Trois associations de défense du prédateur, Ferus, One Voice et le pôle grand prédateurs, avaient déposé en décembre 2022 deux recours demandant l'annulation de deux arrêtés préfectoraux datant d’octobre 2022 et autorisant des tirs de défense contre le loup dans le département du Doubs. Ce mardi 18 juin, la justice leur a donné raison.
C’est une victoire des associations dans un dossier sensible. "Une très bonne nouvelle" lâche Natacha Bigan de Ferus Jura, à qui nous apprenons la décision du tribunal et qui va étudier en détail les argumentaires du tribunal.
Le loup est bien présent dans le massif du Jura et les attaques n’ont pas cessé. À l’automne 2022, dans le département du Doubs, deux loups avaient été abattus suite à de nombreuses attaques.
Le loup est une espèce protégée par la Convention de Berne. Chaque décision d'intervenir sur une exploitation pour abattre éventuellement un loup est strictement réglementée, les dérogations bien précises. Le 10 octobre 2022, le préfet du Doubs avait autorisé des tirs de défense simple en vue de la protection contre la prédation du loup sur les GAEC de la Combe des Cives, à Châtelblanc, et le GAEC de la Vie Pont, à Chapelle-d'Huin. Pour mettre fin à des attaques, le préfet du Doubs avait classé ce territoire en zone de "non-protégeabilité", autorisant ainsi les tirs de défense simple, où un ou deux tireurs peuvent intervenir seuls. Aucun loup n’avait été abattu sur ces exploitations suite à ces arrêtés.
Des troupeaux non protégeables, le coeur du débat
"On veut prouver que ces décisions sont illégales" expliquait le 28 mai dernier Bertrand Sicard, membre de l'association Ferus. "Les modalités des zones de non-protégeabilité sont très floues, et ces recours ne respectent pas les critères nécessaires pour obtenir l'autorisation de tirs".
C’est aussi l’avis rendu ce 18 juin par le tribunal administratif qui donnent raison aux trois associations requérantes et motive son jugement sur le fait que l’arrêté ministériel du 23 octobre 2020 prévoit notamment que « les tirs de défense simple peuvent intervenir dès lors que des mesures de protection sont mises en œuvre ou que le troupeau est reconnu comme ne pouvant être protégé (...) ».
Les modalités de protection d’un troupeau contre le loup sont prévues par l’arrêté du 28 novembre 2019. Elles sont pour l’essentiel au nombre de trois : le gardiennage renforcé ou la surveillance renforcée ; l’utilisation de chiens de protection ; des investissements matériels (parcs électrifiés).
Par ailleurs, pour qu’un troupeau puisse être reconnu comme ne pouvant pas être protégé, le préfet de département doit soumettre pour avis au préfet coordonnateur du plan national d'actions sur le loup une analyse technico-économique réalisée au cas par cas.
Ces arrêtés de tirs concernaient des troupeaux de bovins et ovins
Le tribunal administratif de Besançon dans un communiqué de presse précise que les deux arrêtés préfectoraux attaqués ont été annulés par le tribunal sur des fondements différents dès lors que les deux troupeaux concernés ne se trouvaient pas dans la même situation.
Le premier arrêté préfectoral contesté a été pris pour un troupeau reconnu par le préfet du Doubs comme « non-protégeable ». Le préfet n’a toutefois pas fait réaliser d’analyse technico-économique pour aboutir à cette conclusion et ne l’a pas soumise pour avis au préfet coordonnateur du plan national d'actions sur le loup. Ces formalités étant substantielles, leur absence a conduit le tribunal à annuler ce premier arrêté.
Le second arrêté préfectoral contesté concernait, quant à lui, un troupeau ovin dont il était allégué qu’il bénéficiait effectivement de mesures de protection. Pour juger que cet arrêté était illégal, le tribunal a considéré que le critère relatif au risque de dommages importants n’était pas rempli, dès lors notamment que le troupeau n’avait pas subi d’attaque depuis plus de treize ans, l’attaque d’octobre 2022 n’ayant visé que le troupeau bovin du même GAEC. En outre, le tribunal a estimé que le préfet n’avait pas apporté la preuve de la réalité des mesures de protection du troupeau concerné.
"Le minimum requis, c'est de mettre des moyens de protection" estiment les associations
Les deux arrêtés de tir pris le 10 octobre 2022 sont donc annulés. L’État devra verser 2000 euros aux associations Ferus, One Voice et le Pole grand prédateurs. Pour cette dernière association, l'annulation des deux arrêtés est une belle victoire. "Cela montre aussi que ces arrêtés sont pris pour satisfaire les plus extrêmes du milieu agricole. Le préfet s'est fait reprendre par la justice. Aucun argument ne permettait de prendre ces arrêtés. Le préfet sera désormais sous surveillance" estime Patrice Raydelet. "Reconnaitre un troupeau non protégeable, c'est la facilité. C'est succomber à la pression. Le minimum requis aujourd'hui est de mettre des moyens de protection" sur les exploitations, conclut le défenseur du loup.
"Nous espérons que cette décision fera date et fera basculer le sort des loups et la protection dont ils devraient bénéficier", s'est réjouie de son côté auprès de l'AFP la présidente de One Voice, Muriel Arnal. "C'est la première décision aussi claire" rendue en France sur les tirs de défense simple contre le loup.
"En France, on ne cherche pas une cohabitation sensée et efficace avec le loup, mais on cherche à l'exterminer", alors que "le public est favorable à la protection des loups, très utiles pour la biodiversité", estime Mme Arnal.