Dans un livre à paraître ce jeudi, le célèbre avocat Alain Jakubowicz revient sur ses plus grands combats : le procès Barbie, celui du Tunnel du Mont-Blanc, l'affaire Benzema, mais surtout les dossiers Lelandais. Des pages intimistes et, étrangement, pleines d'humanité malgré l'horreur.
L'entrée en matière est crue. "Va mourir en enfer, gros bâtard", "Je vous souhaite de mourir d'un cancer généralisé dans les pires souffrances", "J'espère qu'on fera subir la même chose à vos petits-enfants", énumère Alain Jakubowicz, citant un florilège des menaces reçues depuis qu'il a accepté de défendre Nordahl Lelandais. Et c'est par ces mots que l'avocat commence ses confessions dans son livre "Soit je gagne, soit j'apprends" (éditions PLON) à paraître jeudi 14 novembre sur l'affaire la plus médiatique qu'il a eue à traiter.
Un dossier qu'il récupère, dit-il, par hasard. Un dossier qu'il accepte. Sans trop hésiter, visiblement. Sans nier, renier, une part d'ego : "Et si le destin m'avait amené LE dossier dont rêve tout avocat ? Celui qui permet de faire éclater l'innocence d’un individu que tout accable".
Dans son livre, Alain Jakubowicz raconte tout. La première rencontre avec son client à la prison de Saint-Quentin-Fallavier, en septembre 2017, quand Lelandais clamait encore haut et fort son innocence dans le dossier Maëlys. Les doutes, les tiraillements, qui assaillent l'avocat à l'idée de ce que pourrait lui dire alors, lui confier, son client. Ce "paumé fruit de notre époque et de notre société et qui reportait sur la race canine l’amour qu’il ne savait ni donner ni recevoir".
Sa surprise, aussi. Son incrédulité lorsque, le 18 décembre 2017, la gendarmerie de Chambéry l'appelle pour lui dire que Lelandais est de nouveau placé en garde à vue, suspecté d'avoir tué le caporal Arthur Noyer : "J’étais emporté par le tsunami, j'ai songé à refuser le dossier".
Du rôle de défenseur à celui d'accoucheur de vérité
Dans ce livre, Alain Jakubowicz livre également quelques détails, décrivant les photos de motos et de chiens accrochées aux murs de la cellule de Lelandais. Il y parle aussi du tutoiement qui s’est "imposé" lorsqu'il s'adresse à son client et des trois seuls livres que celui-ci a lu : "La véritable histoire de Bouddha", "Charlie et la Chocolaterie" et un livre sur Patrick Dills découvert en prison.
Il détaille la mine livide de sa collaboratrice lorsque des traces du sang de Maëlys sont retrouvés dans l'Audi de Lelandais : "La tristesse l'emportait sur la fureur, je me sentais subitement seul". Et d'évoquer alors sans détour le péché d'orgueil de l'avocat qui pensait réaliser le coup du siècle.
Là, l'avocat poursuit son récit très intimiste, évoquant ses problèmes de conscience, sa difficulté à trouver le ton juste pour parler à son client lorsque les preuves et les charges s'accumulent. Puis le moment où son rôle bascule : de défenseur, il devient accoucheur de vérité, accompagnant et assistant Lelandais jusqu'au lieu où il a abandonné le corps de la petite Maëlys.
Un procédé répété quelques mois plus tard dans le dossier Noyer alors que, cette fois, les preuves formelles manquaient au dossier. Des aveux "sans doute impossibles sans le travail entrepris avec les psychologues et les psychiatres du Vinatier", où Nordahl Lelandais avait alors été hospitalisé.
"J'étais tétanisé"
Un récit intime car, sans fausse pudeur ni tabou, Alain Jakubowicz raconte et assume la proximité qui, immanquablement, s'est créée avec son client dans l'univers confiné de la prison. Ces échanges anodins mais terriblement humains qui contrastent tant avec l'image du monstre. Des instants normaux, marqués par la banalité du quotidien, qui tranchent cruellement avec les grands rendez-vous de l'instruction.
Lorsqu'arrive la description de la reconstitution du meurtre de Maëlys, l'émotion prend le dessus. Et le lecteur, sa distance. Car l'avocat, fidèle à sa ligne, ne cache rien de ce terrible moment : "Je n'imaginais pas qu'il fut possible de porter des coups d’une telle violence, j'étais tétanisé".
Au fil des pages, l'avocat dégaine des saillies. D'abord contre les déclarations du procureur de Grenoble au moment du début de l’affaire, puis contre les chaînes d’'informations en continu, accusées de violer la présomption d’innocence et les droits de la défense. Et d'évoquer, là encore, sa "rage", son "abattement" et son "abyssal sentiment d'impuissance". Ces sentiments qui, à l’époque, l’avaient poussé à s’indigner avec force sur le plateau de BFMTV. Une indignation qu'Alain Jakubowicz dit ne pas regretter, persuadé alors que les éléments du dossier sur l'heure de disparition de Maëlys lui donnaient raison.
Des détails, des émotions, des ressentis et des justifications. Alain Jakubowicz explique avoir informé Nordahl Lelandais de l'écriture du livre, avoir obtenu son accord. Mais l’avocat fait surtout passer un message sans doute trop souvent oublié dans les "affaires Lelandais" : celui du rôle, de l’importance, de l’avocat. Celui de la nécessité, pour tous, innocent comme coupable, d’être représenté et défendu.
Si certains espéraient trouver une ébauche de plaidoirie, un procès ou une défense avant l'heure, ils seront déçus. Car si les pages noircies par Alain Jakubowicz sont intéressantes, captivantes, elles le sont surtout car elles reposent la question de la place et du rôle de la justice à l’heure de l’emballement médiatique.