En Bourgogne et en Franche-Comté, les pots de moutarde se font de plus en plus rares dans les rayons de supermarchés. La cause ? Un mélange de plusieurs sujets d'actualité, du local à l'international. Et cela ne risque pas de s'arranger.
"Je n'ai pas trouvé de moutarde, c’est dingue !", fulmine une cliente dijonnaise. "On peut venir tous les jours, on en trouve quasiment jamais", s'exclame ce consommateur. En Côte-d'Or, dans la Nièvre, l'Yonne ou bien la Saône-et-Loire, les rayons de moutarde se vident et les magasins ont de plus en plus de difficultés à s'approvisionner.
Le réchauffement climatique, le conflit russo-ukrainien, des décisions gouvernementales qui mettent à mal l'industrie française… Dans un pot de moutarde, on retrouve tous les sujets d'actualité du moment. On vous explique pourquoi cette pénurie va certainement durer.
Parce que le Canada souffre de la météo depuis deux ans
Le Canada est le premier exportateur mondial de graines de moutarde. Il approvisionnait 80% des graines en France jusqu'à ce que des événements météorologiques viennent perturber ses récoltes. Un dôme de chaleur extrême s'abat sur le pays depuis quelques années (les températures ont avoisiné les 50 degrés en 2021 !) et cela entraine de terribles conséquences pour le marché de la moutarde.
La récolte est divisée par deux et le Canada plante deux fois moins depuis deux ans. Conséquence ? On passe de 174 000 tonnes de graines de moutarde en 2018 à seulement 71 000 tonnes en 2021. Un rendement extrêmement faible que l'on n'avait plus vu depuis 1997 et qui ne risque pas de s'arranger avec le réchauffement climatique.
"Même les années où les récoltes étaient mauvaises et où il n'y avait pas beaucoup de disponibilités, on payait plus cher et on avait ce qu’on voulait. Aujourd'hui, on n'a pas ce qu'on souhaite. Peu importe le prix qu'on met", témoigne Luc Vandermaesen, directeur général de Reine de Dijon.
Parce que les pays exportateurs sont en conflit
Si l'ancien premier exportateur mondial de graines de moutarde subit des conditions météorologiques inédites, ses concurrents doivent faire face à d'autres problématiques. En effet, le deuxième territoire exportateur n'est autre que la… Russie.
Actuellement sanctionné par un embargo commercial à propos du conflit russo-ukrainien, le pays ne peut exporter ses graines de moutarde. La guerre bouleverse les échanges agroalimentaires et la moutarde en subit les conséquences. L'Ukraine est également l'un des principaux exportateurs. En plein conflit avec son voisin russe, c'est toute une économie qui est pénalisée.
L'actuel premier pays mondial dans la production de graines de moutarde n'est autre que le Népal, mais il n'est pas ouvert à l'exportation.
Parce que la France se met des bâtons dans les roues…
La France ne peut pas répondre à ses besoins en moutarde. En 2016, alors que le pays produit 12 000 tonnes par an de graines de moutardes (bien loin des 32 000 nécessaires pour le pays), une loi vient mettre à mal sa production sans proposer d'alternative.
Les insecticides sont désormais interdits, une décision toujours contestée de nos jours et qui a des conséquences importantes sur les champs de graines de moutarde. L'Altise, un insecte sauteur de l'ordre du coléoptère, fait des ravages en France puisque la production de graines a été divisée par quatre en cinq ans.
En 2021, le pays connaît un gel sans précédent au mois d'avril. Le monde de l'agriculture subit de lourdes pertes et les graines de moutarde n'y échappent pas. Conséquence, ce sont seulement 4 000 tonnes qui sont récoltées à la fin de l'année. “Depuis cinq ans on fait la moitié de ce que nous demandent les industriels”, confie Fabrice Genin, un producteur agriculteur bourguignon.
…Et ses producteurs en payent le prix
La France paie sa dépendance aux échanges agro-alimentaires intracontinentaux. À l'aube d'une crise de moutarde sans précédent, beaucoup affirment qu'il est temps pour le pays de renforcer son système de production. Une tâche qui semble bien mal embarquée puisqu'il n'y a toujours aucune réelle solution pour remplacer l'insecticide.
Si la récolte 2022 est mauvaise, on n'aura clairement pas de solutions.
Luc VandermaesenDirecteur général de Reine de Dijon
Pire, de plus en plus de producteurs tournent le dos à l'industrie de la moutarde, jugée trop fragile et pas assez rentable à entretenir. “On était 350 producteurs et aujourd'hui on n'est plus que 250. Mes collègues font de moins en moins de surface, parce que le risque de faire de la moutarde est très élevé”, avoue Fabrice Genin. Ces derniers préfèrent se tourner vers le colza et le tournesol dont les prix flambent.
La précédente récolte a montré des signes inquiétants et cela ne va pas s'arranger avec le temps. La moutarde se rarifie dans les rayons de supermarchés et l'approvisionnement excessif des consommateurs risque d'aggraver une situation déjà bien fragile.