.....". Sur le groupe de partage des informations routières des frontaliers du Haut-Doubs, depuis la rentrée scolaire, les messages de ce type, et photos de voitures à l'arrêt, en file indienne, se multiplient. À la grande colère des travailleurs frontaliers qui les subissent.
"Là, en ce moment, c'est affreux" soupire Raphaël Borne. L'administrateur du groupe "Info trafic Haut-Doubs", lui-même frontalier, il est directement concerné : "normalement, je devrais mettre 1h aller, 1h retour, mais là, c'est plutôt 2h aller, 2h retour".
Les difficultés ont débuté l'été dernier, lorsque des travaux à La Cluse-et-Mijoux ont été lancés. Dans ce secteur montagneux, les accès à la Suisse sont peu nombreux.
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La RN 57, qui permet d'accéder à la douane de Vallorbe, pour rejoindre Orbe, Yverdon-lès-Bains ou encore Lausanne, concentre des flux de frontaliers venus de Métabief, Pontarlier, et parfois même Besançon. Dans cet entonnoir, le moindre grain de sable suscite de longs bouchons. Plus de 5 000 frontaliers passeraient chaque jour par la douane de Vallorbe.
"Situation monstrueuse"
En temps normal, "l'heure de pointe, ça commence vers 6-7h, et ça dure à peu près 2 heures, ça bouchonne aussi vers 13 h 30 pour les changements d'équipe, et puis le soir de 16 h vers 18 h 30", explique Raphaël Borne. "Dès qu'il y a une circulation alternée quelque part, c'est toute la journée".
Or, depuis la rentrée, les petits travaux entre Pontarlier et Jougne se sont multipliés. "Quand ce n'est pas à La Cluse-et-Mijoux, c'est à Jougne" s'agace un internaute, "ça devient impossible d'aller au boulot sereinement". "Beaucoup de chantiers en simultané" regrette une frontalière. Sur le site, ils sont nombreux à fustiger des travaux qu'ils estiment être mal organisés : "c'est n'importe quoi" tranche Raphaël Borne.
"On part le matin, on ne sait jamais ce qui va nous attendre. Stress, fatigue, on est moins tolérant sur la route et les accidents s'en ressentent" ajoute une autre. Des accidents qui bloquent, eux aussi, la circulation.
"Arriverais-je à l'heure ? " s'inquiète chaque matin une autre habitante du Haut-Doubs. "Des gens attendent sur les parkings des entreprises, qu'ils aient le droit de pointer". "Je pars tous les jours une heure avant ma prise de poste, qui n'est qu'à 25 minutes de mon domicile, tellement la situation est monstrueuse" décrit un comparse.
Passer la frontière en train ?
Dans ce climat de ras-le-bol routier, un petit groupe de frontaliers veut tirer son épingle du jeu. Ils sont une soixantaine, réunis dans un collectif informel et sur le point de créer une association, à militer pour une alternative aux embouteillages : le train.
"Les bouchons, c'est nous" souligne Peter Vereecken, co-initiateur du mouvement "Si on ne change pas nous nos habitudes, ça ne marchera pas". Habitant du Haut-Doubs, il traverse chaque jour la frontière en voiture... Pour prendre le train à Vallorbe, direction Lausanne. "Je fais partie des gens qui ne peuvent pas prendre le train côté France" explique-t-il, "On est une cinquantaine".
Côté Suisse, les dessertes ferroviaires sont très régulières : un train toutes les heures pour la Vallée de la Joux, un toutes les demi-heures en direction de Lausanne. Côté Français, une liaison permet de rejoindre Vallorbe depuis Pontarlier, en passant par Frasne. Mais seuls deux TER font l'aller-retour. En 2022, un rapport du Groupement Transfrontalier Européen (GTE), estimait que les horaires des TER n'étaient adaptés qu'à "seulement 17% des utilisateurs".
Il y a un bus entre Frasne et Vallorbe, mais ils roulent quasi à vide ! Ils ne répondent à aucun besoin, parce qu'ils prennent le même bouchon que nous et sont en retard.
Peter Vereecken, frontalier
"Notre but, c'est d'avoir plus de trains" expose Peter Vereecken, "on voudrait, dans un premier temps, étoffer l'offre pendant l'heure de pointe". De deux à quatre aller-retours par jour, pour couvrir plus de besoins. Il souligne qu'en train, Pontarlier-Vallorbe prend 30 minutes. La même durée qu'en voiture... lorsqu'il n'y a pas de bouchons. "Et il y a aussi la fatigue en moins" ajoute-t-il.
Autre piste : utiliser une gare de plus. Le rapport du GTE estimait qu'un "arrêt supplémentaire aux Longeville Mont d'Or ajoute[rait] 40% d'usagers potentiels". Peter Vereecken souligne qu'un TER pourrait accueillir une centaine de frontaliers, l'équivalent d'un kilomètre de bouchons.
Horaires, matériel, financement… Le collectif, qui n'a pas encore de nom officiel, travaille déjà à formuler des propositions concrètes aux politiques locaux. Peu avant sa nomination officielle de ministre de l'Agriculture, ils avaient rencontré Annie Genevard.