La décision est tombée ce 20 janvier, les remontées mécaniques des stations de ski ne rouvivront pas le 1er février... A Métabief dans le Haut-Doubs, les professionnels de la montagne, désabusés, serrent les dents.
Une neige tombée en abondance, une météo presque parfaite : toutes les conditions étaient réunies cette année pour une saison de ski réussie... mais la situation sanitaire et les directives gouvernementales pour enrayer l’épidémie de COVID-19 en ont décidé autrement.
Fermées depuis le 4 décembre, les stations espéraient pouvoir rattraper la saison grâce à la réouverture des remontées mécaniques pendant les vacances d'hiver, l'annonce de la prolongation de la fermeture après le 1er février est un nouveau coup dur pour la profession. Les vacances de février représentent 40% du chiffre d'affaires de la saison pour les stations de ski.
"Ici, ce n'est pas Paris!"
Fabien Roussolet est gérant de l'hôtel restaurant l'Etoile des neiges à Métabief. D'habitude à cette période de l'année, son établissement est ouvert non stop. Aujourd'hui, il est vide.
"Avec mon épouse nous avons décidé de n'ouvrir que les week-ends. Habituellement entre le 15 décembre et le 15 mars, on réalise 50% de notre chiffre d'affaires. Cette année, c'est impensable. Rien qu'en décembre, on a fait que 10% de notre chiffre d'affaire habituel."explique-t-il, dépité.
Sans la possibilité de faire du ski alpin, couplé à un couvre-feu à 18h, les clients viennent sur des périodes beaucoup plus courtes "parcequ'au bout de trois jours, ils en ont marre de faire de la luge..." ajoute Fabien Roussolet.
Le gérant est inquiet. Mais il est aussi frustré. " On a l'impression que les décisions sont prises sans prendre en compte les spécificités régionales...Ici ce n'est pas Paris. Quand on voit en ville le brassage de personnes dans le métro ou dans les supermarchés c'est injuste de nous interdire d'ouvrir les remontées mécaniques... "
Une profession inquiète
Un sentiment partagé par Stéphane Brisbart, directeur de l'ESF (école de ski français) de Métabief : "On comprend les décisions au vu de la situation sanitaire mais on les désapprouve. Le ski est une discipline qui se fait à l’air libre. On est prêt à faire des efforts, faire des plus petits groupes, réduire le nombre de personnes par télésiège … Parceque le monde il est là, autant le disperser dans tout le domaine skiable plutôt que d’amasser tout le monde en bas des pistes, ce n’est pas logique." explique-t-il.
Sur son ordinateur, il parcourt l'emploi du temps clairsemé du jour. "En ce moment, il y a huit moniteurs qui travaillent. En temps normal, ils sont 20." confie-t-il.
L'école s'est rabattue sur les cours pour les plus petits et les débutants qui ne nécessitent pas de monter dans un télésiège. La pratique du ski de fond, du skating, du ski de randonnée et des raquettes s'est de son côté développée, "mais ça ne compense pas du tout les pertes. Ce sont des activités qui nous permettent seulement de continuer d’exister".
L'ESF Métabief a observé une baisse de 75% de réservation par rapport à l'année dernière. "C'est énorme...mais nous essayons de rester philosophe et nous dire qu'on ne peut rien faire de plus qu'attendre..." Mais, il le confie, si le gouvernement décide d'instaurer un nouveau confinement, "ce serait dramatique. Surtout moralement. Et surtout pour nos jeunes."
Le cursus des futurs moniteurs menacé
Pour devenir moniteur de ski, cinq ans d'apprentissage sont nécessaires. Dans ce cursus, de nombreux stages doivent être exécutés et les aspirants moniteurs doivent s'entraîner toute l'année pour garder le niveau. Cantonnés à rester en bas des pistes lorsqu'ils donnent des cours, l'impression de perdre en capacité physique et de sacrifier leur formation est grande.
"On perd une année précieuse"se lamente Edgar Trouillont, stagiaire ESF en 2ème année. "Psychologiquement, c'est vraiment difficile, on ne peut pas s'exercer correctement or on a besoin de pratiquer."
Ajouté à cela la question financière. Avec la baisse du nombre de clients, les futurs moniteurs ont moins l'occasion de travailler pour l'ESF, ce qui fait pourtant partie de leur formation. "Normalement on fait du 8h par jour, là c'est deux ou trois heures. C'est rien. Donc on gagne moins d'argent." explique Robin Raso, en dernière année d'apprentissage. "On a des aides mais proportionnellement c'est pas grand chose, 1500 euros par mois grand maximum"ajoute-t-il.
La plupart des moniteurs présents à l'année exerce une autre activité en dehors du monitorat. Ils peuvent donc compter sur celle-ci pour compenser. Pour les aspirants moniteurs, c'est impossible.
"Nous sommes dans une station de ski frontalière, le niveau de vie est donc plus élevé. Financièrement c'est dur..." continue Robin, qui réussit à tenir financièrement"en mangeant des pâtes". ajoute-t-il en riant.
La situation ne risque pas de s'arranger. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat chargé du tourisme, a confié qu'"une réouverture mi ou fin février apparait hautement improbable. On s'oriente vers une saison blanche".
Une décision qui, plus largement, risque de peser lourd dans l'économie du Haut-Doubs et du Haut-Jura. Il existe douze stations dans le massif du Jura qui réalisent chaque hiver 15 millions d'euros de chiffre d'affaires rien que pour les remontées mécaniques.