Témoignages. "Toujours peur de tomber dans la dépendance" : jeunes sous anti-dépresseurs, ils racontent leur quotidien

Publié le Mis à jour le Écrit par Antoine Comte
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Chez les 12-25 ans, la consommation d'antidépresseurs a bondi de 60 % entre 2019 et 2023. Une hausse significative, preuve d'une santé mentale qui décline chez les plus jeunes. Trois d'entre eux se sont confiés à France 3 Franche-Comté.

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Elles s'appellent Éloïse, Estelle et Lilou. Si elles ne se connaissent en rien, toutes les trois possèdent plusieurs points communs. Toutes habitent en Bourgogne-Franche-Comté, déjà. Toutes sont âgées de 18 à 22 ans, ensuite. Mais ce qui les relie, la raison de leur témoignage, vient d'un sujet plus intime, longtemps tabou : Éloïse, Estelle et Lilou consomment quotidiennement des antidépresseurs.

Antidépresseurs et jeunesse. Longtemps, ces deux termes n'étaient pas souvent associés, "jeunesse" étant synonyme d'action, de moments d'insouciance éloignés des soucis du quotidien. Pourtant, depuis plusieurs années, ce cliché est battu en brèche. Oui, les jeunes, dont les mineurs, peuvent avoir des problèmes psychologiques. Ils sont même de plus en plus nombreux à souffrir de maladie mentale.

"Les gestes du quotidien devenaient très difficiles"

Un constat souligné par un des derniers rapports publié par l'Assurance Maladie, en juillet 2024. Dans ce document, des chiffres jugés "inquiétants" par l'organisme. En 2023, le nombre de jeunes âgés de 12 à 25 ans ayant été remboursés au moins une fois par l'Assurance Maladie s'élève ainsi à 936 000. Une hausse de 18 % par rapport à 2019. L'augmentation la plus spectaculaire concerne les antidépresseurs : + 60 % en quatre ans, soit 143 600 personnes en plus sous traitement. Éloïse, Estelle et Lilou en font partie.

Estelle a aujourd'hui 22 ans. Les antidépresseurs, elle les connaît bien. En effet, elle en consomme depuis ses 15 ans, depuis 2016. "À mon entrée en classe de seconde" précise-t-elle à France 3 Franche-Comté. "Depuis quelque temps, je n'étais pas bien. Je ne voulais plus rien faire, un sentiment de fatigue générale". 

Je restais dormir, comme ça je n'avais pas à agir. Même les gestes du quotidien devenaient très difficiles : se lever, se doucher, manger, s'habiller. Mes parents étaient désemparés.

Estelle,

étudiante sous antidépresseurs

S'ensuit un appel aux urgences. Une admission dans un hôpital de jour "où je me rendais plusieurs fois" par semaine. Et un rendez-vous avec une psychiatre, qui sans faire de diagnostic, lui prescrit ces premiers antidépresseurs."J'étais surprise" continue Estelle. "J'étais jeune et je ne savais pas que mon état psychologique nécessitait ces traitements. Mais j'ai dit oui, car je ne savais pas quoi faire".

Un diagnostic, Lilou, elle, en a eu un. Comme Estelle, elle était aussi mineure au moment des faits, âgée de 16 ans. "J'ai commencé à aller mal à cause du collège" confesse-t-elle. "J'ai subi du harcèlement scolaire, j'ai dû changer d'établissement. J'étais tout le temps en colère contre moi-même, je pleurais constamment, je me faisais du mal et j'ai même fait une tentative de suicide avant de faire une phobie scolaire".

J'ai fini par aller à l'hôpital. Là, on m'a dit que j'étais dépressive. J'allais très mal, mais ça m'a surpris, car la dépression, beaucoup de monde en parlait autour de moi. Ça m'a vraiment inquiété.

Lilou,

étudiante sous antidépresseurs

Pour Lilou, le contexte social ne l'a pas aidé à aller mieux. "J'ai plongé en 2021" reprend-elle. "On était entre les confinements, en plein Covid. Et je pense que ça n'a pas aidé. J'aimais faire du cheval, je ne pouvais plus en faire. Je ne voyais plus mes copines. Et puis je suis restée enfermée avec ma famille, avec qui les relations étaient compliquées".

Le Covid, accélérateur des syndromes dépressifs

Le Covid, une période qui a participé à faire plonger le moral des plus jeunes ? "Pour moi, ça a joué, c'est sûr" estime Eloïse, 22 ans et actuellement étudiante à Besançon pour devenir professeure. "J'avais déjà des problèmes personnels et je suis très anxieuse de base" raconte-t-elle. "J'étais en terminale quand on a été confiné. D'un coup, ça a été la solitude et l'isolement complet. Je me suis retrouvée seule et à la reprise, j'étais à la FAC, dans un milieu que je ne connaissais pas".

"Après une semaine en présentiel, on est retourné chez nous, en plein hiver" continue la jeune femme. "J'ai perdu mes repères, mon rythme scolaire. Ça m'a enfoncé". Diagnostiquée dépressive par un psychiatre du CHU de Besançon, Éloïse prend aujourd'hui 2 comprimés de 50 mg de Fluoxetine, psychotrope réservé aux cas de dépression les plus sévères.

 

Les cas des trois jeunes femmes rentrent parfaitement dans l'étude de l'Assurance maladie citée précédemment. Des exemples que les professionnels remarquent eux aussi. "Le sujet est complexe et il faut prendre les chiffres de ce rapport avec précaution" témoigne Lauriane Vulliez, professeure des universités et pédopsychiatre au CHU de Besançon. "Mais personnellement, cette hausse, je la vois tous les jours."

Au niveau de ma patientèle, les mineurs, on a une augmentation très importante des demandes de soins en psychiatrie, notamment aux urgences. On a des crises suicidaires, des troubles du comportement alimentaire...

Lauriane Vulliez,

professeure des universités et pédopsychiatre au CHU de Besançon

Constat partagé par le psychologue bisontin Gilles Rolland, qui lui s'occupe d'une patientèle de plus de 18 ans, au sein de différents dispositifs comme "Santé Psy Etudiants" ou "Mon soutien psy". "Je vois effectivement des jeunes qui ne vont pas bien" s'exprime-t-il. "Et surtout, j'en vois plus. Il y a une vraie demande d'expression de ce malaise, les jeunes ont besoin de parler. Pour moi, cela a été accéléré par le Covid, qui a détruit le rythme, les habitudes et les structures des adolescents. Mais ces problèmes existaient bien avant. La pandémie a juste levé le voile sur cette situation".

Une angoisse sociétale accrue par les réseaux sociaux

Quelle situation ? "Dans nos entretiens, beaucoup trouvent que la société ne va pas dans le bon sens" souligne Gilles Rolland. "Que les relations entre humains sont dures, qu'il y a un manque de considération envers autrui". "L'angoisse sociétale, par rapport au futur, à la planète, aux questions d'identités, est plus prégnante, accrue par les réseaux sociaux qui exacerbent tout cela" complète Lauriane Vulliez. "Les jeunes disent peut-être plus facilement qu'ils sont en souffrance qu'avant".

Un besoin de parole, un besoin de prise en charge, qui pourrait être vu comme une bonne nouvelle, signe de la fin du tabou sur la santé mentale ? "C'est juste" souligne Gilles Rolland. "On peut se dire qu'il y a plus de cas car la parole s'est libérée sur ces sujets. Le problème principal, c'est que l'offre de soins n'est pas adaptée".

Pour une prise en charge optimale, il faudrait qu'un jeune ait un rendez-vous chez un psychothérapeute trois mois après son diagnostic. Or, à Besançon, il faut compter entre 8 mois et un an. Les symptômes dépressifs peuvent ainsi s'aggraver.

Lauriane Vulliez

professeure des universités et pédopsychiatre au CHU de Besançon

Face à cet engorgement, "les patients se tournent vers des médecins généralistes" avoue Gilles Rolland. "Ils sont bien sûr importantissimes et offrent un vrai soutien. Mais dans le cas de problèmes mentaux, ils n'ont pas l'expertise d'un psychothérapeute et certains ont tendance à prescrire des antidépresseurs rapidement. Alors qu'il faut prendre des précautions".

En premier lieu, les deux professionnels se rejoignent sur une chose : toute prise d'antidépresseurs doit être accompagnée d'un suivi chez un psychothérapeute. "La chimie offre des solutions, certes" concède Gilles Rolland. "Mais elle ne peut pas tout résoudre, et encore moins ce désir d'expression, de parole". "C'est vrai" opine Eloïse, étudiante sous antidépresseurs. "J'avais besoin de parler. Je voyais un psychiatre, puis un psychologue une fois tous les deux mois. Mais il y a l'attente et surtout le prix. 50 euros par séance, c'est énorme et surtout pas adapté pour des jeunes clients".

Je le sais, ce n'est pas les médocs qui vont me sauver. Mais je suis étudiante. J'ai tout à mes frais donc le psy, je ne peux pas me le permettre. Donc je persuade mon entourage et moi-même que je n'en ai pas besoin. Mais je sais que ça me ferait le plus grand bien.

Lilou,

étudiante sous antidépresseurs

Se développe alors une forme de culpabilité chez les jeunes sous traitement, accentuée par des questionnements sur leur rapport au médicament. "Bien sûr que la question de dépendance trotte dans la tête" nous dit Éloïse. "Parfois, j'ai la sensation d'être en manque. Et ça ne me fait pas particulièrement plaisir".

Un accès aux soins psy difficiles et coûteux

"Forcément, j'aimerais bien arrêter" reprend Lilou, 18 ans. "Je me dis que je suis dépendante d'un médicament qui, des jours, ne fait même pas effet. J'ai une relation compliquée avec mes antidépresseurs. Mon dernier psy m'a augmenté mes doses. Je ne l'ai pas dit à mes parents pour ne pas les inquiéter. J'ai peur, mais je me dis que sans antidépresseurs, ça serait pire". 

Estelle 22 ans, ne se sent également pas prête à stopper les médicaments. "Ils m'ont fait du bien, c'est certain. Il y a des périodes de hauts et de bas. Des périodes où l'on est euphorique, des périodes où l'on s'en veut" explique-t-elle. "Mais dans l'ensemble, ça va mieux. Il faut juste faire attention aux effets secondaires. Pour ma part, j'ai pris 5 kg".

Même chose pour Lilou, qui ressent aussi parfois des migraines et des nausées tandis qu'Éloïse avoue, malgré les traitements, "parfois être au fond du trou". "C'est aussi les effets d'un manque de suivi" estime le psychologue Gilles Rolland. "Il faut un accompagnement. Pour cela, on a besoin de retisser des liens entre les professions médicales, entre un psychothérapeute et un médecin généraliste par exemple".

Les dispositifs mis en place par les institutions ne peuvent-ils pas pallier cela ? "J'en fais partie, et je vois leurs failles" regrette Gilles Rolland. "Certains rendez-vous ne sont pas remboursés, certaines pathologies ne sont pas incluses. Par exemple, les jeunes ayant des conduites addictives ne peuvent pas en profiter. Ceux qui ont des troubles du comportement alimentaire sévères aussi. Il faut changer cela. Et cela passe par un meilleur maillage de professionnel sur le territoire".

Les professions des soins psychiatriques demandent plus de moyens

Des vœux pieux. Mais seront-ils entendus ? Et comment inverser la situation ? La pédopsychiatrie semble être en première ligne. "La plupart des problèmes de santé mentale trouvent leur origine avant 14 ans" révèle Lauriane Vulliez, du CHU de Besançon. "Il faut veiller sur la qualité des relations familiales, et ce, dès la petite enfance". 

► À LIRE AUSSI : Santé mentale des adolescents : "les jeunes sont très sensibles à l'état émotionnel de leurs parents"

Problème, en 2021 déjà, la communauté pédopsychiatrique française alertait dans une tribune publiée dans le journal Le Monde sur "une carence massive des soins psychiques adaptés et essentiels pour notre jeunesse" à venir, "du fait d’un manque croissant de professionnels formés". Trois ans plus tard, leur prévision s'est malheureusement révélée juste. Et en bout de chaîne, ce sont les jeunes patients qui en pâtissent.

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