Citoyens chasseurs de pédophiles : “Nous faisons un travail d'intérêt public” estime la Team Moore

Qui est La Team Moore ? Comment travaille-t-elle ? Ce collectif de citoyens a dénoncé jeudi 18 septembre à la police de Haute-Saône et de Côte-d’-Or deux hommes. Ils avaient fait des propositions sexuelles à des mineures, ils étaient sur le point de les rencontrer. 

Au bout du fil, Neila Moore. Cette mère de famille lyonnaise fait partie de la Team Moore. Ce collectif citoyen international explique vouloir lutter contre la pédocriminalité sur internet. Il crée de faux profils d’enfants sur Facebook. Des profils abordés régulièrement par des pédophiles.

Dimanche 21 septembre, Neila aurait dû se rendre à Besançon. Pour être quelques minutes, Léna, une fillette de 12 ans. 

Un Haut-Saônois de 54 ans avait donné rendez-vous à cette mineure virtuelle. Il échangeait avec elle depuis plusieurs mois des messages à caractère sexuel, via la messagerie Facebook. “Je voulais me déguiser en appât. Si la confrontation avec ces pédophiles n’est pas nécessaire, le fait que l’homme aborde l’enfant, il y a alors flagrant délit et la peine encourue passe de 2 à 5 ans” explique la jeune femme qui a déjà servi de leurre plusieurs fois.
 
La Team Moore avait prévu d’opérer ce jour-là sous le regard d’une chaîne de télévision, elle avait contacté la police de Besançon pour lui remettre des éléments, et l’avertir. La Team Moore n’a finalement pas mené son action jusqu’au face à face avec le pédophile présumé. L’homme a été arrêté samedi 20 septembre par les policiers à son domicile près de Gray en Haute-Saône. 
 

“La Team Moore, c’est une cinquantaine de personnes en France, Belgique, Ile de la Réunion ou Ile Maurice”

Comme Neila, d’autres bénévoles, citoyens, parents, anciennes victimes composent cette armée de l’ombre qui n’agit pourtant dans aucun cadre légal. “Notre travail est utile, je préfère que ces hommes parlent avec nous, plutôt qu’à de vrais enfants. Nous pouvons travailler avec les forces de l’ordre comme c’est déjà le cas en Grande-Bretagne” estime Neila. “Nous agissons dans un protocole strict, nous utilisons des photos d'enfants qui nous appartiennent, nous n’incitons jamais ces hommes, nous les laissons venir, nous ne révèlons jamais leur identité” justifie la jeune femme. 
 


Pour certains profils qui contactent les enfants, l’étau se resserre assez vite. “L’homme interpellé à Dijon avait par exemple pris contact avec la (fausse) fillette, une dizaine de jours avant de lui fixer un rendez-vous” explique Neila. “Nous travaillons uniquement avec le réseau social Facebook car ce réseau social légitime la présence d’enfants à partir de l'âge de 13 ans, et nous privilégions les conversations avec de vrais profils Facebook identifiables” complète la bénévole de la Team Moore. Le collectif a été fondé par Steeve Moore, un Réunionnais qui en mai 2019 a permis l'arrestation d’un homme sur l'île, alors qu’il avait donné rendez-vous lui aussi à une mineure.
 

Des chasseurs de pédophiles moyennement appréciés par le monde judiciaire 

En Haute-Saône, c’est la première fois que la Team Moore livre des débuts de preuves à l’encontre d’un suspect. L’homme de 54 ans a reconnu les faits au terme de sa garde à vue pour corruption de mineur, détention, diffusion et recel d'images de mineurs à caractère pornographique. Il reste présumé innocent. Son matériel informatique, a été saisi. La justice veut savoir si ce dernier a contacté d’autres enfants. 

"C'est un nouveau phénomène qui pose question. C'est un procédé original pour lequel une grande vigilance est attendue car les organisateurs du collectif peuvent être poursuivis s'ils révèlent l'identité du mis en cause sur les réseaux sociaux : ils encourent des poursuites pénales. Et il y a un risque de vengeance sur la personne mise en cause", a souligné Emmanuel Dupic, procureur de la République de Haute-Saône. Ces signalements sont un commencent de preuves, la justice prend ensuite en main l'enquête.

"En France, la bonne attitude à avoir, c'est de signaler de tels faits sur la plateforme Pharos du ministère de l'Intérieur. Des enquêteurs spécialisés sont ensuite habilités à faire ce type de cyber infiltration", ajoute le Procureur.
 


En Bourgogne, Eric Mathais, procureur de la République de Dijon veut lui aussi rester prudent sur les pratiques de La Team Moore. Grâce au signalement du collectif, un homme de 40 ans a été interpellé samedi 19 septembre à Dijon. L’homme, est poursuivi pour "propositions sexuelles à mineur de 15 ans en utilisant une communication“. Il sera jugé par le tribunal correctionnel le 20 novembre. En attendant, il a été placé sous contrôle judiciaire, avec obligation de soins, interdiction d’entrer en contact avec des mineurs ou d’avoir une occupation professionnelle qui le mette en contact avec des mineurs. 

“Les interventions du collectif posent des questions de principe. Nous avons ⁩choisi d’exploiter les premières informations dans une enquête judiciaire, pour une procédure régulière et efficace” indique-t-il sur son compte Twitter à propos de l’interpellation dijonnaise.

Interrogé par France 3 Bourgogne, il ajoute : « On ne peut qu’approuver des personnes qui fournissent à la police et aux enquêteurs des éléments qui permettent de mettre hors d’état de nuire des pédocriminels. C’est quand même à la police et à la justice de faire des enquêtes parce qu’il y a des cadres précis. Si des enquêtes sont menées par des gens qui n’ont pas les compétences pour le faire et qui procèdent à des éventuelles interpellations, il peut y avoir des soucis de régularité de procédure et de régularité et de sincérité des preuves. »

« Le collectif nous a donné des éléments que l’on a exploité tout de suite et qui ont permis d’arrêter la personne, de faire une enquête en bonne et due forme, de le mettre sous contrôle judiciaire strict et là c’est excellent parce qu’on peut penser que la procédure sera régulière et que la personne est sous contrôle actuellement ». « Les personnes qui ont des informations sur des éventuels pédocriminels doivent donner ces informations aux services d’enquête» lance Eric Mathais.

Le Procureur avait préféré interpeller  le weekend dernier l’individu en dehors de la présence de caméras de télévision. Cette dernière pouvait remettre en cause la procédure judiciaire, a t-il expliqué. 

 


"Ces «teams» agissent complètement hors la loi" estiment les autorités

En France, seuls des policiers bien précis sont autorisés à créer de faux pseudo d’enfants et à décider avec la justice de leur interpellation. En 2019, ces cybers-patrouilleurs habilités à traquer les pédophiles sur Internet étaient au nombre de 20 contre 250 au Royaume-Uni.
L’arrivée de ces chasseurs de pédophiles en France, inquiète les autorités. "C'est interdit pour le commun des mortels. Il n'y a que certains policiers extrêmement spécialisés qui ont accès à cette possibilité et à cette technique d'enquête. Ce qui n'est pas le cas de monsieur et madame tout le monde qui se déclarent chasseurs de pédophiles. Il peut se mettre en danger lui-même quand il se rend à des rendez-vous comme ça. On ne sait jamais sur qui on peut tomber", détaillait en 2019 sur franceinfo Véronique Béchut de la DCPJ-Groupe central des mineurs victimes. Cette dernière reconnaît un manque de moyens humains et financiers en France pour traquer les pédophiles sur internet.

“Bien sûr, la démarche part d’un sentiment louable, mais il faut rester dans le cadre de la loi justement pour qu’il n’y ait pas de risque de non-lieu ou de relaxe. Nous partageons tous le même but : que ces individus finissent derrière les barreaux” ajoute Véronique Béchut cet été dans les colonnes de Libération
 

“Nous demandons la mise en place d’un cadre légal pour travailler conjointement avec les autorités

Steven Moore, fondateur de la Team Moore

 

Quelques heures après les deux arrestations opérées en Bourgogne et Franche-Comté, Steven Moore s’agace d’être pointé comme un hors la loi. “C’est un mensonge ridicule. Si nos méthodes étaient illégales, nos éléments pas recevables, en aucun cas nous n’aurions pu permettre des arrestations à travers la France et le Canada. Si nous étions hors du cadre, il y aurait des vices de procédures” estime-t-il.

 



“En France, nous agissons dans le cadre de l’article 227-22.1 qui dit que faire des propositions sexuelles à un mineur, ou une personne se disant mineure, est passible de deux ans d’emprisonnement, cinq ans s’il y a rencontre. Nous respectons la loi, tous les dossiers sont judiciarisables” estime Steven Moore. Ce dernier avait interpellé Emmanuel Macron en octobre 2019 lors de son déplacement sur l’île de la Réunion, sur la nécessité d’un cadre légal pour les chasseurs de pédophiles. “J’ai besoin de gens comme vous” lui avait répondu le Président de la République.

 

Si ces individus ne tombaient pas dans nos filets, ils continueraient. Oui bien sûr, on va poursuivre notre travail. Je préfère que ces monstres parlent avec moi plutôt qu’à des enfants”

Neila Moore


En espérant un cadre légal, le collectif citoyen dit vouloir poursuivre son travail de l’ombre. Neila Moore va continuer à prendre plusieurs heures par jour de son temps pour veiller et animer ces faux profils d’enfants destinés à dénoncer de potentiels pédophiles. 

En Grande-Bretagne, 50% des arrestations de pédophiles partent du travail réalisé par des collectifs citoyens, argumente Steven Moore. “Nous faisons aujourd’hui un travail d'intérêt public… les équipes de la Team Moore sont en mesure de remettre à la justice française des centaines de pédophiles dès demain. A un moment, les autorités devront prendre leur responsabilité. Emmanuel Macron s’est engagé sur la mise en place d’un cadre légal. Si ceux qui nous gouvernent ne font rien pour protéger nos enfants, ils devront en porter la responsabilité” estime le fondateur de la Team Moore.

Depuis sa création en juin 2019, la Team Moore explique avoir signalé 25 personnes à la justice de différents pays. Huit hommes ont fait l’objet d’une condamnation au Canada, deux à La Réunion, un autre à Bordeaux. Les récentes interpellations de Vesoul et Dijon pourraient compléter dans les prochains mois le tableau. 

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