Dans le Haut-Doubs, les frontaliers travaillant en Suisse sont depuis plusieurs mois en colère contre les importants embouteillages rencontrés tous les jours sur la route. Après avoir alerté sur la situation, plusieurs frontaliers tentent de se regrouper pour proposer des solutions.
Des lignes de train, des aires de covoiturage, une meilleure communication et planification des travaux routiers : après la colère, la volonté de faire bouger les choses chez les travailleurs frontaliers franco-suisses. Il y a quelques semaines, nous donnions la parole à plusieurs Francs-Comtois, excédés par la situation à la frontière suisse, où de nombreux embouteillages rallongeaient quotidiennement leur temps de trajet en raison de travaux ou d'accidents.
► À LIRE AUSSI : À la frontière Suisse, des bouchons de 4 heures du matin à 21 heures... et si la solution pour les frontaliers était le train ?
"4h00, bouchon rond-point de Jougne", "Plus de 40 min pour faire 500m après la douane de Vallorbe, direction France à 20h", "1h15 pour faire la douane Jougne haut !!!!! À 14h en plus, et apparemment, ça a été comme ça tout l'aprèm.....". Photos de voitures à l'arrêt, en file indienne, les messages de mécontentement sont fréquents sur la page Facebook Info Trafic Haut Doubs. Face à cette situation handicapante et qui ne s'améliore pas, les travailleurs frontaliers ont décidé de prendre les choses en main.
Résoudre le "fardeau de la route"
Première étape : la rédaction d'une lettre ouverte à l'intitulé clair et net : "appel pour repenser les transports transfrontaliers du Haut-Doubs". Avec un message exposé d'entrée : "un fardeau pèse sur nos épaules : celui de la route".
Chaque jour, les kilomètres que nous parcourons sont rythmés par les embouteillages, les travaux, les accidents et les imprévus. Ces obstacles, pour beaucoup inévitables, affectent lourdement notre quotidien.
Extrait d'une lettre ouverte de travailleurs frontaliers,Info Trafic Haut-Doubs
"Nous parlons ici de plusieurs heures perdues chaque semaine, de journées qui commencent bien avant le lever du soleil et qui se terminent tard le soir" précise la lettre. "Le simple fait de se rendre sur notre lieu de travail devient une épreuve physique et mentale".
À l'origine de cet appel, Mickaël Schoepf. "Je ne travaille en Suisse que depuis quatre ans" explique cet habitant de Doubs à France 3 Franche-Comté. "Mais j'ai tout de suite vu l'ampleur du problème. À chaque fois que je parlais avec un frontalier, la première chose qu'on demandait, c'était "ça a été la route" ? Et pas mal de gens la vivaient très mal, certains voulaient même quitter leur job à cause du temps de voiture. Ce n'était plus possible".
C'est pour remédier à cette situation que Mickaël Schoepf, en accord avec Raphaël Borne, créateur de la page Info Trafic Haut Doubs, a décidé de publier cet appel. Avec l'objectif de réunir le plus d'usagers possibles, afin de peser dans les négociations et de pouvoir être force de propositions. "Nous ne souhaitons plus nous contenter de "râler" " explique Mickaël. "Nous sommes prêts à nous engager aux côtés des collectivités pour travailler ensemble sur des solutions réelles, durables, et adaptées à notre quotidien".
► À LIRE AUSSI : "Frontaliair Lines", un avion pour réduire les bouchons vers la Suisse ? Le buzz d'une blague qui illustre une situation sous tension
Plus de trains, la solution idéale ?
Dans le détail, quelques pistes ont déjà été évoquées. La première, déjà portée par un autre groupe d'une soixantaine de frontaliers, veut développer l'usage du train. " Même si les choses se sont un peu arrangées avec la réouverture de la ligne des Horlogers, après huit mois de travaux, le train est encore sous-exploité" estime Mickaël Schoepf. "Plus de lignes, efficaces et régulières, permettraient de désengorger les routes, et ce serait aussi bon pour l'écologie".
Dans le viseur des frontaliers, la liaison entre Pontarlier et Vallorbe, passant par Frasne. Actuellement, seuls deux TER font l'aller-retour. De nombreux frontaliers aimeraient augmenter ce nombre. Autre idée : utiliser une gare de plus. En 2022, un rapport du Groupement Transfrontalier Européen (GTE), estimait que les horaires des TER n'étaient adaptés qu'à "seulement 17% des utilisateurs". Il proposait qu'un "arrêt supplémentaire aux Longevilles Mont d'Or ajoute[rait] 40% d'usagers potentiels".
Des aires de covoiturage mieux placées demandées
En plus des trains, Mickaël Schoepf milite pour "la création de parkings de covoiturage bien conçus, avec des espaces sûrs et facilement accessibles, car ceux qui existent sont placés avant les bouchons et ne changent donc rien au trafic". "Nous espérons que cet appel sera entendu, et que des actions concrètes suivront. Ensemble, nous pouvons changer les choses et assurer un meilleur avenir pour tous les habitants du Haut-Doubs, car il en va également de la préservation écologique du Haut-Doubs" peut-on lire dans l'appel publié sur Facebook.
Du côté des collectivités, cet appel a-t-il été pris en compte ? "Nous sommes au courant de ces revendications, qui ne datent pas d'hier" explique Michel Neugnot (PS), vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté, notamment en charge des mobilités. "Mais les lignes que pointent les frontaliers sont régies par les accords franco-suisses. Nous sommes tenus de travailler avec le réseau ferroviaire suisse, qui n'a pas le même fonctionnement que nous".
Dès que nous pouvons faire des efforts en faveur des frontaliers, nous le faisons. Mais uniquement quand il y a des compatibilités avec le réseau suisse. Pour Vallorbe ou les Longevilles, de futurs aménagements ne sont pas d'actualité.
Michel Neugnot,vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté
Quid du covoiturage ? "C'est un travail que nous menons déjà auprès des communautés de communes, et depuis longtemps" reprend Michel Neugnot. "Elles ont possibilité de créer un réseau local via notre outil Mobigo covoit". Face à la situation à la frontière suisse, la région pense-t-elle toutefois prendre l'initiative pour créer de nouvelles aires ? "Ce n'est pas un travail prévu par la loi" conclut le vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté. "Vu le nombre d'associations d'usagers, on ne fait pas de promesses qu'on ne veut pas tenir".
Contactées par France 3 Franche-Comté, les douanes franc-comtoises n'étaient pas en mesure de nous répondre dans nos délais de publication. Pour autant, leur nouvelle directrice, Estelle Rocklin, assurait le 25 octobre dans un article de L'Est Républicain vouloir "avancer avec nos partenaires suisses et présenter des solutions de simplification et de fluidité lors du passage à la frontière [...] Il faut que l’on avance rapidement sur ce sujet".
Plusieurs centaines de témoignages déjà récoltés
Des réponses qui ne satisfont pas Mickaël Schoepf. "C'est bien triste" réagi l'auteur de l'appel. "On nous parle d'efforts et de solutions déjà présentes, encore faut-il en être informé. Mais je suis sûr qu'à plusieurs, autour d'une table, on peut trouver des solutions pour veiller à la santé des travailleurs et à celle de notre environnement". Le cinquantenaire précise également ne pas avoir encore contacté les collectivités concernées. "Nous n'avons pas encore de solutions définitives à leur proposer" se justifie-t-il. "Nous en sommes à la phase de recueil de témoignages".
Dans cette optique, Mickaël Schoepf invite toutes personnes se sentant concernée par cette problématique à prendre contact par mail à cette adresse : hautdoubsfautquecaroule@gmail.com. "Nous avons déjà récolté plusieurs centaines de témoignages, preuve que ce sujet est d'importance et d'actualité".
► À LIRE AUSSI : Assurance-chômage : “Pourquoi stigmatiser les frontaliers ? Tous ne gagnent pas 10.000 euros !”
L'objectif sera ensuite de constituer une association pour proposer des solutions concrètes aux partenaires régionaux, en réunissant des particuliers, mais aussi des mouvements de frontaliers déjà existants. En ce sens, une réunion entre usagers devrait avoir lieu dans les prochaines semaines. Pour un vrai changement, ou un nouveau coup d'épée dans l'eau ? Affaire à suivre.