L’avenir de la COMUE, communauté d’universités et d’établissements, est au cœur d’une bataille qui risque d’affaiblir le financement de la recherche pour les deux universités de Bourgogne et de Franche-Comté. Explications.
En politique, le timing est une carte maîtresse. Juste entre les deux tours de l’élection présidentielle, ce moment suspendu où les ministères sont dans un entre-deux, Vincent Thomas, le président de l’université de Bourgogne intervient, le 14 avril 2022, devant les élus de Dijon Métropole. L’universitaire réitère sa volonté d’obtenir un « double siège » pour l’université de Bourgogne-Franche-Comté au nom de l’« équilibre territorial ».
Lors de la fusion des deux régions en 2015, il avait été convenu que le siège de l'université de Bourgogne-Franche-Comté et des instances éducatives comme le Rectorat et le Crous seraient à Besançon, et d’autres instances auraient leurs sièges à Dijon. Aujourd'hui l'université de Bourgogne veut un siège chez elle, en plus de celui octroyé à Besançon.
Soit nous obtenons un double siège, une demande très importante d’équilibre entre les deux villes Dijon et Besançon et, auquel cas, nous poursuivons avec moins pour poursuivre cette collaboration dans le cadre de la COMUE. Si nous n’obtenons pas ce double siège (et nous attendons une réponse du gouvernement avant le 31 mai 2022), nous avons pris la décision de transformer la COMUE en convention de coordination territoriale
Vincent Thomas, Président de l'université de Bourgogne
Cette volonté des « deux sièges » est soutenue par François Rebsamen, le président de Dijon Métropole. Depuis l'attribution à Besançon du siège de la COMUE, la gouvernance n'a jamais vraiment fonctionné. Un sentiment unanimement partagé.
Quand les deux partenaires ne veulent pas se mettre d’accord sur un lieu unique, la moindre des choses aurait été de le faire sur deux sites en même temps.
François Rebsamen, président de Dijon Métropole
A noter que Vincent Thomas s’exprime en utilisant un «nous » qui pourrait faire penser que cette demande émane des sept membres de la COMUE mais le président de la COMUE, Dominique Grevey, se refuse à tout commentaire.
Un peu plus tard dans son intervention devant les élus de Dijon Métropole, le président de l’université de Bourgogne admet qu’il y a des « résistances » à son projet.
Vincent Thomas veut aller plus loin et c’est ce qui inquiète Anne Vignot, la présidente du Grand Besançon.
La convention territoriale qui pourrait prendre la place de la COMUE serait finalement une étape avant la création d’un «établissement public expérimental » unique.
Le 26 avril, le élus de Franche-Comté répliquent. Qu’ils soient de droite ou de gauche, les présidents du Grand Besançon, du Grand Belfort, de Vesoul Agglomération et de Pays de Montbéliard Agglomération signent un communiqué de presse commun. Ces élus refusent « de voir déconstruire l’organisation actuelle à des fins de délocalisation » et exigent « le respect des accords politiques établis lors de la fusion des régions ».
Anne Vignot, la maire de Besançon refuse cette proposition de deux sièges, un à Besançon et un autre à Dijon au lieu d’en avoir un unique à Besançon.
Il s’agit d’un ultimatum, un acte de démantèlement de la COMUE, un alibi pour aller beaucoup plus loin.
Anne Vignot, présidente de Grand Besançon Métropole
Cette intervention de Vincent Thomas a surtout lieu le lendemain de l’entretien des 7 membres de la COMUE (L’université de Bourgogne, l’université de Franche-Comté, l’UTBM, l’ENSMM, l’Institut Agro Dijon, la Burgundy School of Business et l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts et Métiers) au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche pour tenter de régler une crise politique récurrente depuis sa création.
Les chercheurs risquent d'y perdre
Cette incapacité à mettre en place une gouvernance efficace lui a valu la perte d’un financement important. En 2021, un jury international décide de ne pas valider la prolongation d’une enveloppe de 10 millions d’euros par an dans le cadre du projet I-Site (Initiatives Science Innovation Territoire Economie en Bourgogne-Franche-Comté) obtenu en 2016 pour une période probatoire.
En clair, les équipes de recherche qui étaient soutenues pour l’excellence de leurs travaux perdent des financements et de la visibilité internationale en raison d’une mésentente des instances dirigeantes. La perte de ce financement aurait pu être le signal d’alerte pour trouver un « compromis » souhaité par Marie-Guite Dufay, la présidente de la Région.
L’I-site concrétisait l’excellence de la recherche dans la Région. Au nom des chercheurs, nous nous devons de trouver un compromis.
Marie-Guite Dufay, présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté
Les élus interviennent dans ce dossier car ils participent au financement des universités au côté de l’Etat. Tous savent que l’excellence de la recherche universitaire a un impact économique sur tout le territoire. Dans un courrier adressé à Jean Castex, le 12 avril 2022, la présidente de Région Marie-Guite Dufay, en appelle « à l’autorité du premier Ministre pour clarifier les choix que les établissements pourraient être amenés à faire et les conséquences pour l’enseignement supérieur et la recherche de notre région ». Le CNRS a aussi alerté le ministère sur les conséquences de la disparition de la COMUE.
Sans la COMUE, deux universités trop petites
Les universitaires et les élus sont bel et bien inquiets pour l’avenir de la recherche et de l’enseignement supérieur en Bourgogne et Franche-Comté. La bataille pour obtenir le siège des universités en Bourgogne Franche-Comté n’est pas l’apanage des élus. Alain Chrétien, le président de Vesoul Agglomération, signataire du communiqué de presse, se dit « atterré par la guerre d’égo au sein de la communauté universitaire de Bourgogne et de Franche-Comté. Ils n’ont pas à donner de leçon à la classe politique. On risque de payer tous ensemble les pots cassés de cette mésentente. » L’élu dont la ville accueille un IUT, institut universitaire de technologie, rappelle que « deux petites universités valent moins qu’une, déjà petite ».
Une bataille d’égos dénoncée en son temps par le recteur d’Académie il y a peu de temps encore, Jean-François Chanet. Cette liberté de parole lui a valu son départ anticipé de Besançon. En mars dernier, lors de son discours d’adieux, Jean-François Chanet, déclarait : "Notre région a été marquée par la guerre, par les guerres. Est-ce une raison pour se livrer encore des petites guerres de papier où Rabelais reconnaîtrait sans doute l’influence de son Picrochole ?" Et de rappeler l’enjeu qui devrait guider les décisions des élus et des universitaires, « l’avenir de la jeunesse de toute une région ».