Extinction de l'éclairage public la nuit : doit-on redouter une flambée de la délinquance ?

Alors que beaucoup de communes choisissent d'éteindre les lampadaires la nuit pour faire des économies face à la hausse du prix de l'énergie, nombreux sont ceux qui craignent que les délinquants profitent du noir pour multiplier cambriolages et agressions. Pourtant, aucune étude ne lie extinction de l'éclairage public et hausse de la délinquance.

Le débat s'invite dans bien des chaumières à l'approche de l'hiver : l'extinction de l'éclairage public une partie de la nuit va-t-elle favoriser la délinquance ?

La question a été très officiellement posée au gouvernement le 6 octobre par le sénateur Les Républicains de Haute-Saône Olivier Rietmann. L'ancien maire de Jussey en Haute-Saône demande au ministère de l'Intérieur de "préciser si des études ont été menées - et le cas échéant avec quelles conclusions - pour éclairer le débat et arbitrer entre l'extinction de l'éclairage public et la sécurisation, mais aussi l'efficience des interventions nocturnes des forces de l'ordre."

"Pour l'instant, je n'ai aucune nouvelle", nous indique ce 29 novembre le parlementaire haut-saônois, qui a également demandé au ministère quelle était sa doctrine en la matière.

Le sénateur a échangé sur le sujet avec des maires, des policiers ou encore des spécialistes de l'éclairage public. Et il semble déjà convaincu: "J'ai moi-même pu constater que c'est dangereux, au retour d'une soirée à Vesoul, nous précise-t-il. Quand vous circulez la nuit dans une ville tout éteinte, ce n'est pas comme entre deux villages, sans obstacle, sans aménagement..."

Les forces de l'ordre nous disent bien que ça pose problème

Olivier Rietmann, sénateur Les Républicains de Haute-Saône

Une délinquance confortée par l'obscurité généralisée, c'est aussi la crainte de l'opposition de droite à Besançon, où la municipalité de gauche dirigée par l'écologiste Anne Vignot va "progressivement éteindre l’éclairage public entre 23h et 05h" dans certains quartiers: Velotte, Chaudanne, Chapelle-des-Buis, Les Prés de Vaux, Bregille, Point du jour, Barre aux Chevaux, Montboucons et Tilleroyes. Economie attendue : 122.000 euros.

"Nous comprenons la nécessité de réfléchir sur les économies d’énergies mais nous devons être très vigilants pour que cela ne se fasse pas au détriment de la sécurité des Bisontins", affirme dans un communiqué du 28 novembre Ludovic Fagaut (LR), président du groupe d'opposition Besançon Maintenant.

Les élus de Besançon Maintenant disent oui à la réflexion sur les économies d’énergies mais non à une réaction de principe, sans perspectives, qui aggraverait encore l’insécurité dans notre ville.

Ludovic Fagaut, conseiller municipal Les Républicains

Communiqué du groupe d'opposition municipale Besançon Maintenant

Les craintes de ces élus LR, fondées sur un certain "bon sens" sont-elles justifiées ? Le sénateur Olivier Rietmann en convient: "Nous n'avons aucune remontée statistique"

Aucune étude sur le lien entre obscurité et insécurité

L'Association français de l'éclairage, dont la mission est "de diffuser le savoir et le savoir-faire de l'éclairage à tous", nous indique ce 29 novembre par courriel qu' "il n’existe pas à ce jour d’étude sur le lien entre obscurité et délinquance et insécurité en ville".

D'ailleurs, dans une fiche méthodologique en ligne, l'AFE cite "une étude, publiée en 2008, [qui] analyse les 13 enquêtes américaines et britanniques dont la méthodologie et les résultats permettaient une comparaison. Sur les 13, 8 d’entre elles constatent un effet positif de l’éclairage sur la réduction de la violence."

Autre association engagée sur la question, l'Association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes (ANPCEN) établit sur son site qu' "il reste difficile d'établir un lien objectif de cause à effet, entre la présence d'un éclairage extérieur et la baisse de cambriolages ou d'accidents de la route pour ne prendre que ces deux exemples."

Au contraire, de nombreux exemples et même des expérimentations conduites par les élus avec les services de gendarmerie et de police, partout en France, démontrent que délits et incivilités nocturnes ne progressent pas en situation d'extinction, bien au contraire.

Association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes

Quand on pose la question à l'Hôtel de ville de Besançon, le cabinet de la maire nous renvoie sur une étude britannique parue en mars 2022 dans le Journal of quantitative criminology. Traduit et résumé en français ici, l'article est intitulé: "L'absence d'éclairage public peut prévenir la criminalité liée aux véhicules, mais le déplacement spatial et temporel reste une préoccupation".

Les chercheurs démontrent que l'absence d'éclairage public entraîne une réduction de 44% des vols dans les voitures dans les rues concernées. Mais ces vols à l'intérieur des véhicules augmentent de manière tout aussi significative ailleurs, dans les rues adjacentes encore éclairées !

En France, l'ouvrage de référence date de 2007.

Il est l'oeuvre de Sophie Mosser, ingénieure des Travaux Publics de l’État. Dans Eclairage et sécurité en ville : l'état des savoirs, cette docteur en urbanisme s'attaque à "l’état des connaissances sur la question de l’impact de l’éclairage sur la sécurité urbaine". Avec un "bilan qui peut paraître bien décevant", selon les mots mêmes de l'autrice.

En plus de quarante ans d’actions et de débats, quasiment aucun résultat stable véritablement opérationnel n’a été validé de manière consensuelle, aucune « bonne pratique » d’éclairage suffisamment précise et fiable dans ses modalités et ses effets ne peut aujourd’hui être préconisée à l’attention des gestionnaires.

Sophie Mosser

Eclairage et sécurité en ville : l'état des savoirs (2007)

A défaut d'études scientifiques aux résultats clairs et nets, le terrain peut apporter quelques réponses.

Si les responsables de la police bisontine n'ont pas donné suite à nos sollicitations, le Directeur départemental de la sécurité publique dans le Loiret, Thierry Guiguet-D'Oron, a répondu à nos collègues de France 3 Centre-Val de Loire. Pour ce responsable policier, l'absence d'éclairage n'augmente pas l'insécurité, mais "le sentiment d'insécurité." Il retient lui aussi qu' "il n'y a pas d'étude nationale récente qui montrerait une augmentation de la délinquance liée à une extinction des lumières dans certains quartiers." 

Même sur la sécurité routière, le DDSP du Loiret voit les choses du bon côté: "Les gens ont plutôt tendance à rouler moins vite (...) et les accidents sont moins graves". 

"Aucun problème" à Dole, dont le maire est LR

A Dole, la plus grande ville du Jura, le maire Les Républicains Jean-Baptiste Gagnoux ne relève "aucun problème" depuis le 4 novembre et l'extinction de l'éclairage de 23h à 6h dans 70% des rues de sa cité. Avec l'arrêt à 22h de l'éclairage des bâtiments publics, Dole espère faire baisser sa facture de 42%.

Les cambriolages ont lieu en fin d'après-midi, pour la plupart entre 15h et 17h, avant le retour des gens à leur domicile. Pas entre minuit et 6h.

Jean-Baptiste Gagnoux, maire Les Républicains de Dole

Au final, rien n'indique que l'insécurité augmente avec l'extinction des lampadaires. Elle aurait même tendance à diminuer dans bien des villes concernées, comme à Limoges, qui a quelques mois de recul sur la question.

Reste le sentiment d'insécurité. Pour rassurer les noctambules, des municipalités ont fait le choix de détecteurs de présence. C'est aussi ce que suggère l'opposition de droite à Besançon.

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