Ils représentent environ 5% des naissances : en 2020, 4.999 bébés sont nés prématurés, avant que leur mère n’ait atteint les huit mois de grossesse. Des débuts de vie où l’inquiétude vient troubler la joie, où les jeunes parents doivent apprendre à manier le biberon en même temps que les tubulures d’oxygène et les moniteurs de saturation.
Ce n'est pas l'accouchement qu'elles attendaient. En 2020 en France, 4.799 bébés sont nés avant que leur mère n’atteigne les 37 semaines d’aménorrhée (SA), ou huit mois de grossesse. Des naissances souvent rapides, parfois un peu chaotiques, où la joie de rencontrer son enfant s’entremêle à la peur de le perdre. A l'occasion de la journée mondiale de la prématurité, le 17 novembre, deux mamans nous racontent ce voyage intense en émotions.
Pour certaines, ces récits de vie commencent par une banale visite de contrôle. C’est le cas de Mathilde, habitante de la région de Dole dans le Jura. En mars 2022, alors enceinte de six mois et trois semaines durant sa troisième grossesse, elle se rend à l’hôpital. « Je n’ai même pas dit au revoir à mes enfants, je leur ai dit ‘à tout à l’heure’, je ne pensais pas être hospitalisée », se souvient-elle. Elle ne s’imagine pas qu’elle devra quelques heures plus tard appeler le père de ses enfants pour lui apprendre qu’elle doit être transférée. « Ma poche des eaux avait fissuré ».
À 31 semaines d’aménorrhée, son bébé est considéré comme un grand prématuré, l’hôpital de Dole de ne peut pas la garder. « On cherchait des places disponibles dans des maternités qui peuvent accepter ce terme-là, on ne savait pas exactement où je pouvais aller ». « C’est horriblement stressant ». Elle est d’abord envoyée à 75 kilomètres de là, à Bourg-en-Bresse, avant d’être transférée au CHU de Besançon. Commence un combat avec le temps. Il lui faut tenir le plus longtemps possible, pour que son bébé puisse grandir.
On n'a pas le temps de réaliser, parce que tout va très vite
Mathilde, maman du petit Hippolyte, né à 32 SA
Pour Gaëlle, tout est allé très vite, dès le début. « J’avais un risque d’accouchement prématuré », explique cette habitante du Territoire de Belfort, déjà maman de quatre enfants. « Mais on m’avait dit la même chose pour mes deux derniers, où j’avais accouché avec un mois d’avance ». « J’ai fait attention, ça allait ». Pourtant, une nuit en juin dernier, elle se réveille un peu mouillée. « Je me suis levée, je me suis nettoyée, je me suis dit ‘ça n’est pas grave’ ». Encore endormie, Gaëlle pense à une fuite urinaire. À 7 mois de grossesse, il lui semble impossible que ce soit le début de son accouchement. « En me recouchant, ça coulait à nouveau, et cette fois-ci, je me suis levée en panique, j’ai dit à mon mari on va à la maternité ». Elle espère encore qu’il ne s’agit que d’une fissure de la poche des eaux. « Je me disais ‘ça va tenir une semaine ou deux’… Mais quand on est arrivés, on m’a dit ‘non madame, l’accouchement est pour ce matin’ ». « Ça a été terrible. »
Envisager tous les scénarios
Lorsqu’une naissance prématurée se profile, les soignants tentent de préparer les parents. « Les équipes pédiatriques sont arrivées en m’indiquant les risques, qu’il pouvait avoir du mal à respirer », se remémore Gaëlle. Dans sa tête, « mille questions » se bousculent.
Mathilde aussi a vécu cette entrevue, où se dessine des scénarios très différents. « Le temps de mon hospitalisation, j’ai eu une visite d’une pédiatre de la néonat’. Elle m’a expliqué à quoi s’attendre par rapport au terme, les différents cas de figure ». « Le souci, c’est que ce ne sont que des possibilités, on ne sait pas comment l’enfant va se débrouiller ». Il faut essayer de mettre l’angoisse de côté.
Rentrer dans le monde de la prématurité c’est quelque chose auquel on ne peut pas être préparé
Mathilde, maman du petit Hippolyte, né à 32 SA
« Le bébé continuait d’être en bonne santé », raconte Mathilde, et puis, « un début d’après-midi, tout s’est accéléré ». Une semaine après la fissure de sa poche des eaux, son accouchement commence. « Le travail s’est mis en route, et Hippolyte est arrivé tellement rapidement que mon mari n’a pas pu être présent », regrette-t-elle. « On n'a pas le temps de réaliser, tout va très vite, et puis on se dit que ça y est, on a mis les pieds dans un monde que l’on ne connaît pas ». Heureusement, le bébé de Mathilde se débrouille très bien. Du haut de ses 42 centimètres pour 1kg840, il arrive à respirer seul. Alors, avant son transfert en néonatologie, elle peut tout de même le prendre quelques instants sur elle.
Gaëlle n’a pas eu cette chance. Tout juste deux heures après son arrivée à la maternité de l’hôpital de Trévenans près de Belfort, Marley est là. « Il est sorti et, gros soulagement, il a pleuré tout de suite », se souvient-elle. Elle n’a que le temps de l’embrasser. Marley pèse 1kg700, il doit être rapidement transféré dans une couveuse. « Il est parti, je me suis retrouvée toute seule pendant deux heures, à me demander ce qu'il se passait, s’il allait bien. Je n’avais qu’une envie, c’était d’aller le voir ». Après que les soignants se sont assurés qu’elle ne souffre d’aucune complication de l’accouchement, elle peut le rejoindre. Et là, « la prématurité commence ».
Le temps de la néonat’
La « prématurité », ce sont d’abord les allers-retours, entre la néonatologie où est hospitalisé l’enfant, et sa propre chambre, ou son domicile. « En tant que personne venant d’accoucher, notre chambre, elle est au service maternité, et la néonat’ n’est pas au même étage », explique Mathilde. Pendant quelques jours, elle doit jongler entre ses propres soins, au troisième étage, ceux de son fils au rez-de-chaussée, et les contraintes d’un allaitement à lancer alors que son enfant ne peut pas encore se nourrir seul.
Heureusement, une sonde alimentaire pour l’aider est le seul dispositif médical dont il a besoin. « Nous avons eu cette chance qu’il allait bien », confie Mathilde. Une chambre « kangourou » lui permet de rejoindre son fils en néonatologie. Hyppolite ne passe que deux semaines en couveuse, peut rapidement être transféré à Dole, près de son frère et sa sœur qui lui rendent visite, et rentre chez lui trois semaines et demie après sa naissance.
Pour Gaëlle, c’est là encore un peu différent. Marley a besoin d’aide pour respirer, une machine lui apporte de l’oxygène en plus. « Les soignants vous disent qu’on ne peut pas vous garantir que tout va bien se passer ». « C’est très impressionnant, c’est un tout petit bébé, mais vraiment tout petit, et il est branché de partout », explique-t-elle. « C’était mon cinquième enfant, mais je l’ai vécu comme un premier, j’étais complètement perdue ».
J’avais préparé la chambre comme pour une grossesse normale, et je rentre, mais sans mon bébé
Gaëlle, maman du petit Marley, né à 32 SA
« Et puis, on vous dit que votre bébé va rester à l’hôpital, que vous, vous allez rentrer chez vous, et c’est le déchirement », confie la mère de famille. « Vous avez ce bébé qui est à l’hôpital, vous avez envie de rester, mais de l’autre côté, il y a la vie qui continue, les quatre grands à la maison, les courses, le ménage à faire… »
Gaëlle et son mari se relaient pour être présents autour de leur si petit Marley. Coup de chance, son poids lui permet tout juste de rester à l’hôpital de Nord Franche-Comté, et d’éviter un transfert à Besançon. Entre l’essence des trajets, le prix du parking et les repas sur place, le couple estime avoir dépensé environ 500 euros en un mois. « Comment font ceux qui n’en ont pas les moyens ? », s’émeut Gaëlle.
Le retour à la vie normale
Avoir un bébé prématuré, c’est avoir un nourrisson pendant un peu plus longtemps que les autres, et surtout, devoir s’accrocher aux petites victoires. « C’est des petits combats, explicite Gaëlle, il prend 20 grammes, on est aux anges. Il ne prend pas de poids, on est perdus. » Savourer le plaisir des premiers vêtements, aussi. « Dans la couveuse, ils sont en couches. La première fois où j’ai pu le mettre en body, j’étais heureuse. » Partis bien plus bas sur la courbe de croissance, les bébés prématurés restent bien souvent des petits gabarits. « C’est assez impressionnant », témoigne Mathilde, « parce que même les objets du quotidien comme le cosy ou le lit paraissent surdimensionnés. »
Après le retour à la maison, il faut trouver ses nouvelles marques, s’adapter à la vie sans capteurs et sans équipe soignante. Et puis, apprendre à dépasser sa culpabilité. « Je me disais ‘pourquoi mon corps m’a fait ça ?’, j’étais en colère contre moi-même », confie Gaëlle. Et enfin, dépasser, un jour, l’anxiété des premiers temps. « Encore aujourd’hui, je regarde régulièrement, qu’est-ce qu’ils savent faire à son âge ? Ça fait partie de la prématurité de se demander s’il va évoluer correctement ».
Aujourd’hui, Hippolyte et Marley ont 7 et 4 mois, et tous deux se portent bien. Les services de néonatologie, leurs équipes « incroyables », « très accompagnantes » et « formidables », les petites attentions des associations de soutien aux parents d’enfants prématurés, mais aussi les souvenirs parfois difficiles que leur famille a pu y vivre, s’éloignent peu à peu.