Après les vignobles, des investisseurs financiers ciblent désormais les terres agricoles françaises, ce qui met en danger la transmission et la pérennité des exploitations familiales, déjà affaiblies par la crise. Une proposition de loi vise à lutter contre ce phénomène.
Des rachats de terres prestigieuses en Bourgogne
Une proposition de loi visant à réguler certaines dérives du marché du foncier agricole est examinée à l'Assemblée nationale depuis mercredi 10 janvier 2017.
Dans le vignoble français, les exemples de rachat de terres prestigieuses par des investisseurs financiers sont nombreux. Le dernier en date est le rachat d’un domaine viticole en Bourgogne. Le milliardaire américain Stanley Kroenke (le principal actionnaire du club de football d'Arsenal) a dépensé une fortune pour 11 hectares de deux des plus grands crus de Bourgogne, le Corton Charlemagne (blanc) et le Corton (rouge), à Pernand-Vergelesses, en Côte-d’Or.
En 2014, c’est le château de Pommard (20 hectares) qui avait été racheté par un patron de la Silicon Valley, Michael Baum, tandis que le groupe LVMH achetait pour 100 millions d'euros le Clos des Lambrays, un grand cru en côtes de Nuits, sur 11 hectares.
"Les régions frontalières et celles à forte valeur ajoutée, comme les vignobles, sont les zones les plus en tension, mais la nouveauté est que les régions dites « intermédiaires » comme des zones céréalières du centre ou de Normandie sont aussi rachetées massivement par des sociétés", étrangères ou françaises, s'inquiète le député PS de Lorraine, Dominique Potier.
Une loi contre l'accaparement des terres agricoles
Sa proposition de loi "relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle" a été discutée mercredi en commission à l'Assemblée.La Safer, qui a été créée en 1962 pour réguler le marché foncier agricole et garantir autant que possible la propriété agricole aux exploitants, note aussi que la "concentration des terres s'accélère" en France. Le modèle de l'agriculture française se dirige de plus en plus vers des "unités agricoles à salariés" via "le développement de grandes exploitations sociétaires et le recours croissant à des entreprises de travaux agricoles", note la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural.
L'image d'Epinal de la ferme familiale a vécu. Selon la Safer, en 20 ans, de 1995 à 2015, les parts de marché des personnes morales (sociétés) dans les terres agricoles ont été multipliées par 4 en nombre, par 2,5 en surface, et 2,5 en valeur. En 2015, des sociétés ont ainsi réalisé 10% des transactions du foncier agricole, acquis 13% des surfaces vendues et pour 26% de la valeur.
Ce qui n'est pas forcément négatif, souligne Robert Levesque, de la FNSafer, puisque l'agriculture, comme tout système productif, a besoin de capitaux et que la grande majorité des terres agricoles appartient encore aux agriculteurs.
Ce qui l'inquiète, c'est la progression rapide des sociétés civiles d'exploitation (SCEA) et autres sociétés anonymes, qui permettent de contourner la loi pour passer sous le radar de la Safer. Elles détiennent 2,7 millions d'hectares de terres en France et ont augmenté de 10,6% en surface d'exploitation entre 2010 et 2013, illustrant ce phénomène de concentration.
Le risque d'une concentration "à l'anglaise"
L'objet de la proposition de loi est notamment de les obliger à déclarer leur acquisition à la Safer même si elles prennent moins de 100% des parts. Beaucoup de sociétés s'en sont abstenues jusqu'à présent en se contentant de prendre le contrôle de la majorité des parts sociales au lieu de racheter 100%, le seuil les obligeant à une déclaration publique et ouvrant la voie à une préemption possible par la Safer au profit de jeunes agriculteurs.
En Normandie, au moins 48 exploitations de 150 à 200 hectares sont détenues par seulement 19 personnes morales, indique M. Levesque. "Sur les meilleures terres, s'il n'y a pas de régulation, on va arriver très vite à un système à l'anglaise, avec des exploitations de plus de 2.000 hectares" et des salariés, dit-il. "Il y a urgence", ajoute le député Potier.