"Quand les artistes venaient en France, ils faisaient deux dates : Paris et Dijon" : la folle épopée de l'électro en Côte-d'Or

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Dans les années 1990, Dijon fut la capitale de l'électro en France, avec Paris. Le club de l'An-Fer a été la figure de proue d'une génération d'établissements dédiés à ce genre musical, longtemps entouré de clichés. Avec "Dijon Electronic Story", le journaliste Martial Ratel rend hommage à trois décennies d'électro dijonnaise.

C'est une époque que seuls les passionnés et ceux qui l'ont vécue connaissent. Avant de gagner les boîtes de nuit et clubs de tout le pays, la musique électronique a connu un âge d'or à Dijon, au début des années 1990. À l'occasion de l'exposition "Quand la musique électro fait danser Dijon", organisée au musée de la Vie bourguignonne du 4 avril au 24 juin, le journaliste Martial Ratel raconte cette folle épopée dans Dijon Electronic Story.

"C'est presque par hasard que Dijon est devenu le berceau de la musique électro", raconte l'auteur. "Le patron du club l’An-Fer Frédéric Dumélie voulait renouveler sa programmation musicale.

De passage à un forum de boîtes de nuit à Rimini, en Italie, il a entendu un jeune DJ qui lui a tapé dans l'œil : un certain Laurent Garnier.

Martial Ratel

journaliste et auteur

"L'électro a été portée par la communauté gay"

Le futur DJ international se produit à l'époque à l'Hacienda à Manchester, haut lieu rock et électro. Invité par Frédéric Dumélie à jouer dans son club, il donne une soirée assez inoubliable. "Ça a été un échec : 500 à 800 personnes étaient là, comme c'était le cas habituellement. À la fin, il n'en restait plus que 40." Mais le patron de l'An-Fer n'en démord pas : "Il y croyait à fond, il était sûr que ça allait marcher."

De son côté, Laurent Garnier tente tant bien que mal de lancer l'électro sur la scène parisienne. Seuls les clubs gays lui donnent sa chance. "Petit à petit, il a gagné en notoriété dans le milieu homosexuel et la presse spécialisée. L'électro a été portée par la communauté gay : quand la communauté dijonnaise a appris qu'il jouait à l'An-Fer, elle s'est rendue au club."

Fort de ce succès, Laurent Garnier s'installe en résidence dans la boîte de nuit, de 1990 à 1994. Sa notoriété lui permet d'inviter de grands noms internationaux. "Quand les artistes venaient en France sur invitation de Garnier, ils faisaient deux dates : Paris et Dijon."

D'underground à mainstream

"Bourgeois, prolos, hétéros, homosexuels..." Au club l'An-Fer, tous les publics se croisent. "Ces lieux étaient ouverts à tous. Ça a permis de mettre à mal bon nombre de clichés : l'électro ce n'est pas de la musique, mais du bruit, les clubs sont des plaques tournantes du trafic de drogue, c'est pour les gays..."

Cette diffusion très large permet à l'électro de s'imposer comme un genre à part entière. "Au tournant des années 2000, ça a vraiment explosé avec des artistes comme les Daft Punk", poursuit Martial Ratel.

Comme le hip-hop, l'électro s'est intégrée à toutes les couches de la société. À Dijon, les lieux de fête se sont multipliés.

Martial Ratel

journaliste et auteur

L'espace Grévin, proche de la gare (aujourd'hui le Caveau des Ducs), a notamment accueilli des soirées technos et raves "très suivies". "Les clubbers de l'époque prenaient un ascenseur pour rejoindre un espace sous-terrain, en pierre de Bourgogne, très grand. Plus vous descendiez, plus les basses résonnaient fort."

Nouveau public, nouveaux codes

La fermeture de l'An-Fer, en 2002, marque une accalmie dans la frénésie électro dijonnaise. "Le public n'a pas retrouvé d'équivalent. On a parlé des "orphelins de l'An-Fer", explique le journaliste. "Le club du Rio a repris un temps leurs codes musique, public, personnel et a connu un certain succès avant de fermer pour raisons économiques."

Avec des lieux comme Le Contrast, le Dauphine et le Chat Noir, l'électro poursuit son chemin à Dijon. Mais c'est dans les années 2010 que la ville renoue avec sa renommée. "Le milieu s'est professionnalisé : des collectifs comme les Teknet ou Octarine ont lancé des festivals, qui sont devenus de vrais rendez-vous de la musique électro."

Héritiers de la culture An-Fer, ces établissements ont su "puiser dans le patrimoine de l'An-Fer et y apporter de nouveaux codes de l'accueil, du public et des artistes". Dernière innovation en date, la "féminisation du milieu". "Ce n'est pas spécifique à Dijon, mais des lieux comme la Péniche Cancale ont vraiment permis de donner la visibilité aux femmes derrière les platines." La Péniche a fermé en août 2023, après 14 ans d'existence.

Dijon electronic story de Martial Ratel (Selma et Salem, 272 pages, 20 €)

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