"On est en dessous du niveau de la mer" : comment les Ephad sont arrivés à bout de souffle

Les assises des Ehpad se poursuivent ce mercredi 11 septembre à Paris dans un contexte de crise des établissements accueillant des personnes âgées. Les directeurs d'Ehpad tirent la sonnette d'alarme sur un modèle qui ne fonctionne plus.

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"Les Ehpad ont-ils encore un avenir ?" C'est l'une des questions qui sera abordée aux assises des Ehpad qui se tiennent les 10 et 11 septembre à la Maison de la Mutualité à Paris. Un rendez-vous annuel voué à répondre aux problématiques de ces établissements en France, en pleine crise économique depuis la pandémie de Covid-19. "On est en dessous du niveau de la mer", confie Maïlys Couffin-Kahn, directrice de deux Ehpad, à Blamont et L'Isle-sur-le-Doubs. Ses deux établissements sont déficitaires, comme les deux tiers des Ehpad à l'échelle nationale. 

"Il n'y a tout simplement pas assez d'argent. L'énergie, l'alimentation et les salaires augmentent, mais pas les tarifs, en tout cas pas dans les mêmes proportions. Cela ne peut pas fonctionner." Aujourd'hui, la directrice se dit "démunie". "On en parle à chaque conseil d'administration, mais nous n'avons pas de solution." Des inquiétudes que partage Antoine Crétineau, directeur des Ehpad de Saulx, Scey-sur-Saône et Dampierre-sur-Salon en Haute-Saône. "Les trois structures sont en déficit. C'est questionnant et inquiétant. On tire la sonnette d'alarme depuis des années, mais il ne se passe pas grand-chose", constate le directeur. 

Toujours plus de dépenses

 

Assaillis par l'inflation, les Ehpad n'arrivent plus à faire face. À ce contexte économique, s'est ajoutée la revalorisation salariale des soignants en Ehpad, à la suite du Ségur de la Santé en 2020. "Il était important d'augmenter les salaires, mais nous devons nous débrouiller pour les payer, sans aide. On ne peut pas les financer", explique Maïlys Couffin-Kahn. Contraints de sortir le chéquier pour maintenir le navire à flot, les établissements croulent sous les dépenses. Malgré une aide d'urgence de 650 millions d'euros débloquée en avril dernier par l'État, le modèle économique des Ehpad est à bout de souffle. 

On pioche dans les réserves, pour l'instant. Je ne peux pas imaginer qu'un établissement ferme ses portes.

Antoine Crétineau, directeur d'Ehpad

Lors des assises nationales, cette question devrait être mise sur la table, mais les directeurs d'établissement perdent espoir. "J'aimerais en attendre quelque chose, mais je suis désabusé. Nous n'avons toujours pas de gouvernement et donc personne en charge du Grand âge. Je ne me fais pas d'illusion", avoue Antoine Crétineau. Beaucoup dénoncent un manque d'intérêt politique sur la question du Grand Âge. "Il y a de nombreuses questions non tranchées : quels moyens mettre dans le secteur, quelle politique publique instaurer, qui paye pour la prise en charge de nos aînés ?", s'interroge le directeur. Maïlys Couffin-Kahn, elle, ne mâche pas ses mots. "Les acteurs sont tous conscients du problème, mais pas les politiques. S'ils venaient enfiler une blouse et passer une journée dans nos Ehpad, ils auraient une autre vision."

Des répercussions sur les résidents

 

Comment conserver la qualité quand les réserves sont bientôt épuisées ? La question se pose pour tous les directeurs de structures. Car les Ehpad accueillent de plus en plus de personnes âgées, dépendantes, porteuses de pathologie invalidantes ou de troubles cognitifs, dont il faut s'occuper, jour et nuit. "Je ne toucherai pas à la qualité de la prise en charge et des soins. Quand on doit serrer la ceinture, on ne touche ni à l'alimentation ni aux soins de première nécessité", affirme Maïlys Couffin-Kahn. La fille de l'une des résidentes de l'Ehpad de L’Isle-sur-le-Doubs et membre du Conseil de la Vie Sociale (CVS) le confirme. "Rien n'a changé dans les repas, les animations ou les soins, mais je redoute qu'un jour la qualité de prise en charge baisse. J'ai surtout peur que des établissements soient obligés de fermer", confie Annette Durupt. 

De la peur, il y en a parmi les familles de résidents. "Comme je fais partie du CVS, je vois les choses de plus près et je recueille les inquiétudes des familles", explique Annette Durupt. Inquiètes, les familles le sont aussi concernant les tarifs de l'Ehpad. "Personnellement, je trouve qu'une augmentation des tarifs serait normale pour essayer d'équilibrer, mais tous ne sont pas d'accord. Ils considèrent qu'ils payent déjà trop cher."

Tout le monde se demande ce qu'on fera si un jour l'Ehpad ferme ses portes. Ce serait dramatique

Annette Durupt, fille de résidente et membre du Conseil de la Vie Sociale

Alors pour tenter d'éviter le pire, les directeurs d'établissement jonglent. "On remet à plus tard les dépenses superflues ou on cherche à le financer autrement que de notre poche, mais il y a des choses sur lesquelles on ne peut pas faire de concession", insiste Maïlys Couffin-Khan. Comme le personnel. Même si les salaires des titulaires diplômés constituent une dépense colossale pour les Ehpad, la solution de facilité n'est pas envisageable. "On peut recruter des aides-soignantes non diplômées. Personnellement, je me refuse à le faire. Quand vous allez chez le coiffeur, vous attendez la prestation d'un coiffeur, pas de la voisine. Pour une aide-soignante, ça ne choque personne. Mais c'est la même chose !", réagit la directrice. 

Les assises de la dernière chance ?

En présence de nombreux acteurs du Grand Âge, les assises des Ehpad seront l'occasion d'évoquer toutes ces questions qui empêchent aujourd'hui les directeurs d'établissement d'entrevoir un avenir serein. D'autant que la population française vieillit. D'ici à 2030, le nombre de Français de 75 à 84 ans va augmenter de 50 %. Entre 2030 et 2040, la population des plus de 85 ans augmentera de plus de 50 %. Des chiffres qui rendent crucial la politique concernant le Grand Âge. Car ce sont autant de personnes âgées qu'il faudra prendre en charge dans des structures adaptées comme les Ehpad. "Nous sommes en pleine transition démographique, mais on attend d'y être vraiment confronté pour faire quelque chose", observe Antoine Crétineau, qui laisse deviner son inquiétude : "C'est compliqué de se projeter quand on ne sait même pas comment on va finir l'année prochaine."

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