Théo G. et Etienne M., deux militants d'extrême-droite, étaient jugés par le tribunal correctionnel de Besançon ce 27 janvier. Ils avaient dégradé une statue de Victor Hugo en novembre dernier. Une peine de 12 mois d'emprisonnement avec 2 ans de sursis probatoire a été requise. La décision sera rendue le 17 février. Récit d'audience.
Le procès de deux jeunes militants d’extrême-droite, Théo G., 22 ans, et Etienne M., 20 ans, s’est ouvert à 16h45 ce vendredi 27 janvier 2023, dans la salle A du Palais de Justice de Besançon.
A l’intérieur, la salle est comble. A l’extérieur, se trouve une cinquantaine de personnes munies de drapeaux aux inscriptions anti-racistes et antifascistes. « C’est important pour moi d’être ici. On ne peut pas laisser des racistes imposer leurs idées nauséabondes à Besançon », nous explique l’un des manifestants.
Dans la salle du tribunal correctionnel, Anne Vignot, maire écologiste de la ville, s’installe du côté des parties civiles, non loin de Samuel Thomas, président de l’association La Maison des Potes – Maison de l’égalité. L’association SOS Racisme est également constituée partie civile dans cette affaire qui a fait couler beaucoup d’encre en France et même au-delà.
« Je suis venue pour les regarder en face »
La maire de la cité comtoise a expliqué aux journalistes de France 3 Franche-Comté vouloir « couper le mal à la racine ». « Je suis venue pour les regarder en face et leur dire que je ne laisserai pas ce type d’idéologie prospérer à Besançon », a-t-elle ajouté en amont de l’ouverture du procès.
Assis devant leurs avocats, Théo G. et Etienne M., regards bas, font face à Anne Vignot. Polo noir pour l’un et chemise bleu marine pour l’autre, les deux anciens militants de la Cocarde étudiante écoutent d’abord le rappel des faits dressé par la présidente. Il leur est reproché d’avoir aspergé de la peinture blanche sur le visage et les mains de la statue de Victor Hugo, installée devant la mairie de Besançon le 20 novembre 2022, et d’y avoir accroché une pancarte où ils avaient inscrit des croix celtiques et la phrase « White Power » (ndlr, pouvoir aux blancs).
La présidente note qu’Etienne M. est encarté au Rassemblement National depuis 2021. Elle cite également des passages de la déposition de la petite amie de l'étudiant en médecine. Cette dernière a décrit aux enquêteurs Théo G., comme étant « toujours dans la violence et plutôt impulsif ». Etienne M. serait, selon sa petite amie, plutôt suiveur et le bras droit de Théo G. au sein du mouvement La Cocarde Etudiante. Des autocollants ont été retrouvés chez Théo G. et notamment ceux de la Cocarde Etudiante, du groupuscule d'extrême-droite VDL BSK mais aussi du GUD, organisation française d’extrême-droite réputée pour ses actions violentes et la promotion d’une idéologie raciste.
« On voulait faire quelque chose de visible »
« J’ai seulement pris la photo. Je ne reconnais pas la 3e circonstance aggravante (ndlr, l’acte raciste). On a eu des pressions verbales du national de La Cocarde, comme quoi on était très peu réactifs niveau communication. Belfort avait communiqué avant nous », débute Etienne M., confirmant avoir eu connaissance de la polémique en amont de l’acte de vandalisme. « On voulait faire quelque chose de visible », précise-t-il. « Théo a proposé White Power », explique-t-il au sujet de la pancarte accrochée au bras du plus célèbre écrivain de France.
« Sur le moment, ce que ça signifiait, pas grand-chose… On s’est pas vraiment posé la question de ce que ça représentait ». Etienne M. formule des justifications aléatoires au sujet des mots et des croix celtiques inscrites sur le panneau. Ces dernières ne semblent pas convaincre la présidente qui multiple les questions sur ce point. « Vous le saviez quand même ?, insiste la présidente, Vous ne pouvez pas ignorer que la croix celtique est utilisée dans toute l’Europe par tous les mouvements d’extrême-droite ? Vous ne l’ignorez pas ? ».
Théo G. s’avance ensuite à la barre. Il explique avoir pris ses distances avec la politique au moment des faits et ne pas être au courant de la polémique en amont de l’acte de vandalisme raciste. « Je me suis dit, la statue est vraiment marron, on va mettre un coup de peinture », détaille-t-il devant la cour, à voix plutôt basse mais assurée. « Je me suis dit qu’on allait écrire quelque chose qui va choquer et faire parler. Y’avait rien de raciste. J’ai rajouté la croix celtique parce que je suis parti dans mon délire. Ça représente l’unité nationale », dit-il, tout comme son acolyte politique. Pour rappel, Béatrice Soulé, veuve de l’artiste Ousmane Sow et agente artistique, considère cet acte comme « purement raciste ».
« Je regrette profondément »
La présidente rappelle les nombreux autocollants retrouvés chez le prévenu. « Tous ces autocollants sont classés très à droite, extrême-droite », rappelle-t-elle. « C’est étonnant ce que vous dites, ponctue-t-elle . Vous êtes particulièrement actif dans cette action pour quelqu’un éloigné de tout ça. » Il poursuit sur la couleur de Victor Hugo et l’absence d’indication concernant la rénovation de la statue.
« Et alors, si c’était la statue finale, si c’était le choix de l’artiste ?, insiste la présidente. On n’était pas d’accord avec l’image donnée de Victor Hugo », admet Théo G.
« Mais, il y a des écrivains français et européens noirs. Alors qu’elle est le problème ? Vous estimez que c’est le blanc qui est la couleur qu’il faut », ajoute la présidente. « Je regrette profondément mon geste. J’aurais pu faire quelque chose de plus démocratique », dit l’ancien étudiant en histoire, à la suite d’une question de son avocat Me Vernet. L’ancien étudiant en histoire réside désormais en région parisienne, où il est barman. Il explique qu’il souhaitait à la base passer le concours d’officier de police.
« La motivation raciste ne fait aucun doute »
Anne Vignot, maire de Besançon, est appelée à la barre et rappelle la chronologie des faits concernant l’acquisition de la statue et la dimension symbolique de cette œuvre installée sur la Place des Droits de l’Homme et les raisons de la restauration effectuée par la Ville de Besançon. « La motivation raciste ne fait aucun doute », dit-elle.
Samuel Thomas, président de l’association La Maison des Potes, prend ensuite la parole et s’interroge à la barre sur la question de l’endoctrinement à l’extrême-droite de certains jeunes français. « Ils se présentent à nous en disant qu’ils sont ignorants de ce qu’est l’extrême-droite, la croix celtique, le GUD. C’est un jeu qu’ils jouent avec vous. Sur le frigo de Théo G., il n’y a pas d’autocollants du Rassemblement National mais que des autocollants de groupes radicaux extrêmes », martèle-t-il. Il reprend le pedigree du jeune homme et notamment son implication dans le groupe VDL BSK. Il rappelle aussi l’existence d’une photo du prévenu publiée sur les réseaux sociaux en 2019. Théo G. est alors déguisé en membre du Ku Klux Klan, un groupe suprémaciste blanc américain extrêmement violent. Théo G. s’agace sur sa chaise. L’association réclame des mesures éducatives et des dommages et intérêts.
Il y a un moment, il faut appeler un chat un chat. Repeindre une statue en blanc, inscrire des symboles nationalistes dessus, une œuvre d’un artiste noir… Ça ne laisse que peu de place à l’interprétation.
Avocat de la Ville de Besançon
« J'aurais aimé voir une évolution dans les discours de ces deux jeunes hommes. Il manque toujours la dernière étape. C'est de se dire, ben oui, il faut que je réfléchisse à mes valeurs. Il faudrait que ces deux jeunes recouvrent la vue » , a quant à elle plaidé l'avocate de SOS Racisme, rappelant à son tour le caractère évidemment raciste de l'acte des deux jeunes hommes.
« Monsieur M. et monsieur G. protestent le caractère raciste de leur acte. A mon sens, il ne fait pas de doute. Ils ont commis un acte raciste. Ils oublient l'histoire, tous les suprémacismes sont combattus par les lois de la République », s'exprime à la suite Claire Keller, procureure de la République, revenant sur les origines du terme « White Power ».
Cet acte de propagande par le fait est parvenu à ses fins. Quelques heures après, un individu non identifié, dégradait de la même manière une autre statue d'Ousmane Sow, près de la gare.
Claire Keller, procureure de la République
La procureure lit un passage retrouvé sur le site de La Cocarde étudiante, pour illustrer le fait que ce mouvement est profondément anti-républicain. « Les faits ne peuvent recevoir d'autres réponses qu'une peine d'emprisonnement assorti d'un sursis ». Elle requiert 12 mois d'emprisonnement avec un sursis probatoire de deux ans. Elle réclame aussi un travail d'intérêt général. Madame la procureure de la République sollicite également une privation du droit d'éligibilité pendant un délai de 5 ans.
« Une polémique instrumentalisée »
L'avocate d'Etienne M., Me Weiermann, prend la parole à la barre. « On aurait préféré trouver chez lui des autocollants 'Liberté, égalité, fraternité'. Je ne vous le cache pas. Mais combien de Français partagent les idées de mon client ? », interroge-t-elle, en profitant pour taper fermement sur les médias et pour rappeler le score du Rassemblement National et de Marine Le Pen à la dernière élection présidentielle.
Elle parle d'une « polémique instrumentalisée ». « Je pense sincèrement qu'Etienne M. ne s'est pas rendu compte de la signification [de White Power] », poursuit-elle, demandant finalement une peine « adaptée » à la cour.
► A lire aussi : Statue de Victor Hugo “noir” à Besançon ? “Un racisme dramatique”, on décrypte en images cette polémique qui n’aurait jamais dû avoir lieu
Me Vernet, pour la défense de Théo G., prend la parole. « J'appelle à la sérénité. En espérant que les choses s'apaisent », plaide l'avocat bisontin. Il rappelle également la notion de « Liberté de penser ». Il rappelle l'homosexualité de son client, mentionnée plusieurs fois pendant le procès, ainsi que les origines juives de la famille du prévenu. « Il aura peut-être le déclic pour faire autre chose, ou autrement. C'est un garçon qui se cherche, et quand on se cherche, on peut faire des erreurs. Vous n'avez pas des monstres ici devant vous. » Me Vernet parle de son client, « loin d'être aguerri ». Il conclut sa plaidoirie en citant Victor Hugo.
« Je ne tire aucune fierté de ce à quoi j'ai participé. Je regrette profondément », a terminé Etienne M. « Je regrette aussi les faits. J'ai décidé de tirer un trait sur ma vie passée », a quant à lui déclaré Théo G. La décision a été mise en délibéré au 17 février 2023, à 14h.