Témoignages. "Je suis né avec, j'ai grandi avec, ça fait partie de ma vie" : quand l'hémophilie est une affaire de famille

Publié le Écrit par Emmanuel Deshayes

Ce mercredi 17 avril est la journée mondiale de l'hémophilie. Objectif : sensibiliser toujours plus le grand public aux troubles de la coagulation. L'hémophilie est une maladie génétique héréditaire rare qui touche près de 10.000 personnes en France, comme ces deux frères originaires de Rougemont (Doubs).

"Je n'y pense jamais", avoue-t-il. Corentin Sandoz est atteint d'hémophilie A. Le jeune homme de 26 ans, originaire de Rougemont (Doubs), est même ce qu'on appelle un hémophile sévère. Dans son sang, on trouve moins de 0,1% de facteurs VIII, cette protéine qui permet la coagulation.

L’hémophilie ne se guérit toujours pas, mais elle se contrôle bien désormais, grâce aux traitements substitutifs. Chaque semaine, il doit donc se faire deux injections en intraveineuse pour éviter les saignements. Ce qui ne l'empêche pas de se déplacer dans toute la France. Il est ingénieur dans le secteur de la pétrochimie.

Je suis né avec, j'ai grandi avec, ça fait partie de ma vie. Quand j'en parle, c'est juste deux fois par semaine, un quart d'heure, quand je fais mes injections. Quand vous partez en voyage, vous mettez 12 caleçons et 5 t-shirts dans votre valise. Moi, je prends 12 caleçons, 5 t-shirts et 3 piqures !

Corentin Sandoz, 26 ans, hémophile.

Affaire de famille

Il faut dire que son frère aîné lui a en quelque sorte montré l'exemple. Lui aussi est hémophile A. Lui aussi est sévèrement touché. Et lui aussi est devenu ingénieur, mais dans l'industrie pharmaceutique. "Heureusement que je n'ai jamais eu peur des piqûres, plaisante Rodolphe Sandoz. Au départ, c'était une infirmière, puis mes parents qui me piquaient. Puis j'ai appris à la faire tout seul vers 10, 11 ans."

Aujourd'hui, ce n'est pas vraiment un handicap. Les traitements ont évolué. C'est moins lourd au quotidien. Avec mon métier, je voyage dans le monde entier et ce n'est pas toujours facile de prendre l'avion avec des produits injectables, mais on s'adapte !

Rodolphe Sandoz, 31 ans, hémophile.

Et le jeune homme de 31 ans le sait, il devra s'y plier toute sa vie. Une des complications majeures de l’hémophilie est en effet l’apparition d’hémarthroses, ces épanchements de sang au niveau des articulations, principalement les coudes et les genoux. Le phénomène est douloureux. Il provoque un gonflement et une perte de souplesse. Si rien n'est fait, il finit par détruire le cartilage.

"Je n'étais pas l'enfant le plus sage du monde et on ne fait pas toujours attention quand on est jeune, raconte Rodolphe Sandoz. Il y avait des choses qui étaient interdites, les sports de contact par exemple. Mais on a toujours été bien suivis par nos parents. On n'a jamais eu de souci majeur." Et son petit frère de confirmer : "je n'ai pas fait de football ou de rugby, mais je n'en suis pas mort, ça n'empêche en rien de sortir avec des amis, ça n'empêche en rien de faire des études ou de travailler."

Les hommes les plus touchés

Une affaire de famille en tout cas qui ne doit rien au hasard comme le rappelle l'INSERM. L'hémophilie est une maladie génétique héréditaire, qui se transmet par le chromosome X où se situent les gènes incriminés. N’ayant qu’un exemplaire de ce chromosome, les garçons sont donc systématiquement malades dès lors qu’ils héritent d’un gène muté. À l’inverse, les filles possédant deux chromosomes X, ne sont malades que si elles héritent de deux chromosomes X portant chacun un gène muté. Ce qui est très rare.

L’hémophilie A est la plus fréquente : un garçon touché sur 5 000 naissances. L’hémophilie B, cinq fois plus rare, touche un garçon sur 25 000 naissances. Elle est liée quant à elle à un déficit du facteur de coagulation IX. En France, on compte aujourd'hui environ 8000 personnes souffrant d'hémophilie A et environ 1700 patients atteints d’hémophilie B.

Toute une éducation

En 1900, l'espérance de vie des hémophiles ne dépassait pas 11 ans. En 1950, elle était seulement de 25 ans. En 1980, les malades avaient une espérance de vie de 63 ans en moyenne. " Et aujourd'hui, un enfant hémophile a une espérance de vie égale à une personne normale", se réjouit Michel Sandoz, le père de Corentin et Rodolphe, qui est aussi le président de l'association des hémophiles de Bourgogne-Franche-Comté. Mais cela suppose une vraie discipline pour chaque malade.

C'est de la rigueur. Je n'ai jamais laissé le choix à mes deux fils. On a appris à les piquer puis on leur a appris à se piquer eux-mêmes. Tout passe par là. C'est toute une éducation pour avoir une autonomie.

Michel Sandoz, le président comité régional Association Française des Hémophiles (AFH) de Bourgogne-Franche-Comté.

La maladie des rois

On dit de l’hémophilie qu'elle est "la maladie des rois". La Reine Victoria, qui a régné sur l’Angleterre de 1837 à 1901, était en effet porteuse du gène de la maladie. Son huitième enfant, Léopold, est mort à d’une hémorragie au cerveau à l’âge de 31 ans. Et sa petite-fille Alexandra qui a épousé le Tsar de Russie Nicolas II, a transmis la maladie à son fils, le tsarévitch Alexei.

Mais, malgré cette riche histoire, l'hémophilie demeure relativement "méconnue" pour le Dr. Guillaume Mourey, médecin coordonnateur du Centre de Ressources et de Compétences Maladies Hémorragiques Rares au CHU de Besançon (Doubs). Parce qu'elle est une maladie rare. Mais aussi parce que les traitements ont fait d'énormes progrès ces dernières années et que l'hémophilie en est devenue "presque invisible" au quotidien.

Depuis 10 ans, il y a eu une explosion de nouveautés, beaucoup de changements déjà et beaucoup encore à venir. Ce qui a considérablement amélioré la prise en charge et le confort de vie des hémophiles. Les malades sévères profitent des innovations, d'un accès aux traitements facilité et de produits de plus en plus efficaces.

Dr. Guillaume Mourey, CHU de Besançon.

Diagnostic et éducation

Pour autant, "tout n'est pas tout rose, insiste le spécialiste. Il y a tout un apprentissage et de vraies contraintes. Au début, il faut se déplacer dans un centre hospitalier pour faire les injections. Les parents doivent ensuite apprendre à faire les injections. On est aussi souvent confronté à un refus de soins à l'adolescence."

L'hémophilie reste surtout "une maladie sournoise". La prophylaxie ne concerne que les malades sévères. "Pour les hémophilies mineures ou modérées, le diagnostic peut se faire plus tard dans la vie, souligne le praticien. Et les personnes atteintes n'ont pas le sentiment d'être malades. Ils n'ont pas la même connaissance, la même éducation que les malades sévères qui sont détectés dès la naissance. Et ils négligent plus les symptômes."

D'où l'importance de la Journée mondiale de l'hémophilie, chaque 17 avril, pour leur rappeler les messages de prévention. "Le risque, c'est de se blesser ou d'avoir un traumatisme lors d'une balade en VTT ou une randonnée le week-end, de reprendre le travail le lundi parce qu'on a des rendez-vous importants et de laisser s'installer un hématome qui va devenir très vite douloureux", raconte le Dr Guillaume Mourey.

Chaque année, cette journée de sensibilisation donne lieu à une opération Fil Rouge. Elle consiste à mobiliser un maximum de monde en distribuant des bracelets rouges pour se prendre en photo et les partager sur les réseaux sociaux. Plus de renseignements sur le site de l'Association Française des Hémophiles (AFH).

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