Une louve a été tuée dans le département du Doubs, mardi 20 septembre par un tir de défense. Des experts nous expliquent pourquoi abattre des loups est inutile. Témoignages.
Une louve a été tuée dans le département du Doubs, mardi 20 septembre après plusieurs attaques sur des troupeaux. L'action s'est déroulée aux Longevilles-Mont-d’Or près de Métabief, alors que l'animal était en situation d'attaque, comme nous l'a indiqué la Préfecture. Des tirs de défense par des louvetiers ont été autorisés après une série d'attaques depuis le début août ayant entrainé la mort de bétail dans le Haut-Doubs notamment le Val de Mouthe.
Selon les associations de protection du loup, abattre les loups n'est pas une solution. Pourtant, c'est bien celle qui est privilégiée par les autorités lorsque les attaques se multiplient sur un secteur, "pour faire baisser la pression sur les exploitations", comme l'expliquait le préfet du Doubs à notre micro il y a quelques jours.
Les spécialistes de l'analyse des comportements lupins et de la protection de cet animal dont les agissements font couler tant d'encre, et ce depuis environ 2000 ans, alertent sur une mesure contre productive. Les associations LPO Bourgogne-Franche-Comté, FERUS, FNE Bourgogne Franche Comté et Pôle Grands Prédateurs ont diffusé un communiqué commun ce 22 septembre et parlent d'un "coup pour rien qui ne résoudra que temporairement les difficultés rencontrées au cours des derniers mois par des éleveurs mal préparés à coexister avec cette espèce dont la protection stricte s’impose, y compris aux acteurs du monde agricole."
Des études menées prouvent l'inefficacité de l'abattage de loups sur le long terme
"Ce qu'on sait, c'est qu'une étude récente datant de décembre 2021 montre que les tirs de prélèvement sont en majorité inutiles. Il y a une courte période durant laquelle il n'y a plus d'attaques sur le secteur, mais cela reviendra, car de toute façon la nature a horreur du vide. Un loup qui part, c'est un autre loup qui revient un moment donné. C'est pareil pour beaucoup d'espèces et pour tous les prédateurs. Le tir ne peut pas suffire" explique Delphine Durin, chargée de mission au sein de l'association Jura Nature Environnement, à notre journaliste Fleur de Boer. Cette association lutte contre la destruction et pour la restauration des écosystèmes marins et terrestres.
Une autre étude menée par "Frontiers in Ecology and The Environment", datant de 2016 et intitulée "Le contrôle des prédateurs ne devrait pas être un tir à l’aveugle" (en anglais) abonde dans ce sens. Selon cette étude citée par le think thank Mrmondialisation.org, "des scientifiques se sont informés auprès de différentes fermes situées aux États-Unis et en Europe, et ont tenté d’évaluer l’efficacité de 5 méthodes non-létales et de 7 autres. Sur les 12 méthodes analysées, seulement la moitié — dont 4 n’induisant pas la mort du prédateur — a démontré son efficacité dans la protection des troupeaux domestiques. Les autres n’ont quant à elles témoigné soit d’une efficacité nulle sur l’endiguement des attaques, soit une aggravation dans le nombre de celles-ci".
Delphine Durin nous explique en détails que lorsqu'un loup est tué, d'autant plus s'il s'agit d'un chef de meute, cette dernière peut potentiellement éclater. Des jeunes loups se retrouvent ainsi isolés et chassent de manière désorganisée, sur des territoires parfois distants. Pour rappel, un loup peut parcourir environ 100 km en une nuit. "Les études montrent que ces tirs sur des individus alpha éclatent la meute et que les méthodes de chasse ne se font plus avec les adultes. On sait que ce n'est pas la bonne solution" conclut-elle.
Une cohabitation possible
Selon Delphine Durin, la cohabitation avec les loups est possible même en Franche-Comté, "à condition que l'on veuille s'en donner les moyens". Cela passe par une aide financière aux éleveurs afin d'accroître la protection de leurs troupeaux, à l'aide de chiens de protection, de clôtures spécifiques ou encore de brigades humaines de surveillance. "Des éleveurs référents ont déjà fait ce travail et testé des choses. Ils peuvent indiquer des moyens intéressants", précise Delphine Durin.
Natacha Bigan, coordinatrice locale pour le Massif du Jura de FERUS, une association nationale de protection et de conservation de l'ours, du loup et du lynx, explique à notre journaliste Fleur de Boer qu'"il ne faut surtout pas opposer les éleveurs et les associations de protection de nature". "Il faut qu'on discute ensemble pour mettre en place des mesures de protection efficaces. C'est possible pour les bovins, puisque d'autres pays européens le font. C'est la seule et unique solution" poursuit-elle, bien consciente des spécificités propres à l'élevage dans le massif du Jura.
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, certains éleveurs ont fait le choix de cohabiter avec les loups. C'est le cas d'Ingrid et André qui élèvent 400 brebis. Après avoir subi plusieurs pertes en 2010, ils ont opté pour une meilleure protection de leur troupeau. Ils ont expliqué leur manière de faire à l'ASPAS, Association pour la protection des animaux sauvages.
Autre exemple du côté de l'Italie. Nos confrères de Nice Matin (article payant) ont rencontré un éleveur de brebis, Maurizio Mauro qui élève ses animaux au coeur d'un territoire de meutes. Depuis 5 ans, il ne déplore aucune attaque.
"On est très malheureux de ce qu'il vient de se passer avec cette louve tirée, mais on veut garder le dialogue sinon on court à la catastrophe", ajoute quant à elle Delphine Durin.
Les associations comtoises de protection de l'environnement aimeraient la mise en place de mesures pérennes et souhaitent que les pouvoirs publics organisent "sans tarder un cadre d’échanges, comme ce sera le cas pour le Doubs le 3 octobre prochain, en vue de tracer une feuille de route régionale qui concilie l’intérêt des éleveurs avec la préservation d’un environnement sain et équilibré et de la biodiversité auquel la protection du loup gris participe".
► À lire pour aller plus loin :