Le conflit de l'entreprise horlogère LIP de Besançon s'est tenu il y a 50 ans, durant l'année 1973. Pour protester face à la fermeture de leur usine, les ouvriers ont entamé une grève puis occupé l'usine. Il y a 50 ans, presque jour pour jour, le 14 août 1973, le conflit a pris un tournant radical lorsque les forces mobiles ont délogé les ouvriers grévistes.
Au début des années 70, l’entreprise LIP commence à connaître des difficultés, notamment un déficit de plusieurs millions de Francs en 1972. Mais tout commence le 12 juin 73. Lors d’un comité d’entreprise, un employé découvre les papiers d’un administrateur : un projet qui prévoit la réduction de plus d’un tiers des effectifs de l’entreprise.
La réaction est alors immédiate. Les salariés prennent en otage deux administrateurs de l’entreprise et un inspecteur du travail, qui seront rapidement libérés. Dès le lendemain, ils entament une occupation des locaux et prennent possession d’un stock de montres, constituera leur trésor de guerre. À partir du 18 juin, les salariés reprennent la production des montres et en font des ventes sauvages, qui leur permettront de faire vivre l’usine. Une autogestion qui rendra ce conflit social très populaire dans l'opinion publique. Et c'est à ce moment-là qu'il se transforme en affaire politique.
50 ans plus tard, une émotion toujours vive
Le 13 juillet, le tribunal de commerce de Besançon prononce la liquidation des biens de LIP, mais les salariés continuent l’occupation. Il y a 50 ans, jour pour jour, le 14 août 1973, le conflit a pris un tournant radical lorsque les forces mobiles ont délogé les ouvriers grévistes. Retour sur cet épisode marquant de l'histoire des luttes sociales avec Roland Vittot, ancien délégué syndical Cfdt de l'usine LIP.
En revoyant les images du 14 août 1973, l’émotion est grande pour Roland Vittot. La gorge nouée, la voix tremblante, les mains liées, Roland Vittot parvient à revenir sur cet évènement. "C’était une grande journée, ça ravive un tas de souvenirs de cette époque de Palente."
Le 14 août 1973, Roland s’en souvient comme si c’était hier. Alors devant son café, à 6h du matin, il apprend à la radio que les CRS ont investi l’usine. Il a alors dit à sa femme "je m’en vais", avant de prendre le chemin de LIP. Arrivé sur place, les forces mobiles bloquaient le boulevard. "Rapidement, les usines du coin arrivaient. Moi, j’ai dû monter dans un bâtiment en construction, en face, pour appeler au calme et dire qu’on n’était pas là pour se battre", se souvient Roland Vittot, très ému, une LIP de 76 au poignet.
C’est la symbolique d’avoir été délogés qui a été violente. On était chez nous. On avait beau être en grève, ça ne nécessitait pas l’intervention des CRS. C’était vraiment nous donner un coup de poignard dans le dos. C’était brutal.
Roland Vittot, ancien délégué syndical Cfdt de l'usine LIP
16 août 73, un jour particulier
Ce qu’il retient de ce mouvement ? Sans aucune hésitation : la camaraderie. "La création de ce collectif hommes/femmes, horlogers/mécanos… ce sont des images qui sont là et qui ne pourront pas s’estomper, raconte-t-il en essuyant ses yeux humides. J’ai la larme à l’œil. On a bien fait, on n'a rien précipité, on a avancé tranquillement et l’idée syndicale s’est mise en route. On a vécu une belle fin de conflit", se remémore-t-il avec émotion.
Mais bien que délogé, le collectif d'ouvrier continue sa lutte. Une assemblée générale se tient au Palais des sports, deux jours plus tard, le 16 août. Jamais l'édifice bisontin n'avait été aussi plein. Roland Vittot, lui, est invité à prononcer un discours au côté du leader national de la Cfdt, Edmond Maire.
Et si le 14 août est un jour particulier qui ne peut pas s’effacer de la mémoire de l’ancien syndicaliste, le 16 août est tout aussi important. Aux souvenirs de cette journée, la voix de Roland se noue à nouveau. Le mois d'août 1973 est intemporel pour ceux qui l'ont vécu. Dans la mémoire collective, il restera le symbole qu'un modèle d'entreprise horizontale serait possible.
(Avec Marion Chevalet et Amélie Goiffon)