Un médecin de Besançon (Doubs) fait l'objet de poursuites judiciaires à la suite d'opérations des hémorroïdes que des patients l'accusent d'avoir ratées. Une information judiciaire a été ouverte pour blessures involontaires. Depuis la médiatisation de l'affaire, de nouvelles victimes potentielles se font connaître. Témoignage.
Je me sens toujours femme, mais diminuée, mon intégrité physique est complètement détruite...Je sais qu'il m'a loupée il y a sept ans et j'en suis même persuadée depuis mes derniers examens réalisés.
Elodie*, patiente du proctologue bisontin
Élodie* accepte avec courage de nous confier son histoire. Elle a été opérée d'hémorroïdes en 2017 à Besançon (Doubs) par le proctologue le Dr. Luc Clemens, ce médecin qui fait l'objet d'une ouverture d'information judiciaire. Depuis plusieurs années, cette Comtoise souffre d'incontinence fécale qui impacte son quotidien. Elle vient de déposer plainte lundi 24 juin auprès du procureur de la République de Besançon.
La vie de la mère de famille n’est plus la même depuis le 25 septembre 2017. Ce jour-là, la jeune femme, âgée de 29 ans à l’époque, subit une opération des hémorroïdes à la Polyclinique de Franche-Comté à Besançon par le chirurgien en question. Depuis, elle sort avec un sac dans lequel elle y glisse couches, lingettes intimes et compresses en cas de fuites anales.
L’opération devait pourtant « la laisser tranquille pendant 10 ans », aurait martelé, d'après elle, le Dr Clemens. Elle lui gâche la vie depuis sept années.
En 2017, j’ai eu une thrombose des hémorroïdes externes et les piqûres ne la faisaient pas dégonfler, elle partait, revenait tout le temps. Du coup, j’ai été orientée vers le docteur Clemens
Élodie*, patiente du proctologue bisontin
Rendez-vous pris, le chirurgien reçoit Élodie* pour une première auscultation. « Il me dit que si j’ai une hémorroïde externe, il y en a aussi à l’intérieur et me demande si j’ai des projets d’enfants parce que selon lui, lors d’un accouchement tout va sortir et ça va être la catastrophe. »
Alors, j'ai accepté l’opération, mais à aucun moment, il ne m’a parlé des risques encourus.
Élodie*, patiente du proctologue
Des complications post-opératoires
Le lendemain de l’opération, le 26 septembre 2017, Élodie* comprend que la suite va être compliquée. « Le Dr. Clemens m’explique que tout s’est bien passé, mais que les hémorroïdes étaient trop hautes et qu’il a dû toucher le colon. J’ai su à ce moment que j’allais avoir des séquelles ».
Depuis, Élodie* souffre d’incontinence, de douleurs, de sensations de brûlure, des démangeaisons aussi. Elle a fait une croix sur le sport depuis quelques années, rien que le fait de marcher est une horreur pour elle, par crainte d'incontinence anale.
Je dois redoubler de vigilance sur ce que je mange, pas de lait ni de kiwi avant une sortie, par exemple
Élodie*, patiente du proctologue
Un quotidien difficilement supportable pour elle, comme pour ses proches. Tout devient compliqué, les sorties comme les vacances demandent de l’organisation. La vie de couple en prend un coup, elle aussi. Et puis, il y a la souffrance psychologique, quand, à seulement 36 ans, on a ces symptômes.
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Élodie*, lors de son parcours de soins, subit alors divers examens médicaux qui, selon elle vont mettre en évidence la présence de deux agrafes laissées lors de l'opération par le médecin, des agrafes visiblement, à l'origine de ses douleurs. « Il me les a enlevées à son cabinet médical situé au Président, à l’arrache, sans anesthésie, j’ai eu mal et il m’a répondu que j’étais douillette », se souvient Élodie*.
Malgré cette deuxième intervention, les douleurs persistent et les incontinences sont toujours là. C’est alors que de nouveaux examens montrent à nouveau la présence d’autres agrafes « Le problème, c’est que personne ne veut m’opérer. En fait les agrafes sont trop anciennes, on ne peut pas les retirer et mon cas s’aggrave en plus de mon incontinence, je souffre d’une descente d’organes, sans doute liée, non pas à mon accouchement, mais aux conséquences de mon opération loupée, alors les médecins me conseillent de faire de la rééducation anale et abdominale. »
Lorsque Élodie* a lu dans la presse le premier témoignage d’une potentielle victime du chirurgien, elle s’est sentie moins seule.
Je me suis dit que ce que je vivais n’était pas ma faute, que ce n’est pas non plus dans ma tête comme on me le dit
Élodie*, patiente du proctologue
De nombreux patients se sont manifestés auprès de la justice
Selon le procureur de la République de Besançon, Etienne Manteaux, on comptait lundi 24 juin, à l'encontre de ce médecin, quatre plaintes pénales et cinq procédures civiles de demandes d'indemnisation. Élodie* a porté plainte à son tour le 24 juin pour erreur médicale.
Le 26 juin, un des avocats de victimes présumées, Me Olivier Lévy, comptait à lui seul dans cette affaire 28 dossiers dont 10 ouverts [NDLR: l'avocat Me Olivier Lévy a donc rencontré 10 plaignants], quatre procédures d’indemnisation au civil, trois plaintes disciplinaires auprès du conseil de l’ordre des médecins du Doubs, mais soulignait à France 3 Franche-Comté que pour l’heure « aucune plainte au pénal n’a été enregistrée et qu’aucune partie civile n’a été constituée » de son côté. Le conseil précise également que les experts arrivent à des conclusions identiques ou concordantes mettant en cause une faute professionnelle du praticien. Élodie* sera, quant à elle, reçue par Me Lévy le 12 juillet prochain.
Contacté par France 3 Franche-Comté, l'avocat du proctologue n'a pas donné suite pour l'instant à nos sollicitations. Le médecin bénéficie de la présomption d'innocence.
Le prénom a été modifié pour garantir l'anonymat*