La journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, samedi 25 novembre, est l'occasion de retracer l'histoire d'une forme de brutalité universelle et immémoriale. Entretien avec l'historienne Brigitte Rochelandet.
"Le passé éclaire toujours le présent". Voici l'adage de l'historienne Brigitte Rochelandet, à l'approche de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, samedi 25 novembre. Dans un entretien accordé à France 3 Franche-Comté, la docteure en histoire des mentalités est revenue sur le long et tortueux récit des violences faites aux femmes, afin d'aider à mieux comprendre ce phénomène de société universel. Pour la militante installée à Besançon (Doubs), les hommes et les pouvoirs publics doivent s'impliquer davantage.
Pourquoi vous êtes vous intéressée à l'histoire des violences faites aux femmes ?
J’ai fait un doctorat il y a plus de 30 ans sur les procès de sorcellerie en Franche-Comté et en travaillant sur ce thème, j'ai découvert la domination masculine, la misogynie et pourquoi on a brûlé des femmes parce qu'elles étaient femmes. J'ai ensuite travaillé sur la prostitution, les féminicides, le droit de battre sa femme... Toutes ces humiliations qui représentent un important panel de violences physiques et morales envers les femmes.
Ces violences ont-elles toujours existé ?
Oui, car elles découlent de la domination masculine. Cette dernière a généré des violences pour soumettre les femmes et aucune société n'échappe vraiment à cette hégémonie masculine, qu'on retrouve de l'Antiquité jusqu'à nos jours. En Franche-Comté par exemple, il y a eu 1 000 procès de sorcellerie, avec environ 750 femmes jugées, dont 500 qui sont montées sur le bûcher. La Franche-Comté a été une terre de bûcher féminin, contrairement à la Bretagne qui était aussi une terre de sorcellerie, mais avec très peu de bûchers. L'Alsace et la Lorraine ont aussi brûlé des femmes, donc l'Est est une région marquée par cette violence.
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"Aucune société n'échappe vraiment à cette hégémonie masculine"
Que peut apporter votre regard d'historienne au débat actuel sur la lutte contre les violences faites aux femmes ?
Le passé éclaire toujours le présent. J'anime ce vendredi une conférence à Montluçon (Allier) sur la perception historique du viol au cours des siècles. En partant de l'Antiquité, j'explique pourquoi les femmes sont violées et pourquoi elles sont victimes d'une double peine puisqu'elles ne sont pas crues. Le doute sur le non-consentement de la femme est très ancien, et en s'interrogeant dessus, on souhaite que le viol soit bien perçu comme le crime d'un homme. Ce n'est pas la femme violée la coupable. Quand on pense aujourd'hui qu'une fille "l'a bien cherché" parce qu'elle portait une jupe courte ou qu'elle a accepté un verre, cela provient d'une perception de la femme néfaste depuis l'Antiquité.
Vous animerez une autre conférence à Lons-le-Saunier, samedi 25 novembre, pour la journée internationale de lutte contre des violences faites aux femmes.
Oui, cela sera sur la perception et l'installation de la domination masculine dans toutes les sociétés. Un phénomène difficile à expliquer précisément. Après l'apparition de l'écriture, on voit que les hommes prennent le pouvoir et qu'ils vont infliger des humiliations aux femmes en les cantonnant dans leur rôle de procréatrice et en leur refusant celui de créatrice. Même si certaines ont bravé l'interdit, l'accès aux arts comme la peinture, la sculpture ou la littérature leur a longtemps été difficile. En France, au XVIIe siècle, on voit aussi apparaître la loi grammaticale très humiliante du masculin qui l'emporte sur le féminin, sous-entendu que le masculin est plus noble. C'est une violence inouïe pour des petites filles d'entendre cela. C'est pour cela que j'ai signé la tribune d'Eliane Viennot et Typhaine D. parue dans Le Monde, le 7 novembre. Nous ne sommes pas d'accord avec le président Emmanuel Macron lorsqu'il a dit le 30 octobre dernier à Villers-Cotterêts, que "dans cette langue, le masculin fait le neutre". Cela efface le féminin.
Qu'est-ce qui a changé depuis la mise en place de cette journée par l'ONU en 1999 ?
Cette journée concerne les violences physiques, morales et psychologiques comme le viol, la prostitution ou le harcèlement. C'est différent du 8 mars, qui évoque plutôt le droit d'aller à l'école, de créer, d'être soi... Le 25 novembre a permis une certaine prise de conscience, de parler de féminicides et non plus de drames passionnels. Grâce à MeToo également, la parole des femmes sur les viols qu'elles ont subis est libérée, même si la société ne semble pas toujours être intéressée par les violences faites aux femmes.
Le 25 novembre, les femmes, mais aussi tous les hommes, devraient être dans la rue pour dire qu'on ne veut plus de violences. Il faut punir les auteurs de violences et surtout prendre des directives pour changer l'éducation. Il ne faut plus éduquer les petits garçons et petites filles comme on les éduque mais vraiment sensibiliser les jeunes générations à l'existence de violences faites aux femmes. Ce qui sera fantastique, c'est quand toutes les associations contre les violences faites aux femmes auront disparu, car cette brutalité aura été éradiquée. Il faut que les gouvernements et les politiques comprennent que si on arrive à inhiber ces violences, à punir les coupables, on tendra vers une société plus égalitaire et plus heureuse.