Salvatore Maugeri consacre un nouveau livre au célèbre "cold case". Ami d'enfance du jeune Français, originaire d'Audincourt (Doubs), tué avec sa compagne lors de vacances en Toscane, il repart sur la piste du tueur en série sanguinaire, qui a fait 16 victimes entre 1968 et 1985.
De l'affaire, il connaît tout ou presque. Il se souvient de toutes les dates, de tous les noms, de tous les lieux. Il sait le moindre détail. Il se rappelle chaque témoignage, chaque alibi, chaque erreur des gendarmes, des policiers ou des juges.
Depuis presque 30 ans maintenant, Salvatore Maugeri mène sa propre contre-enquête sur le "monstre de Florence", le tueur en série le plus célèbre d'Italie. On lui a attribué huit doubles meurtres entre 1968 et 1985, et il n'a jamais pu être identifié après un demi-siècle d'investigations.
En 2015, il avait déjà livré les résultats de ses recherches dans "Toscane sanglante. Les mille visages du monstre de Florence", publié à compte d'auteur. Il revient avec son "Rébus toscan. L'odyssée sanglante du monstre de Florence", publié en juillet dernier aux éditions Ovadia.
Dans la tête du tueur
Ce nouveau récit, il l'a étrangement écrit à la première personne. Il n'a pas eu peur dit-il d'entrer dans la tête du tueur. De se mettre littéralement dans sa peau. De parler pour lui, comme lui. "On rentre dans une folie totale et en me mettant à la place du monstre, je pouvais conserver à ses crimes leur caractère horrifique, toute leur charge de violence, et rendre aussi la vision cynique du tueur, explique-t-il à France 3 Franche-Comté. Ce procédé narratif me permet surtout de dire tout ce que j'avais envie de dire sur l'enquête. C'était le moyen le plus pénétrant, le plus saisissant de 'salir' l'image de la police et de la justice italiennes qui ont bâclé leur travail."
Il y a eu des dizaines de livres sur le "monstre de Florence" mais en Italie, dès qu'ils évoquent cette affaire, les auteurs, souvent des journalistes, s'exposent aux foudres de la justice et deviennent la cible de la police. Elles n'ont pas envie qu'on parle de leurs erreurs. Moi, je suis à l'abri de tout ça, il n'y a pas de voix plus libre que la mienne !
Salvatore Maugeri, auteur de "Rébus toscan. L'odyssée sanglante du monstre de Florence", éditions Ovadia.
L'ami d'enfance de "Jean-Mi"
Et il a beaucoup à dire. "Salva" était l'ami d'enfance de "Jean-Mi", né comme lui dans le Pays de Montbéliard (Doubs). Jean-Michel Kraveichvili a été tué avec sa compagne Nadine Mauriot en septembre 1985, à San Casciano in Val di Pesa, lors de vacances en Toscane. Le dernier double meurtre perpétré par le "monstre". Parce qu'il est sicilien d'origine et qu'il parle l'italien, Salvatore Maugeri est devenu ensuite le porte-parole des familles des deux jeunes Français.
Alors, au fil des 400 pages de son épais ouvrage, le sociologue de métier expose toutes les pièces du dossier. Il explore chaque hypothèse avec minutie. La piste "sarde", la piste "Pacciani" ou la piste "occultiste", il les examine toutes, méthodiquement, pour mieux en démontrer l'absurdité. Tous les suspects sont passés en revue, même les plus improbables comme "le tueur du Zodiac". Leurs emplois du temps sont patiemment revus et corrigés. Les fautes et les errements des enquêteurs sont systématiquement pointés du doigt.
Les carabiniers, les policiers ou les procureurs qui se sont succédés sont pour la plupart des pieds nickelés. Pas tous, certains étaient désireux de découvrir la vérité bien-sûr. Mais ils ont raté toutes les occasions de le faire. Ils se sont égarés dans des suppositions si grotesques que tu ne peux qu'en rire...
Salvatore Maugeri, auteur de "Rébus toscan. L'odyssée sanglante du monstre de Florence", éditions Ovadia.
Comme le "monstre" en rit encore peut-être lui aussi. Salvatore Maugeri s'attarde forcément sur le cas des deux jeunes Français, surpris une nuit sans lune sous leur tente plantée au hasard de leur voyage, sur cette fameuse Piazzola di Scopeti. Mais par pour des raisons personnelles.
"Ce double crime est emblématique de l'impéritie des forces de l'ordre, assure-t-il. De l'aveu même de la police, c'est la scène de crime qui a été la mieux étudiée. Ils auraient pris des précautions qu'ils n'avaient jamais prises auparavant. On marche sur la tête !" Comment expliquer en effet qu'un mouchoir ensanglanté y ait été "oublié", ou qu'une balle Winchester 22 long rifle ait été retrouvée bien des années plus tard dans un coussin qui était sous la tente ?
"Jean-Michel et Nadine avaient aussi un appareil photo, raconte encore Salvatore Maugeri, avec 17 photos. On sait qu'elles ont été développées mais on n'a jamais pu les voir. Elles auraient permis de retracer parfaitement l'emploi du temps des victimes. On n'imagine pas le nombre incroyable de pièces à conviction qui ont disparu dans cette affaire !"
Une affaire qui ne sera peut-être jamais élucidée. Pietro Pacciani, l'homme qui avait été désigné comme le "monstre de Florence", condamné à la perpétuité en 1994 puis acquitté, et devait être soumis à un nouveau jugement, est mort dans sa maison, près de Florence, à l'âge de 73 ans en 1998. En emportant ses derniers secrets. Deux de ses complices présumés, Mario Vanni et Giancarlo Lotti, ont également été reconnus coupables et ont été envoyés derrière les barreaux. Tous deux sont également morts depuis.
Pourtant, peu aujourd'hui croient encore à leur culpabilité. Salvatore Maugeri, lui, en tout cas, en est persuadé. Il s'est même forgé une intime conviction. On la devine entre les lignes et il ne craint pas de révéler à France 3 Franche-Comté.
Giampiero Vigilanti (un ex-légionnaire interrogé en 1985 puis en 1994, NDLR) avait le profil mais il n'y a pas de preuves. Personnellement, je suis convaincu que c'est un policier ou un gendarme, peut-être un militaire. Et qu'il a été mis hors d'état de nuire ou "éliminé" quand on a découvert qui il était afin d'éviter un immense scandale.
Salvatore Maugeri, auteur de "Rébus toscan. L'odyssée sanglante du monstre de Florence", éditions Ovadia.
"Je crois malheureusement qu'on mourra sans savoir, ajoute-t-il, résigné. Mais quelque part, il y a bien un pistolet, des organes féminins qui ont été conservés d'une façon ou d'une autre, et qu'on retrouvera peut-être un jour derrière une cloison, au cours de travaux dans une maison. Je pense que le facteur chance est important."
Bientôt trahi par son ADN ?
La chance ou la science. La découverte d’un même ADN sur trois scènes de crime a pourtant relancé l'affaire cet été 2024, juste au moment de la parution de son livre. L'avocat de la famille de Jean-Michel Kraveichvili va demander l'exhumation du corps du jeune Français, enterré à Audincourt (Doubs). Dans l'espoir de trouver des traces ADN pour confondre le "monstre".
Me Vieri Adriani souhaite également l'exhumation du corps de l'Italienne Stefania Pettini, assassinée en septembre 1974 avec son petit ami, Pasquale Gentilcore. "Nous savons, d'après le rapport du médecin légiste, qu'elle pourrait s'être battue avec l'assassin, et il n'est pas impossible d'imaginer que des traces biologiques soient restées par exemple sous ses ongles", a-t-il expliqué au quotidien La Repubblica,
Les chances sont faibles mais elles ne sont pas nulles. Avec l'avocat, nous avons depuis toujours la conviction que Jean-Michel s'est battu contre son agresseur. Et si on trouvait quelque chose d'exploitable sous ses ongles, on aurait un élément énorme.
Salvatore Maugeri, auteur de "Rébus toscan. L'odyssée sanglante du monstre de Florence", éditions Ovadia.
Salvatore Maugeri ne demande pas mieux que de rajouter un dernier chapitre à son enquête. Percer enfin le mystère et mettre un point final à toute l'histoire.
Avant de refermer son livre, une dernière photo montre les cinq membres du groupe de jazz Vendredi 13. Jean-Michel Kraveichili, le batteur, est assis, au centre, presque rêveur. Salvatore Maugeri se tient debout, à ses côtés, les bras croisés. Selon l'auteur, le cliché a été pris en 1978 ou 1979. À l’époque, ces deux-là ne savaient sans doute pas que leurs vies seraient ainsi liées à jamais.