Les laboratoires vétérinaires qui ne sont pas habilités en temps normal à réaliser des actes de biologie médicale pourront "participer à l'effort national de dépistage" du Covid-19, a confirmé le ministère de la Santé. Une décision diversement accueillie du côté des laboratoires vétérinaires.
Ce que propose le ministre de la santé
La mesure, annoncée vendredi 3 avril par le ministre de la Santé Olivier Véran, concerne les laboratoires publics ou privés "ne pratiquant pas en temps normal la biologie médicale, mais disposant des équipements et des personnels nécessaires pour réaliser si nécessaire un nombre important de tests dans de bonnes conditions", et qui se sont portés volontaires pour participer aux opérations de dépistage."Il s'agit en particulier des laboratoires publics de recherche, de laboratoires vétérinaires et des laboratoires départementaux".
De nombreux laboratoires hors biologie médicale, notamment vétérinaires, réclamaient avec insistance d'être autorisés à réaliser des tests covid-19, comme c'est le cas déjà dans plusieurs pays voisins.
Le ministère précise que cette "capacité supplémentaire de dépistage" sera notamment mobilisée pour renforcer les tests au sein du personnel soignant et dans les maisons de retraite, ce qui aidera dans ces dernière à "prendre des mesures immédiates afin d'éviter une transmission entre les résidents".
Vétérinaire à la clinique vétérinaire des Tilleroyes à Besançon, Vincent Thomas accueille avec une grande prudence l’annonce du ministre de la santé
Juridiquement compliqué
Ce vétérinaire installé à Besançon se questionne sur l'arrivée des vétérinaire dans la course au dépistage : « Il se pose un problème, car depuis plusieurs années il y a une séparation complète des analyses vétérinaires et des analyses humaines. Officiellement, de par la loi, un labo d’analyse humaine ne doit pas faire d’analyses vétérinaires pour un chien, un chat, ce qui se faisait encore il y a quelques années. Le vétérinaire doit passer par son propre laboratoire (on a des petites machines qui nous font nos analyses) ou passer par un laboratoire d’analyses purement vétérinaires. Qui ne peut lui, en aucun cas faire des analyses humaines" explique-t-il.
"Avant, il existait des CES (certificat d’études spécialisées) qui servaient de passerelle entre les deux spécialités. Maintenant, ça a été interdit, ça a été séparé, à la demande de la médecine humaine qui a certainement peur de perdre ses prérogatives" ajoute Vincent Thomas.
"Du coup, je ne vois pas bien comment les vétérinaires pourraient faire ces tests, notre ordre va être bien embêté parce que ça constitue un « exercice illégal » de la médecine humaine" lance-t-il.
"Si l’Etat propose que les vétérinaires donnent un coup de main, ce n’est pas un problème, mais sur le plan légal c’est compliqué, et ça ne peut se faire comme ça d’un coup de baguette magique"
conclut le vétérinaire.
La réponse du ministre de la santé : "Juridiquement, cette participation aux tests prendra la forme d'une réquisition, un cadre "qui est protecteur pour les techniciens et les équipements considérés", et elle "exclura naturellement la réalisation des prélèvements eux-mêmes"
Très long si l’on veut tester toute la population
"Ces tests, il faut les produire, il faut qu’il y en ait suffisamment, et même si les entreprises en produisent beaucoup, faire des tests à tous les Français me paraît illusoire" s'interroge le vétérinaire de la clinique bisontine.
"Dans nos cliniques, même si c’est juste pour accueillir, piquer, et s’assurer que c’est la bonne personne, le test prendra bien 10 minutes. Même s’il y a 10.000 laboratoires qui se mettent à faire ça chaque jour, vous compter 100 par jours, ça fait un million de tests. Pour arriver à 64 millions d’habitants, il faudra 64 jours" a-t-il calculé.
"Et encore, il faut trouver ces 64 millions de tests, il faut ramener les choses à des données purement techniques et matérielles. Et si c’est fait par les laboratoires départementaux, il y en a un par département, ça ne va pas amener réellement une bouffée d’oxygène immense" explique Vincent Thomas.
Pas ou peu de réactions pour l'instant des laboratoires vétérinaires départementaux
Dans le département du Jura comme en Haute-saône, l'heure est à la discrétion. Rien -ou presque- ne filtre comme réaction à l'implication des vétérinaires dans les tests de dépistage.
Pour obtenir des informations, on nous demande faire des demandes par mail "un peu à l'avance" et attendre qu'éventuellement on nous rappelle. Et lorsque l'impatient journaliste que je suis renouvelle l'appel quatre heures plus tard, on m'explique gentiment au standard jurassien qu"on a des consignes, on ne peut rien dire. Le décret vient de sortir, aucune décision n'est prise."
Même chose du côté de la Haute-Saône mais le direteur du laboratoire départemental nous glisse quelques mots :"Nous sommes en train de voir ce qui est possible avec L'Agence Régionale de Santé, on réfléchit à comment s'organiser. Nous devrions intervenir en cas de saturation des laboratoires médicaux en poste. Nous avons les équipements, il nous faut voir s'ils correspondent aux exigences, là c'est encore un peu tôt."
Quelle validité et fiabilité des résultats ?
"Si tous les vétérinaires font ça dans leur clinique, je veux bien, mais il va aussi se poser le problème de la validité des résultats, on va nous demander de nous adapter, de gérer ça en plus de nos clients habituels…Techniquement, c’est faisable, on a exactement les mêmes types de tests pour nos chats et nos chiens. Mais règlementairement, les vétérinaires devront avoir une autorisation, donc certainement être formés… Il va falloir respecter les consignes sinon ça retombera sur ceux qui auront mis en route ce genre de choses un peu rapidement. On va leur reprocher de ne pas avoir travaillé dans de bonnes conditions" confie Vincent Thomas.
"Comme dans tous genres de tests, on va aussi avoir des « faux négatifs » et « faux positifs »…et quand vous aurez fait le test chez le vétérinaire et que vous attendrez le résultats pour être « déconfiné » ou l’inverse, alors vous allez faire jouer que le test a été fait dans des mauvaises conditions, il va falloir voir les conséquences" s'interroge le vétérinaire des Tilleroyes.
'De toute façon c’est l’Etat qui va trancher, qui donnera l’autorisation ou pas. La seule chose, c’est qu’il va demander à l’ordre des médecins, qui lui-même se soumettra à la décision de l’Etat. C’est purement aux politiques de décider s’ils font réellement appel aux vétérinaires et donc de leur donner les autorisations… Les ordres sont une délégation d’Etat, donc ils suivront."
La réponse du ministre de la santé : "Les dispositions règlementaires nécessaires seront prises pour permettre à ces laboratoires, partout où les ARS identifieront un besoin, de réaliser les opérations matérielles de tests, dans le cadre d'un partenariat organisé avec un laboratoire de biologie médicale", a déclaré le ministre de la santé. Un dispositif qui "garantira la bonne réalisation des opérations et le respect des normes et bonnes pratiques".