Depuis 25 ans, l’association L'Hippocampe distingue les plus belles planches de BD, dessinées par des personnes en situation de handicap. Sept résidents du château de Novillars, dans le Doubs, vont recevoir l'un des premiers prix, une récompense prestigieuse après 3 mois de travail.
"On était fiers de nous. C’était une belle surprise, tous nos amis sont fiers de nous !"
Ce jour-là, au Château de Novillars dans le Doubs, l’atmosphère est teintée de joie, de félicité et d’engouement. Angélique et Patricia sont heureuses. Avec cinq autres résidents de ce foyer de vie de l’association Solidarité Doubs Handicap, elles viennent de recevoir un Hippocampe d’or.
Ce prix, remis depuis 25 ans par l’association L’Hippocampe, lors du festival de BD d’Angoulême, récompense les deux meilleures planches BD réalisées par des personnes en situation de handicap.
Un rayon de soleil pour le collectif du Château de Novillars, qui postulait, qui plus est, pour la première fois à ce concours de dessin.
L’histoire débute en octobre 2023. Le Château de Novillars reçoit l’une des 11.500 invitations à participer au concours, envoyées par l’association l’Hippocampe dans toute la France. Le défi, réaliser deux planches de 55 cm par 60 pour raconter une histoire, sur le thème suivant : "Chouette, j’y vais… Raconte en BD !"
Tout de suite, j'ai voulu le faire, c’est vraiment un projet magnifique. Loin de notre esprit de remporter un prix. On était vraiment contents.
Serge Galland, éducateur spécialisé au Château de Novillars (Doubs)
Une centaine d’heures de travail
Sept résidents âgés de 25 à 60 ans se portent alors volontaires : Emmanuelle, Dominique, Thierry, Patricia, Nicolas, Ludovic et Angélique se mettent à l’œuvre, encadrés par Serge Galland, éducateur spécialisé au sein de ce foyer de vie. "Ils sont toujours partants pour des activités, en plus dessiner ça ils aiment faire. La majeure partie, ils adorent être actifs."
Crayon de papier et de couleur, stylo-feutre et peinture acrylique, le collectif explore, redécouvre le dessin avec les conseils avisés de leur éducateur, qui est aussi peintre amateur.
Le scénario se tisse alors : "C’est l’histoire d’un jeune africain, décrit Serge Galland, qui raconte sa vie au village. Un jour, des gens méchants viennent brûler son village. Sa famille et lui prennent la route, il est accueilli en France". "Le fait de parler d’un enfant africain, tout de suite ça les a motivés. Ils sont vraiment ouverts sur le monde extérieur."
On a choisi de parler des enfants déracinés par la guerre. Ça tourne autour de l’humour, de la poésie, c’est vraiment pas des scènes dramatiques.
Serge Galland, éducateur spécialisé au Château de Novillars (Doubs)
Débute alors un travail intense pour parvenir à rendre les planches dans les délais impartis : tout devait être envoyé pour le 16 décembre. "Avec les résidents, on a fait plusieurs ateliers. Je leur ai demandé de dessiner un papa, une maman, une girafe, tout ça a été reproduit sur les planches avec eux", raconte l’éducateur, fier du chemin parcouru. "Je ne pensais pas que ce serait aussi long. Pendant trois mois, on a travaillé, travaillé, travaillé."
Au Château de Novillars, Serge Galland propose déjà au quotidien une réflexion part l’art et le travail manuel, il a alors puisé dans ses connaissances pour d’adapter au mieux aux capacités de son groupe. "Je me suis rapporté aux travaux de Kandinsky sur les formes et les couleurs. J’ai bouquiné ses travaux pour mettre en place cet atelier."
Accompagné par son éducateur, le groupe esquisse, rature, s’empare de cette bulle de créativité. "On a insisté sur la couleur mais surtout sur la lumière. C’est une enluminure collective, décrit l’éducateur. C’est un travail sur le coloris, qu’il y ait une lumière intérieure qui se dégage."
On a ressenti du bien-être. C’était dur car il fallait dessiner, et c’était un peu dur. C’est tout petit, minutieux.
Angélique et Patricia, résidentes au Château de Novillars (Doubs)
"Moi aussi, j’y ai mis ma patte, reconnait Serge Galland, c'’est une synergie de groupe". Pour un résultat à la hauteur de ses attentes, tant d’un point de vue esthétique et artistique que du point de vue collectif, au regard des handicaps cognitifs qui touchent le groupe. "Ils ont vraiment des difficultés relationnelles au niveau du langage, il fallait trouver un moyen où ils puissent s’exprimer plus aisément". "Ce que je voulais faire sortir, c’est que ce n’est pas un travail de déficients intellectuels."
Au final, le résultat est à la hauteur des attentes de l’éducateur comme des résidents : "Chaque bulle est un tableau", estime Serge Galland, ébloui. "On est très contentes", s’exclament de concert Angélique et Patricia, contactées par téléphone.
La récompense ultime : le prix remis en main propre
Annoncée le 12 janvier, un mois après l’envoi des planches, la nouvelle est arrivée comme un feu d’artifice. "Depuis qu’on connait le résultat, tous les jours, c’est la fête, sourit l’éducateur spécialisé. C’est leur travail récompensé. Ça va être extraordinaire"
Car leur Hippocampe d’or, le collectif part ce jeudi le recevoir sur place, à Angoulême, lors du festival international de la BD, partenaire du concours, qui se tient du 25 au 28 janvier. "On est trop contentes d’aller à Angoulême, se réjouissent Angélique et Patricia. On part deux jours". Ma famille est fière de moi, s’émeut Angélique, pas peu fière, mais impressionnée : "Moi et Patricia on appréhende un peu de monter sur la scène."
Ce voyage, financé par Solidarité Doubs Handicap, représente l’aboutissement de trois mois de travail, il était indispensable, estime Sylvaine Michelagnoli, cheffe de service au Château de Novillars : "On voulait qu’ils puissent vivre leur heure de gloire".
1.400 candidatures, 6 Hippocampes d’or
Sept heures de route attendent la troupe, qui devrait vivre une expérience unique sur place. Le trophée sera remis aux Francs-comtois ce vendredi 26, parmi une quarantaine de distinctions et près de 1400 candidatures. Le Château de Novillars a en effet été primé dans la catégorie collectif adulte. Des prix sont également remis en catégorie collectif ou individuel, enfant et adolescents, soit 6 Hippocampes d’or, les premiers prix.
Pour la présidente de l’association L’hippocampe, Mireille Malot, qui organise ce concours depuis 25 ans, il s’agit de mettre en lumière les personnes en situation de handicap, et de valoriser leur savoir-faire. "L’important, c’est de les sortir de leur établissement. Leur donner la possibilité de s’exprimer sur un thème précis. Il faut leur faire une place dans la société, c’est tout le travail de L’hippocampe."
Le handicap n’empêche pas le talent, la preuve. Certains font des choses magnifiques.
Mireille Malot, présidente de l’association L’hippocampe
Avant même de prendre la route pour recevoir leur trophée, les résidents du Château de Novillars attendent déjà l’année prochaine avec impatience. Retenteront-ils l’expérience ? "Pourquoi pas !", assurent Angélique et Patricia.