C'est un événement inédit au lac Saint-Point (Doubs). Du 13 au 16 juin 2024,à l'occasion des Journées européennes de l'archéologie, embarquez pour la préhistoire avec cette régate internationale de pirogues néolithiques.
C'est un OFNI, un objet flottant non identifié. De loin, on croirait un très gros canoë, mais à y regarder de plus près, c'est en fait un tronc d'arbre qui glisse sur les eaux du lac de Saint-Point (Doubs). Une pirogue du néolithique avec, à bord, quatre rameurs qui s'embarquent dans un drôle de voyage dans le temps ! En Franche-Comté, les membres de l'association bretonne Koruc sont à l'entraînement. Ces spécialistes de la "navigation préhistorique" se préparent à relever encore un sacré défi, non sans une certaine appréhension.
"On espère qu'elle ne prendra pas l'eau, qu'il n'y ait pas de fissures qui se soient développées, avoue Paul Bacoup, archéologue et membre de l'association Koruc. Après, normalement, si on a bien fait le travail, il n'y a pas de problème, c'est juste du plaisir, parce que c'est quand même naviguer dans une embarcation qui, potentiellement, aurait pu naviguer il y a plusieurs milliers d'années".
"Vogue la pirogue"
Une aventure étonnante qui devrait attirer les curieux sur les berges. Du 13 au 16 juin 2024, "Vogue la pirogue" promet un grand bond dans le passé. L'événement est organisé par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) de Bourgogne-Franche-Comté et le club de canoë-kayak de Pontarlier avec de nombreux partenaires, dans le cadre des Journées européennes de l'archéologie.
Au programme, de nombreuses conférences et animations, tout village de l'archéologie à explorer, mais surtout cette incroyable régate de pirogues d'un autre temps. Elle verra s'affronter, samedi 15 juin, 26 équipages européens. Avant de se jeter à l'eau, les passionnés de Koruc n'ont déjà pas ménagé leurs efforts. Il leur a fallu fabriquer eux-mêmes leur vaisseau de bois, creuser la coque de 7,50 mètres de long, dans un unique fût d'épicéa. Un chantier naval impressionnant qui représente 20 à 25 jours de travail.
Chantier naval
Et là aussi, c'est une véritable leçon d'histoire. "On utilise deux outils différents, explique Emmanuel Guerton, charpentier et membre de l'association Koruc. Le premier, c'est l'herminette qui est une espèce de pioche à bois, avec laquelle on va vraiment travailler face à soi comme on travaillerait avec une pioche. On utilise également la hache qui nous sert évidemment à abattre l'arbre la plupart du temps, mais qui va nous servir aussi à ébaucher les flancs intérieurs de la pirogue."
C'est une première dans le Doubs, mais c'est la dixième édition de cette régate internationale. Cette course est organisée, depuis 2014, chaque année à tour de rôle par l'un des pays qui font partie du réseau des "sites palafittiques autour des Alpes".
Plongée dans la préhistoire
Depuis 2011, 111 sites palafittiques de l'arc alpin sont en effet inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO. Il s'agit de vestiges d'habitats sur pilotis qui datent d'environ 5 000 à environ 500 av. J.-C. Ils sont situés sur les bords de lacs, de rivières ou de terres marécageuses, et repartis sur six pays - France, Suisse, Autriche, Allemagne, Italie et Slovénie - qui en posséderaient près d'un millier au total.
À ce jour, seul un petit nombre de ces sites inscrits a été fouillé. Mais ils ont fourni aux archéologues des éléments qui donnent un aperçu de la vie quotidienne dans l'Europe alpine du Néolithique et de l'Âge de bronze. Des pièces d'architecture des maisons en bois, conservées sous l'eau, notamment mais aussi des outils, des objets du quotidien, des restes alimentaires et même des vêtements !
"Ce sont des sites enfouis dans les sédiments de bord de lac, mais ils ont livré l'histoire de toute une culture qui existe tout autour du néolithique sur ces sites-là", assure Vincent Bichet, géologue et archéologue, enseignant-chercheur à l'Université de Franche-Comté.
Le pays qui en compte le plus est la Suisse avec 56 sites recensés. En septembre dernier, une pirogue de l'âge de fer a d'ailleurs été sortie du lac de Neuchâtel à Grandson, en Suisse. L'embarcation qui mesure 12 mètres de long, dans un état de conservation remarquable, reposait à une profondeur de 3,5 mètres sur un banc de sable.
Chalain et Clairvaux
En France, plusieurs sites ont été découverts dans le massif jurassien et dans la région savoyarde. En Bourgogne-Franche-Comté, plus précisément, deux lacs du Jura sont concernés : Chalain et Clairvaux. Le lac de Saint-Point, lui, ne compte pas de site palafittique connu. En revanche, il est à mi-chemin entre des sites suisses et français et a sans doute été traversé par cette révolution néolithique qui a vu la diffusion de pratiques sédentaires.
On sait que les habitants des villages néolithiques de Chalain, de Clairvaux, échangeaient avec les habitants des villages néolithiques de Neuchâtel par exemple. Et lorsqu'ils passaient de l'un à l'autre, ils passaients sans doute par le lac de Saint-Point.
Vincent Bichet, géologue et archéologue à l'Université de Franche-Comté.
Des études palynologiques (à partir de résidus de pollens), effectuées dans le lac par carottages, pour connaître le couvert végétal dans les périodes anciennes, ont ainsi révélé des traces d’agriculture dans la zone vers 5400 av. J. C.