Restaurée depuis quelques jours, la statue qui représente le célèbre écrivain dans sa ville natale de Besançon (Doubs) fait parler d’elle au niveau national. Une tempête médiatique, politique qui en a oublié que le sculpteur avait choisi dès le départ une patine bronze foncée, et que la rénovation de l’oeuvre n’est pas terminée.
“Après 20 ans sur l’Esplanade des droits de l’homme, la statue de Victor Hugo par Ousmane Sow a été restaurée ! Dans le but de se rapprocher de l’esprit d’origine, la fonderie Coubertin, spécialiste de cet artiste, a opté pour une reprise de patine similaire à l’original d’Ousmane Sow qui aimait les couleurs et qui n’était pas favorable aux « simples » bronzes” écrit la Ville de Besançon le 18 novembre sur sa page Facebook. La polémique ne va pas tarder à naître, suite à une publication du journal l’Est Républicain (article réservé aux abonnés).
“Le visage original était de couleur chair. On dirait un Victor Hugo noir, ce qui n'a jamais été l'intention d'Ousmane”, s'étonne alors Béatrice Soulé, agente artistique et veuve du sculpteur. Elle affirme ne pas avoir été contactée par la Ville de Besançon au sujet de la restauration. Pour elle, le collier de barbe blanche de la statue “était bien plus subtil dans l'œuvre originale”.
Et la polémique était lancée
Repris par la presse nationale, de Valeurs actuelles au Figaro ou Le Parisien, la polémique va enfler de plus belle. A tel point que dans la nuit du 20 au 21 novembre, le visage de la sculpture de Victor Hugo est recouvert sommairement de peinture blanche. Un acte de vandalisme contre lequel la Ville de Besançon a décidé de porter plainte. La statue est depuis protégée par des grilles sur l’esplanade des droits de l’homme.
Sur les réseaux sociaux, les réactions affluent. Certains internautes en profitent pour s’en prendre violemment à la maire de la cité comtoise. Depuis son élection, l’élue écologiste est régulièrement la cible d'insultes lorsque l’écho de certaines décisions municipales dépassent les contours géographiques de Besançon.
Certaines réactions politiques sont également tranchées, notamment de la part d’élus d’extrême-droite. Fabrice Galpin, coordinateur du parti Reconquête ! du Doubs, explique au micro de RTL qu’il s’agit d’une “dénaturation de l’histoire, qui nous montre une fois de plus que les mairies Ecolo-NUPES sont chaque jour à l’ouvrage pour causer la perte traditionnelle et historique de notre pays”.
Frédéric Falcon, député RN de la 2e circonscription de l'Aude, va quant à lui jusqu’à qualifier le mandat d’Anne Vignot de “désastre”, tout en partageant cette information. Gilbert Collard, président d'Alternative France et député au Parlement européen, parle de “folie woke des verts”. Rien que ça.
“Il s’agit d’un racisme assumé et c’est dramatique”
Violemment attaquée, Anne Vignot, maire EELV a réagi au micro de notre journaliste Emmanuel Rivallain. Elle explique qu’un contrat de rénovation existe avec la fonderie De Coubertin, “qui intervient sur toutes les statues d’Ousmane Sow”. Les statues doivent être rénovées environ tous les 10 ans. Elle dit s’être entretenue dimanche 20 novembre au téléphone avec l’agente artistique et veuve de l’artiste Béatrice Soulé.
Elle dénonce un “racisme assumé” et la volonté de l’extrême-droite d’instrumentaliser la réfection d’une oeuvre.
Non seulement on ne parle plus de l’oeuvre, mais on utilise un moment de réfection d’une statue pour introduire une idéologie qui n’existe pas. Il s’agit d’un racisme assumé et c’est dramatique en France. Les mêmes qui alimentent ces thèses sont souvent des personnes aux idéologies d’extrême droite.
Anne Vignot, maire de Besançon
"IIs nous associent à une idéologie qui serait radicale, c’est quand même incroyable. Nous sommes juste sur un geste artistique” ajoute Anne Vignot.
“On voit que ça alimente des réactions extrêmement graves car on est bien sur la question de la couleur de la peau”, ajoute-t-elle, faisant référence à l’acte de vandalisme survenu dans la nuit du 20 au 21 novembre sur le visage de l’écrivain.
La maire cite également une autre dégradation survenue en novembre 2022, sur la statue d’Henriette de Cran, première femme victime de procès en sorcellerie. Des signes nazis avaient été retrouvés aux abords alors que le visage de la femme avait été peint en rouge.
“La rénovation n’est pas finie”, dit la veuve d’Ousmane Sow
Béatrice Soulé, contactée par France 3 Franche-Comté, parle d’une “tempête dans un verre d’eau”. Si elle regrette ne pas avoir été informée de la rénovation et déplore que l’oeuvre n’ait pas été entretenue à Besançon durant 20 ans, elle rappelle que cette dernière restauration est toujours en cours et que “c’est l’évolution normale du travail. Tout son costume est parfait. Mais le patineur n'a pas fini. La rénovation n'est pas finie”.
“Le patineur est obligé d’interpréter un peu. Il travaille le bronze dans le but que ses patines soient pérennes”, poursuit-elle. Elle regrette néanmoins une “trop grande différence entre le visage et les cheveux”. Béatrice Soulé précise que le patineur de la fonderie Coubertin a d’ailleurs travaillé avec Ousmane Sow, et qu’il en connaît parfaitement l'œuvre. Et de préciser qu’il ne s’agit pas de couleurs mais de teintes nées de l'oxydation du bronze.
“J’aurais dû venir avec le patineur sur place”, dit-elle. Et de conclure : “On est obligés de chercher, de tâtonner, on est dans l’artisanat. L’objectif c’est d'obtenir une patine qui ne bougera pas”.
Pour répondre aux "nombreuses réactions", la Ville de Besançon a annoncé une conférence de presse mardi 22 novembre en présence d'Anne Vignot, la maire, Béatrice Soulé, et Christophe Bery, directeur de la fonderie Coubertin. Une finition de patine aura d'ailleurs lieu, selon le directeur de la fonderie contacté par nos soins.
Comment était l’oeuvre originale d’Ousmane Sow ?
Ousmane Sow, sculpteur sénégalais décédé en 2016, avait créé une sculpture de Victor Hugo en bronze, aux tons soutenus, comme le témoignent ces deux photos de 2002 et 2003.
Le 17 octobre 2002, la sculpture est à Paris. L’original de l’oeuvre est installé durant deux jours place du président Hériot près de l’Assemblée Nationale, pour la journée mondiale du refus de la misère, comme le détaille le site internet officiel d’Ousmane Sow.
Ousmane Sow, par son oeuvre réalisée avec Médecins du Monde, souhaite alors interpeller l’opinion publique et les politiques sur le problème de l’exclusion en France. Ousmane Sow a choisi d’incarner ce thème par le personnage de Victor Hugo, symbole de la misère et du combat politique.
Le 17 octobre 2003, jour où la sculpture version bronze de 2,30 mètres de Sow est installée définitivement à Besançon, toujours dans le cadre de la journée mondiale du refus de la misère. Le sculpteur est alors présent. Le buste porte une tonalité très foncée, de même que le visage.
Nous avons également retrouvé cette photo de l'original de la sculpture au Sénégal, dans un article de nos confrères de franceinfo. Le visage de Victor Hugo est nettement marron foncé. Jamais l’artiste n’a réalisé un Victor Hugo au visage blanc, comme une certaine France s’empresse d’en rêver.