La présence des hommes en noir au sein des cortèges de manifestants a pris de l'ampleur depuis le mouvement des Gilets Jaunes. Mais les Black Blocs sont-ils seulement des casseurs, des provocateurs ? À l'occasion de la neuvième mobilisation contre la réforme des retraites à Dijon, deux d'entre eux ont accepté de répondre à nos questions.
Ce jeudi 23 mars, plus de 10 000 manifestants (8 000 d'après la police, 25 000 selon les syndicats) défilent dans les rues de Dijon pour dire non à la réforme des retraites. Malgré le recours à l'article 49.3, et la fermeté du président de la République face aux manifestations, cette neuvième journée de mobilisation est très suivie.
"On s'attaque uniquement à tout ce qui touche au capital ou à l'Etat !"
Théo, Black Bloc bourguignon
Dans le cortège, dissimulés derrière une bannière "A bas la dictature", une douzaine d'individus tout de noir vêtus et sac sur le dos, défilent en compagnie des syndicats et des manifestants. Parmi eux, je fais la connaissance de Théo (le nom a été changé), 24 ans. Il a rejoint le mouvement des Black Blocs en 2016 au moment de la Loi Travail. Ses camarades, officiellement, il ne les connaît pas : "On est pas mal sur Dijon. Mais on est tous inconnus au bataillon, on reste anonymes, même entre nous."
Pour les Black blocs, la violence est nécessaire
Depuis quelques années maintenant, les grandes manifestations sont souvent suivies de débordements et d'affrontements entre policiers et Black Blocs. Sur les réseaux sociaux, à la télévision, toujours les mêmes images : des feux de poubelles, des rues envahies par les gaz lacrymogène, des vitrines cassées. Et dans le rang des coupables désignés : les Black Blocs.
Si les hommes en noir reconnaissent le recours à la violence, Théo* condamne les dégradations commises à l'encontre des petits commerçants : "Cette violence est symbolique. On s'attaque uniquement à tout ce qui touche au capital, ou à l'Etat. Les petits commerçants, on les soutiendra toujours et on protègera toujours leurs vitrines des gens qui veulent faire du mal, des gens qui se greffent aux Black Blocs et qui sont là uniquement pour discréditer le mouvement."
Mais alors comment différencier un vrai Black Bloc d'un faux ? Difficile d'y répondre, tant il est facile de se revêtir d'une combinaison et d'un masque noir. Une chose est sûre : sur le terrain, certains prennent des initiatives seuls : "On charge !" "Non reviens ! reste là !" ll ne semble pas y avoir de leader ou de référent.
Des "résistants" face à la violence policière ?
A quelques mètres de Théo, un autre jeune homme masqué accepte de répondre à mes questions. Nous l'appellerons Nicolas*. Il n'acceptera pas de me donner son âge, à peine un indice : "entre 20 et 30 ans" . A propos de cette violence, Nicolas est catégorique : les policiers sont les coupables. Il pointe du doigt l'armement des forces de l'ordre : "On subit un armement militaire : les armes à feu, les grenades de désencerclement, les gaz lacrymogènes. Tout cela c'est de l'armement militaire sur une population civile."
Vers 17h, dans la rue de Tivoli à Dijon, les CRS barrent la route des manifestants. La tension monte. Alors que nous n'avions repéré jusque là qu'une poignée de Black Blocs, plusieurs hommes et femmes en noir surgissent et s'amassent derrière la bannière. Certains sortent des fumigènes et provoquent les forces de l'ordre situées à une centaine de mètres face à eux.
Quinze minutes plus tard, la situation dégénère, et les policiers font usage de gaz lacrymogène. Tout comme mes autres camarades journalistes présents à ce moment-là, je subis rapidement les effets douloureux de ce gaz très puissant. Les larmes surgissent. La peau est asséchée, comme brûlée, les yeux piquent. Un membre des Black Blocs me propose alors du sérum physiologique et un masque chirurgical. A certains moments, les cagoules noires se transforment alors en blouses blanches, ou en street-medics (ou soigneurs de rue).
Nicolas* se voit avant tout comme un résistant face aux forces de l'ordre et à l'Etat. Pour lui, les manifestations ne sont pas un terrain de jeu : "Je ne viens pas là pour qu'on se foute sur la gueule. Je viens parce que si jamais les policiers sont violents, c'est notre droit de protéger les gens qui n'ont pas l'habitude de subir leurs violences et qui vont se prendre pour la première fois des gaz et ne savent pas comment réagir. On est là pour aider les gens et résister face aux ordres de l'ordre s'ils nous empêchent de nous exprimer librement."
On veut faire plier le gouvernement pour qu'il revienne sur tout ce qu'il fait depuis plusieurs années : casser le peuple, casser le service public, casser les jeunes. On veut simplement revenir sur des bonnes bases.
Théo* - membre des Black Blocs
Les Black Blocs le reconnaissent : la violence fait partie de leur ADN. Pour Théo*, elle est même devenue nécessaire pour se faire entendre par le gouvernement. "Aujourd'hui marcher avec de la musique et des slogans ça ne fonctionne plus. De toute manière, tout ce qui a été obtenu jusqu'aujourd'hui l'a été par la violence."
Et la réforme des retraites n'est pas leur seul combat : "Là c'est la réforme de la retraite, mais il y a aussi tout derrière : l'égalité hommes-femmes, le pouvoir d'achat. On veut faire plier le gouvernement pour qu'il revienne sur tout ce qu'il fait depuis plusieurs années, c'est-à-dire casser le peuple, casser le service public, casser les jeunes. On veut simplement revenir sur des bonnes bases."
Une chose est sûre, les Black Blocs ne sont pas que des "casseurs", ce sont aussi des hommes et des femmes politisés, proches - selon leurs dires - des milieux syndicaux, de l'ultragauche, des anarchistes. Ils se disent prêts à tout pour faire plier le gouvernement : "On sera prêts à tout. Même à casser des cordons de CRS si on se fait barrer la route ! Mais on doit être entendus !" prévient alors un des jeunes activistes présents ce jour-là.