Le gouvernement prévoit de supprimer l'aide à l'embauche versée aux employeurs pour les contrats de professionnalisation, à partir du 1er mai 2024. La nouvelle fait grincer des dents patrons et syndicats et inquiète pour l'insertion dans le monde du travail.
La mesure avait été mise en place en pleine crise sanitaire de Covid-19 : 6 000 euros versés par l'État aux employeurs embauchant des alternants en contrat de professionnalisation. Cette aide, instaurée pour soutenir l'emploi des jeunes, devrait disparaître à partir du 1er mai prochain. Le gouvernement prévoit d'y mettre fin par voie d'un projet de décret, présenté aux partenaires sociaux. Chez les employeurs, l'inquiétude est de mise.
Les contrats de professionnalisation faisaient le bonheur des petites et moyennes entreprises, depuis le début de la crise sanitaire en 2020. Et pour cause, pour chaque alternant embauché en "contrat pro", l'employeur reçoit 6 000 euros d'aide. Une mesure qui avait été saluée à cette époque. "C'était une très bonne initiative de l'État. L'apprentissage souffrait, et souffre toujours, d'un désintérêt alors que c'est un véritable vecteur pour entrer dans la vie active", constate Frédéric Petitjean, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) du Doubs. Lui-même ancien patron d'une entreprise, il reconnaît : "prendre un ou plusieurs alternants, c'était l'une de mes façons privilégiées pour embaucher. 80 % de ceux que je prenais en alternance, c'était pour rester dans l'entreprise".
L'alternance menacée ?
Si les chefs d'entreprise sont inquiets, c'est parce que les alternants en contrat de professionnalisation constituent un vivier de ressources humaines. Mais ces jeunes - et moins jeunes - sont souvent sans expérience. "Prendre un alternant en professionnalisation, c'est un véritable investissement. On doit tout lui apprendre, le former, c'est très lourd. Jusqu'ici, les 6 000 euros permettaient d'alléger cet investissement et de proposer une formation de qualité. J'ai bien peur que cela change la donne", confie Frédéric Petitjean.
Charges patronales, rémunération, temps de formation : un alternant en professionnalisation coûte plus cher à une entreprise qu'un alternant en apprentissage. "Alors les patrons risquent de se tourner vers des apprentis pour économiser un minimum", explique le président de la CPME du Doubs. L'aide à l'embauche, réservée aux employeurs recrutant en alternance, valait jusqu'ici pour les contrats de professionnalisation ou d'apprentissage. Avec ce projet de décret, elle ne serait maintenue que pour les contrats d'apprentissage.
Au vu des chiffres, ce n'est "pas une catastrophe", selon Raphaël Jodeau, président de la CPME du Jura. En 2023, 116 000 contrats de professionnalisation ont été signés, contre 852 000 contrats d'apprentissage. Mais Raphaël Jodeau souligne l'incertitude des chefs d'entreprise : "Cette suppression, c'est peut-être la première marche d'un escalier qui va nous mener dans le mur." À la fin de l'année 2023, l'État parlait d'une suppression des aides pour les contrats d'apprentissage dans les entreprises de plus de 250 salariés. "Le projet n'a pas abouti, mais cela induit une grosse inquiétude."
C'est aussi de la colère que ressentent certains patrons. Jean-Luc Quivogne, président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie en Haute-Saône, évoque un va-et-vient incessant des aides pour les entreprises. "C'est une mesure qui, si elle est validée, sera applicable le 1er mai. On nous met au pied du mur. Nous, entrepreneurs, n'avons aucune vision à long terme."
Des difficultés à venir pour les demandeurs d'emploi
Contrats de professionnalisation et d'apprentissage visent des jeunes en formation théorique souhaitant intégrer une entreprise en alternance. S'il existe des différences administratives entre les deux types de contrats (rémunération, charges, ...), c'est aussi une différence de public visé. Les contrats de professionnalisation s'adressent, entre autres, à des adultes de plus de 26 ans demandeurs d'emploi, en réinsertion ou en reconversion professionnelle, ou encore en situation de handicap. La suppression de l'aide pourrait ainsi nuire à l'emploi de ce public.
"Il y a d'un côté un public éloigné de l'emploi et de l'autre, des entrepreneurs qui peinent à recruter. Toutes les aides leur permettant de se rencontrer sont les bienvenues. Ce ne sera peut-être plus le cas", souligne Raphaël Jodeau, président de la CPME du Jura. Pour Frédéric Petitjean, président de la CPME du Doubs, il y a un risque pour les entreprises, mais aussi pour les alternants. "Les personnes en recherche d'un contrat de professionnalisation vont rencontrer beaucoup plus de difficultés à trouver une entreprise, c'est certain."
Ce projet intervient dans un contexte de coupes budgétaires prévues par l'État et devrait permettre une économie de 200 millions d'euros. "Il faut faire des économies, d'accord, mais peut-être que ce n'était pas la meilleure idée sur ce plan-là de l'emploi", réagit Frédéric Petitjean. Si le projet de décret est approuvé, l'aide à l'embauche de 6 000 euros serait supprimée dès le 1er mai 2024.