Soumission chimique : les produits les plus dangereux sont "ceux de notre pharmacie à la maison", alerte un médecin

Le procès des viols de Mazan où un homme est jugé pour avoir drogué sa femme et l’avoir livré à une cinquantaine d’hommes, met en lumière la sordidité de ce type d’agressions. Une centaine de cas ont été recensés en France en 2022. Quelle forme prend la soumission chimique ? Comment la repérer ? Réponse d’un médecin.

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Des doses de Temesta administrées à l’insu de Gisèle Pelicot


Gisèle Pélicot, 72 ans, dont les viols sont aujourd’hui au cœur du procès qui se tient devant la cour criminelle du Vaucluse a été droguée pendant près de 10 ans par son époux. Lors de l'instruction, Dominique Pélicot avait reconnu qu'il administrait de puissants anxiolytiques à sa femme, à son insu. Du Temesta le plus souvent. Pour ensuite la faire violer par des hommes contactés sur internet. 51 hommes de 26 à 74 ans ont été identifiés après avoir abusé de la septuagénaire. Le mari filmait les scènes.

Des cas de soumission chimique, Elisabeth Martin, médecin-cheffe du service de médecine légale au CHU de Besançon en voient une dizaine environ par an. La soumission chimique est l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives à l'insu de la victime ou sous la menace. Le médecin répond à nos questions.

Quels produits sont utilisés dans le cadre d’une soumission chimique ?

Ce qui est utilisé, malheureusement, c’est ce que tout un chacun a dans sa pharmacie à la maison, tout ce qui va être de la famille des anxiolytiques ou des antalgiques à partir du moment où ces molécules ont un aspect sédatif. L’effet recherché est l’effet sédatif, ce qui fait que ces molécules sont facilement accessibles, fortement disponibles, faciles à se faire prescrire. Le premier anxiolytique qui est retrouvé, c’est le Lexomil. Les antalgiques, on va être sur le Tramadol, la Codéine, des molécules qui ont des indications de prescription assez larges. 

Comment lutter contre l’utilisation détournée de ces médicaments ?

Il y a des recommandations théoriques qui font que normalement les anxiolytiques ont une durée de prescription qui est censée être limitée à quelques semaines. Certaines substances ont été placées dans la liste des substances stupéfiantes, et nécessitent des ordonnances sécurisées, ce qui fait qu’elles sont moins prescrites.
L’une des problématiques, c’est la très large délivrance et le renouvellement des ordonnances avec un effet d’accumulation dans les domiciles de tout un chacun. 

Qui sont les victimes de soumission chimique aujourd’hui en France ?

Les données qu’on a sont celles de l’Agence de sûreté du médicament qui recense les cas. Dans les cas qu’ils retiennent, on reste d’année en année sur une prédominance de victimes féminines. En 2022, il y avait 82 % de femmes dans les cas vraisemblables de soumission chimique.

1 229 signalements suspects ont été recensés. 97 cas de soumissions chimiques sont avérés, détaille l’enquête du centre coordinateur national, le centre d’addictologie de Paris.

Quels signaux doivent alerter d’une possible soumission chimique ? 

Le symptôme qui est le plus rapporté, au moins dans la moitié des cas de soumission chimique, ce sont des troubles de la mémoire par rapport à ce qui s’est passé la veille dans la soirée par exemple. Quelqu'un qui ne sait pas pourquoi il est dénudé, pourquoi il se réveille ainsi, qui ne souvient pas d’avoir porté ces vêtements-là, qui constate qu’il n’a plus ses effets personnels ou son argent, quelqu’un qui se sent anormalement fatigué...

On a des symptômes un peu moins spécifiques, des personnes qui vont décrire des vertiges, des nausées, des vomissements, mais là, on se retrouve avec des symptômes qui sont plus difficiles à interpréter. Donc vraiment, le symptôme le plus évocateur, ce sont les troubles de la mémoire, et parfois en remontant un peu le fil, la notion d’avoir ingéré quelque chose au goût anormal.

Si les personnes qui pensent avoir été victimes de soumission chimique peuvent garder des éléments, comme un verre, ou un aliment qui a pu être contaminé, cela peut être des preuves pour pouvoir faire des analyses.

Est-ce facile de détecter ces cas de soumission chimique ?

La difficulté de la soumission chimique, c’est qu’on peut la suspecter dans un assez grand nombre de cas, mais que c’est plus compliqué de la prouver. Notamment parce qu’un certain nombre d’agressions se font dans des contextes de consommation d’alcool ou d’autres substances qui font qu’il est difficile de faire la part des choses avec une imprégnation par l’alcool ou par la prise d’une substance à l’insu de la victime. Et, assez souvent, la vulnérabilité chimique, c'est-à-dire le fait quelqu’un consomme volontairement un toxique, est associé à la soumission chimique.

On peut passer à côté d’une soumission chimique quand il y a ces problèmes de vulnérabilité chimique et que les personnes ne vont pas se faire confiance et vont penser que c’est à cause de leur consommation d’alcool.

Comment sont prises en charge les victimes lorsqu’il y a une suspicion de soumission chimique ?

La personne est invitée à déposer plainte le plus vite possible pour que les analyses et les examens médicaux puissent être effectués. L’idéal est que ces analyses soient faites à la demande de la justice. L’idée est de faire un examen médical pour rechercher les signes de violences physiques ou sexuelles qui seraient associés.

La deuxième chose est, sur le plan médical, de faire des prélèvements, des analyses toxicologiques pour rechercher les substances qui auraient pu être utilisées pour une soumission chimique. Les trois principaux prélèvements que l’on fait, c’est le sang, l’urine et les cheveux. Dans le sang, les molécules disparaissent très vite, entre quelques heures et 24 heures. Il faut faire vite. Dans l’urine, on est dans l’ordre de quelques jours. Dans les cheveux, cela dépend de la longueur, on peut retrouver des substances sur plusieurs mois avec des analyses plus complexes.

La soumission chimique est-elle un nouveau fait de notre société ?

Essayer de recenser les cas de soumission reste plutôt nouveau. Ceci dit, on a quand même conscience que depuis longtemps, il peut y avoir des recours à des soumissions chimiques, plutôt dans le cadre privé, dans la maltraitance à enfants ou personnes âgées. Chez les victimes, on voit que les âges, dans l'étude de 2022, s’étalaient de 9 mois à 90 ans. Chez les enfants et personnes âgées, on n’est pas du tout dans un cadre festif, on est vraiment avec des proches qui font ingérer des substances, et cela, ce sont des choses qui existent depuis très longtemps.

Dans le cadre d’une soumission chimique, on peut avoir des violences sexuelles, mais pas seulement, il peut y avoir des vols, voire d’autres infractions associées. 

Les substances utilisées lors d'une soumission chimique laissent-t-elles des séquelles aux victimes ?

Ce sera lié en fonction de la molécule, de la dose, de la tolérance et l’état de santé sur lequel une soumission chimique vient se greffer. On peut faire des complications suite à l’absorption de tels médicaments qui peuvent être contre-indiqués chez la victime, ou alors parce que les doses administrées sont importantes ou répétées. On sait que tout ce qui va être anxiolytique, benzodiazépine comme le Lexomil vont entraîner des troubles cognitifs et de la mémoire à long terme. On peut avoir aussi des conséquences indirectes comme des accidents de la route ou des traumatismes liés au fait que les personnes ont une altération de la vigilance et des gens qui se mettent dans des situations à risque.

Que peut changer le procès des viols de Mazan ? 

Il y a une très forte sous-estimation de la problématique de la soumission chimique et peu de victimes identifient ce qui se passe et vont jusqu’à déposer plainte, et faire toutes les démarches dans les temps. Donc, ce qu’on peut espérer au travers de ce procès, c’est qu’il puisse permettre au grand public de se rendre compte de cette problématique, et d’être à la fois plus vigilant en termes de prévention, faire attention lors des sorties par rapport aux consommations de boissons, par rapport au stockage des médicaments, mais aussi en cas de symptômes évocateurs de pouvoir réagir et lancer des démarches permettant un diagnostic.

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