35 ans après l'explosion et la catastrophe de la centrale nucléaire en Ukraine, Laurent Michelot publie un livre sobrement intitulé « Tchernobyl Visite Post-Apocalyptique ». Le succès est tel que l’éditeur envisage une réédition.
Dans les atlas des lieux maudits ou obscurs, où l’on s’enivre d’un peu d’effroi en tournant des pages, il y a toujours Tchernobyl. Forcément. Laurent Michelot aurait pu, en curieux raisonnable, imaginer Tchernobyl à distance. Il s’y rend une première fois en 2014. Il connaît bien l’Ukraine, son épouse est originaire de ce pays. Il y retournera 10 fois. Dernier aller-retour en novembre dernier, juste avant le confinement. Il publie aujourd’hui un livre de 120 pages sur ce qu’il appelle « une capsule temporelle ». Pripiat, ville magnétique, située à 3 km du lieu de la catastrophe, définitivement morte mais toujours debout.
Pripiat, ville fantôme depuis 35 ans
« Tchernobyl Visite Post-Apocalyptique » n’est pas un livre voyeur mais bien une enquête relancée à chacune des photos. « Les belles images ne suffisent pas. C’est aussi un récit historique, j’ai rencontré beaucoup d’anciens habitants, ceux qui reviennent sur place qu’on surnomme les 'autocolons'. J’ai voulu savoir ce qu’on mangeait là-bas, comment on travaillait, avant l’explosion» explique le photographe. Effectivement, le livre de Laurent Michelot donne toutes les clefs pour comprendre. Des plans, des statistiques sur cette ville choyée au temps de l’Union Soviétique. En 1986, année de la catastrophe, Pripiat est une ville jeune, l’âge moyen y est de 26 ans. Et l’Etat prend soin des travailleurs de l’atome. La force du livre repose sur la juxtaposition avant/après des mêmes lieux.
Quand on sent à ce point la vie personnelle des gens, c’est troublant et glaçant. Pour moi Tchernobyl est une Pompéi moderne. Je voulais montrer pourquoi la catastrophe, comment, pour ne pas refaire les mêmes erreurs. C’est un moment de douleur qui concerne l’humanité entière.
Laurent Michelot a passé de longues années à Besançon. Il y a fait sa scolarité puis des études aux Beaux Arts. Il deviendra graphiste. Il travaille désormais dans des agences de publicité à Bruxelles où il réside. Il n’avait que 13 ans au moment de la catastrophe, le 26 avril 1986. Souvenir intact qui l’a travaillé toute sa vie. « J’ai été contaminé par le lieu avant d’y aller sans doute » dit-il.
Un forfait journalier délivré par le gouvernement
Dans le livre de Laurent Michelot, des photos interrogent. Celles prises au plus près dans la salle de contrôle du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl. Comment a-t-il fait ? « Il n’y a aucune difficulté à rentrer sur le site. Il faut être accompagné par les personnels de la centrale. Pour une visite en groupe comptez 150 euros. Tout se fait au pas de course. On court littéralement. Dans la salle du switch électrique on reste entre 5 et 10 minutes, pas plus, montre en main. »
Le photographe précise les conditions de vie et de déplacement sur le site. « Un forfait journalier est délivré par le gouvernement. Interdit de toucher quoi que ce soit. Bras jambes et pieds doivent être couverts. » Plus surprenant, il est interdit de boire et de manger dans la zone interdite. « On mange à la cantine de la centrale, à 3 km du réacteur. Cela renforce l’immersion. Pour le logement, c’est à 15 km, dans un hôtel rudimentaire, à Tchernobyl-ville. C’est une cité dortoir, pour ceux qui travaillent sur le site, une petite ville sans enfants, 5000 habitants à peine, deux épiceries. On ne peut pas sortir de l’hôtel. On doit respecter le couvre-feu. Des patrouilles de police empêchent toute sortie. » Le gouvernement ukrainien veille tout en encourageant ce que certains qualifient de « dark tourisme ».
C’est devenu une zone touristique officielle. Surtout depuis la série diffusée sur HBO. Il y a énormément de guides qui proposent des tours sur la zone. C’est un énorme business.
Sinistre et silencieux
Depuis 2017, on ne peut normalement plus entrer dans les bâtiments. « Pour sortir des clous, c’est le jeu du chat et de la souris. Je me suis caché, jusqu’à ramper parfois pour m’engager dans des couloirs et découvrir de nouveaux lieux. J’en suis à mon 12ème voyage, il y a toujours à découvrir. Il faut aller vite car dans 30 ans tout aura disparu. Les constructions soviétiques sont de mauvaise qualité. On bâtissait vite et mal à l’époque. Le plus gros danger c’est l’effondrement, plus que le taux de radioactivité et les poussières. Ca grince, ça craque de partout, on s’enfonce dans les parquets, les bâtiments ne sont plus hermétiques, il pleut, et l’hiver il gèle par -25°. Tout s’abîme à une vitesse folle. Les racines des arbres soulèvent les dalles de béton. » Dans une belle inversion, Laurent Michelot dit que « les bâtiments jaillissent entre les arbres, tout est sinistre et silencieux. »
Selon son éditeur "Chêne", c’est la première fois que ce type de reportage sur la zone d’exclusion de Tchernobyl est publié dans un ouvrage en France.