Une centaine de lettres à caractère érotique, écrites par Gustave Courbet et sa maîtresse Mathilde Carly de Svazzema entre 1872 et 1873 ont été retrouvées dans un grenier de la bibliothèque de Besançon. Thierry Savatier, historien de l'art, explique l'importance de cette découverte.
Une nouvelle qui s’est répandue comme une traînée de poudre dans le milieu de l’art. Une centaine de lettres, 130 exactement, écrites par le peintre réaliste Gustave Courbet et Mathilde Carly de Svazzema, sa maîtresse épistolaire, ont été découvertes dans un grenier de la bibliothèque de Besançon. Une surprise restée secrète, gardée entre les murs du centre de documentation depuis novembre 2023, inespérée pour la recherche. La découverte de ce corpus, connu mais égaré depuis des siècles, est une chose. Mais les révélations et le langage qu’offrent son contenu en sont une autre.
Plusieurs lettres adressées par Mathilde à son amant étaient déjà connues du grand public et publiées sous forme de recueil. Mais aucune missive n’avait jusqu’alors révélé le caractère érotique de leurs échanges. À la limite de la pornographie affirme la bibliothèque.
Ces courriers envoyés sur une courte période de 5 mois entre 1972 et 1973, font office de petit tremblement de terre dans la communauté des historiens de l’art. Thierry Savatier, chercheur et expert sur la vie et l’œuvre de Gustave Courbet, partage en cinq points ce que cette découverte représente pour le milieu de la recherche.
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Ces lettres vont-elles bouleverser les études menées sur Courbet ?
Thierry Savatier : On va apprendre énormément de choses sur ce personnage, j'attends beaucoup de cette découverte. Trouver des correspondances inédites est une mine d'or pour les chercheurs. Le hasard est formidable. Ça va choquer un peu de monde, certains vont dire qu'un peintre ne devrait pas écrire de propos érotiques, mais ces échanges ne feront que confirmer sa liberté d'esprit.
Aussi, ce qui serait intéressant, ce serait de découvrir s'il parle de son art, des tableaux qu'il est en train de peindre. En tout point, ces courriers apporteront beaucoup à la recherche.
Avait-on déjà connaissance de correspondances érotiques écrites de sa main ?
T.S. : Les correspondances expurgées par les descendants de célébrités ou leurs légataires sont assez courantes. Ç'a été le cas pour Flaubert, pour Picasso avec sa femme ou encore pour Courbet avec sa sœur Juliette, qui était très puritaine et n'aurait certainement pas hésité à jeter ces courriers en ayant découvert leur contenu... On a de la chance que ces lettres aient échappé au circuit classique : dans les courriers déjà connus, il n'y a aucune lettre érotique au sens propre du terme.
Qu'espérez-vous trouver dans ces missives ?
T.S. : Pour l'instant on ne peut pas encore savoir ce que ces lettres nous réservent. Mais j'espère découvrir une vision confirmée, ou inconfirmée, de la relation de Courbet avec les femmes. Une vision extrêmement moderne, en dehors de toute la vision que les hommes de l'époque, y compris des artistes et autres révolutionnaires, pouvaient avoir. Par exemple, lorsque le père de Courbet lui écrit que, en tant qu'homme, il sera avantagé dans son testament et recevra une somme plus conséquente, Gustave lui envoie une volée de bois vert en lui disant qu'il refuse ce privilège. Il assure même que ses sœurs devaient recevoir davantage.
Courbet est politiquement anarchiste, mais il n'a rien à voir avec la définition de Proudhon qui conçoit le couple sous un prisme encore fortement teinté de catholicisme. Courbet, lui, a une vision plus libertaire du couple, au sens de mai 68. Il a un siècle d'avance sur son temps. Il pense par exemple que dire "ma femme" est une objectification, au même titre que dire "ma canne" ou "mon chapeau"'. Il est globalement très favorable à l'égalité. Pour lui, tant qu'une femme a de l'esprit elle est l'égal de l'homme.
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Jusqu'à présent, que savait-on de la relation entre Gustave et Mathilde ?
T.S. : J'avais déjà lu quelques lettres qu'ils s'étaient échangées, je me suis donc un peu renseigné sur cette Mathilde. C'est une femme d'excellente famille, mais dans la fratrie elle était un peu le vilain petit canard. Il faut être prudent avec ce qu'elle peut dire car c'est une personne très affabulatrice, elle a par exemple prétendu être l'amie de Gambetta, sans qu'aucune trace de relation quelconque n'ait pu être prouvée. Pour se rapprocher de Courbet, elle a prétendu l'avoir croisé pendant la Commune de Paris, ce qui n'a apparemment pas marqué le peintre,qui ne s'en souvenait pas. Elle disait s'être entichée de lui, mais il était finalement plutôt question d'un chantage : Mathilde l'a menacé de diffuser leurs échanges tumultueux si Courbet ne lui versait pas d'argent. En quelle mesure Courbet a-t-il été naïf ? Ou au contraire, à quel point a-t-il joué le jeu parce que ça l'amusait... Ces courriers pourront certainement nous répondre.
Est-ce que cette conversation épistolaire va consolider le personnage rustre, cru, qu'incarne Gustave Courbet ?
T.S. : Avant de répondre, il faut rappeler que les grands artistes de ce siècle avaient l'habitude d'utiliser un langage très libre. À l'époque, Théophile Gautier, Musset et Flaubert arboraient une littérature débridée, faisaient fi des convenances et écrivaient des lettres très salées. Tout cela a participé à la création du personnage truculent, bon vivant, de Courbet. Qui plus est, Gustave était quelqu'un d'athée. C'est important de le dire car pour lui la notion de péché n'avait pas de sens. Il écrivait à Mathilde en ayant en tête une notion de liberté sexuelle totale et d'éthique, mais sans la contrainte religieuse du péché.
Mais il faut dire que Courbet prenait plaisir à consolider cette image d'homme brutal, rustre, alors qu'en réalité je pense qu'il était un peu timide vis-à-vis des femmes. Il est tout de même resté avec sa femme Virginie Binet pendant 10 ans, en cela, il n'est pas le nomade sexuel que l'on pense. Il insistait d'ailleurs beaucoup sur le fait que l'érotisme tiendrait plus de la cérébralité que de l'accomplissement. Ce sera intéressant de voir ses lettres pour comprendre un peu mieux cette facette de l'artiste. On dit qu'elles sont presque pornographiques, mais je me méfie toutefois du mot.